La nouvelle n'a pas fait de grands remous sur la scène tunisienne, malgré son importance. Sans doute la faute à la gueule de bois du réveillon. Benetton a décidé d'arrêter les activités de l'usine Sahline à Monastir et de fermer les usines de Kasserine et de Gafsa, selon une déclaration de son directeur général Claudio Sforza. Environ 3.500 emplois seront touchés directement par cette décision joliment nommée « réorganisation de l'activité ». M. Sforza a ajouté que des négociations étaient en cours avec le gouvernement tunisien pour atténuer les effets sociaux de la fermeture définitive éventuelle de l'usine de Sahline, qui emploie 500 personnes. C'est donc la fin de l'histoire de Benetton avec la Tunisie, commencée en 2004. Au moins trois mille personnes, à Gafsa et à Kasserine, des gouvernorats où les opportunités d'emploi ne se bousculent pas, vont se retrouver sur le carreau suite à la décision unilatérale de la grande multinationale du textile. Près de trois mille familles vont probablement se retrouver sans source de revenu, sans parler des effets indirects de la fermeture de deux usines. Cela ne semble pas inquiéter outre mesure les autorités tunisiennes, qui négocient à propos du sort des 500 employés de l'usine de Sahline, non moins importants que les autres, cela va sans dire. Tout dépendra de la capacité du gouvernement tunisien à garantir des mesures concrètes de soutien à l'investissement. C'est bien là que le problème réside. Si un groupe de l'envergure de Benetton décide de fermer deux usines et réfléchit au maintien de la troisième, c'est que le climat d'investissement n'est pas suffisamment propice. Certes, les choix stratégiques du groupe ont certainement motivé, en grande partie, cette décision, mais la pression fiscale exercée en Tunisie, les problèmes d'ordre administratif et les lenteurs en tout genre ont également pesé. Cette décision de fermeture envoie un message négatif aux éventuels investisseurs, et ses conséquences dépassent largement la perte directe d'emplois ou l'impact négatif sur l'économie locale et régionale des gouvernorats concernés. Si un partenaire de vingt ans décide de claquer la porte et de fermer des usines, avec tout ce que cela va coûter pour le groupe Benetton, c'est qu'il y a un problème. Evidemment, tout cela sera maquillé sous les expressions en langue de bois comme « plan de rationalisation » et « ce choix stratégique permettra à l'entreprise de se concentrer sur des activités à plus forte valeur ajoutée et de réduire son exposition aux risques liés à la gestion directe des sites de production ». Mais aucun groupe au monde, aucune entreprise au monde, ne procéderait à la fermeture de sites de production rentables qui ramènent des bénéfices.
Par ailleurs, même dans les pays industrialisés, les Etats font des efforts et des concessions pour attirer les grands groupes mondiaux et surtout pour les garder. L'Etat français, avec à sa tête Nicolas Sarkozy, s'était plié en quatre, en 2008, pour tenter d'empêcher le groupe ArcelorMittal de quitter la France et maintenir en activité l'aciérie de Gandrange. Ce fut tout un feuilleton qui a tenu en haleine la France pendant des semaines. Le gouvernement français avait même tenté de mobiliser ses alliés européens dans l'objectif de faire pression sur le groupe indien et son PDG Lakshmi Mittal. On parle ici d'une fermeture partielle du site et de la suppression de 575 emplois. De l'autre côté de la Méditerranée, il ne semble pas y avoir d'urgence à tenter par tous les moyens de sauver les 3.500 emplois concernés par la décision de Benetton. Des négociations ont apparemment lieu au sujet des 500 emplois de l'usine de Sahline, mais pas plus. Nous sommes très loin d'une intervention de haut niveau venant du président de la République ou du chef du gouvernement. Nous ne sommes même pas au niveau d'une intervention du ministre de tutelle. Négligence ? Inconscience ? Orgueil ? Nul ne saurait le dire puisque la nouvelle de la fermeture des usines Benetton n'a suscité aucune réaction officielle à ce jour. L'opinion publique tunisienne et l'écosystème économique tunisien ne méritent vraisemblablement pas d'explication ou de commentaire par rapport à cela. Par contre, ils sont abreuvés de communiqués et de photos sur des visites inopinées de ministres ou sur des réunions où l'on « recommande » au lieu de « décider ». On peut voir un ministre arpenter le toit de l'aéroport Tunis-Carthage ou un certain Abdelsamad reçu au palais de Carthage.
L'Etat n'a rien fait pour tenter de conserver les emplois des 3.000 personnes qui vont bientôt se retrouver au chômage. À l'heure où des batailles acharnées se disputent dans le monde pour attirer les capitaux et le savoir-faire, où les pays rivalisent d'ingéniosité pour élaborer un climat d'investissement concurrentiel, et après avoir raté l'opportunité du re-shoring au temps de la crise sanitaire mondiale, la Tunisie continue le gâchis. Les néo-chômeurs n'auront qu'à fonder des sociétés communautaires…