Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'Homme a publié un communiqué sévère contre le régime tunisien de Kaïs Saïed, dénonçant sa politique répressive. Avant lui, plusieurs ONG nationales et internationales avaient émis des communiqués similaires. Par ailleurs, les agences de notation internationales perçoivent la Tunisie sous un angle très négatif et ont dégradé son classement. À cause de son régime politique répressif et de l'instabilité de sa diplomatie, l'image de la Tunisie à l'étranger est au plus bas. En langage diplomatique, le communiqué du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'Homme, publié le mardi 18 février 2025, est un véritable carton rouge. Volker Türk, le Haut-Commissaire aux droits de l'Homme, a exhorté les autorités tunisiennes à mettre fin à la répression des opposants politiques. Il a exprimé sa profonde préoccupation face à la détérioration des droits humains en Tunisie, notamment en ce qui concerne les arrestations et les poursuites judiciaires visant des figures politiques, des journalistes et des militants de la société civile. M. Türk a également appelé à la libération immédiate de toutes les personnes détenues arbitrairement et au respect des libertés fondamentales, y compris la liberté d'expression et d'association.
Un avertissement après plusieurs tentatives de dialogue Dans les usages diplomatiques, la publication d'un tel communiqué n'intervient qu'après une série de correspondances confidentielles avec le pays concerné. Autrement dit, le Haut-Commissariat a adressé plusieurs lettres au ministère tunisien des Affaires étrangères, voire aussi à la présidence de la République et à celle du gouvernement. Ces lettres seraient restées sans réponse ou n'auraient pas reçu de réponse satisfaisante. Ce n'est qu'après ces tentatives infructueuses que le Haut-Commissariat a décidé de hausser le ton en publiant un communiqué cinglant. Sauf que cette fois, Volker Türk a dépassé ces usages et ne se contente plus de correspondances confidentielles. Son communiqué d'hier est au moins le troisième du genre en moins de deux ans. Avant celui du 18 février 2025, le Haut-Commissariat avait publié un communiqué similaire le 15 octobre 2024 et un autre le 23 juin 2023.
Une réponse diplomatique arrogante et maladroite Si les deux derniers communiqués sont restés sans réaction des autorités, il n'en a pas été de même pour celui du 23 juin 2023, qui avait suscité une réponse disproportionnée et arrogante de l'ancien ministre des Affaires étrangères, Nabil Ammar. Dans un ton défiant, il déclarait : « Les Tunisiens n'attendent d'aucune partie une évaluation de leur situation intérieure et de la manière d'appliquer leur propre législation, appelant tous ses partenaires et toutes les parties à respecter la volonté et les choix du peuple tunisien et à s'abstenir de toute tentative d'ingérence dans ses affaires internes. » Le problème est que la Tunisie est signataire de conventions internationales qui l'obligent à respecter les droits de l'Homme et l'indépendance de la justice. Ces conventions sont supérieures aux lois nationales, et lorsqu'elles ne sont pas respectées, les partenaires internationaux ont pleinement le droit de commenter. Si la Tunisie refuse toute ingérence du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'Homme, alors elle n'a qu'une seule option : quitter les Nations Unies.
Une diplomatie affaiblie et un isolement grandissant Au-delà du ton sévère des trois communiqués du Haut-Commissariat, il est regrettable de constater que la Tunisie ne bénéficie plus de l'aura internationale et de la bonne image qu'elle avait il y a encore quelques années. Ce déclin ne concerne pas uniquement les questions liées aux droits de l'Homme et à la justice, mais touche aussi l'économie et la diplomatie, qu'elle soit bilatérale ou multilatérale. Depuis l'arrivée au pouvoir de Kaïs Saïed, la Tunisie semble de plus en plus isolée sur la scène diplomatique. Du côté bilatéral, un indicateur révélateur de cet isolement est le nombre dérisoire de félicitations reçues par Kaïs Saïed après sa réélection en octobre dernier. Seule une poignée de chefs d'Etat ont adressé leurs vœux, ce qui traduit un malaise dans les relations bilatérales. Autre fait marquant, le comportement odieux du ministre britannique des Affaires étrangères, David Lammy, à l'égard de la Tunisie, qui restera dans les annales. Ce manque de respect témoigne de la dégradation du statut du pays sur la scène internationale. Par ailleurs, les relations entre Tunis et Rabat sont toujours en suspens : le Maroc n'a toujours pas d'ambassadeur en Tunisie, et réciproquement. À cela s'ajoute le rapprochement avec la Syrie de Bachar El Assad, un choix diplomatique stratégique qui s'est révélé être une erreur puisque ce dernier a été renversé quelques mois plus tard. Du côté des agences de notation internationale, la Tunisie a subi de multiples dégradations de la part de Fitch Ratings et Moody's. La note actuelle du pays est désormais quasi spéculative, ce qui complique davantage son accès aux financements internationaux et l'oblige à emprunter à des taux usuriers. C'est là tout le contraire de la politique prônée par Kaïs Saïed qui répète tout le temps que l'on doit compter sur nous-mêmes. Du côté justice, la Cour africaine des droits de l'Homme a sommé l'Etat tunisien, en octobre dernier, d'annuler la révocation des 57 magistrats, à la suite d'un recours déposé par ces derniers. Cette décision met en lumière les atteintes à l'indépendance judiciaire sous le régime actuel. Du côté syndical, la secrétaire générale de la Confédération européenne des syndicats, Esther Lynch, a été expulsée du pays le 18 février 2023, sur ordre direct du président Kaïs Saïed, un geste qui a choqué la communauté internationale. Du côté multilatéral, Kaïs Saïed a également pris des décisions radicales en matière de diplomatie. En mai 2022, il a déclaré la Commission de Venise persona non grata en Tunisie, allant jusqu'à expulser ses membres du territoire national. Au Parlement européen, les critiques à l'égard de la Tunisie se sont multipliées, notamment en mars dernier, lors des débats sur le Mémorandum d'entente signé entre Tunis et la Commission européenne. Moins importants, de nombreux parlementaires européens et américains dénoncent ponctuellement la dérive autoritaire du régime tunisien.
Une diplomatie à la dérive Face à ces nombreuses critiques et mises en garde, il est évident que quelque chose cloche dans la diplomatie tunisienne, et cela déteint inévitablement sur l'image du pays.
Le 3 janvier dernier, en recevant son ministre des Affaires étrangères, Mohamed Ali Nafti, Kaïs Saïed a affirmé que la diplomatie tunisienne repose sur des principes solides et doit gagner en influence. Le 23 décembre, il réitérait l'idée d'un nouveau système humanitaire international censé remplacer l'ordre actuel. Cependant, cette volonté présidentielle ne se traduit pas dans les faits. Les communiqués et critiques internationales se multiplient, et l'image du pays continue de se détériorer.
Une instabilité diplomatique préoccupante En l'espace de trois ans, trois ministres des Affaires étrangères se sont succédé : Othman Jarandi, Nabil Ammar et Mohamed Ali Nafti. Ce dernier est l'actuel chef de la diplomatie tunisienne, mais son prédécesseur, Nabil Ammar, s'est particulièrement distingué par ses prises de position maladroites et agressives, qui ont nui à l'image du pays, bien qu'il ait été l'un des ministres les plus loyaux de Kaïs Saïed. Cette instabilité ministérielle affaiblit le travail diplomatique et contribue directement à la détérioration de l'image de la Tunisie à l'international. Certains choix politiques, comme la reprise des relations avec la Syrie ou la rupture avec un partenaire clé comme le Maroc, sont autant d'erreurs stratégiques qui plombent la diplomatie tunisienne. Si l'on ajoute à cela le non-respect des engagements internationaux en matière de justice et de droits de l'Homme, ainsi qu'un climat d'investissement délétère, il n'est pas étonnant de voir la Tunisie être régulièrement épinglée par des organisations internationales.
Une souveraineté mal comprise Les partisans de Kaïs Saïed clament haut et fort que la Tunisie est un pays souverain qui refuse toute ingérence étrangère. Un discours qui peut sembler séduisant mais qui implique, en réalité, une autosuffisance totale – un objectif qui est aujourd'hui inatteignable pour la Tunisie. Tentant de relativiser toutes ces réactions internationales, les partisans du chef de l'Etat jouent la carte du discrédit de ces instances. « Pourquoi ne réagissent-elles pas contre Israël et ne font-elles rien pour Gaza », crie-t-on haut et fort dans les réseaux sociaux. On dénonce là une certaine hypocrisie de ces instances internationales, notamment onusiennes, et leur politique du deux poids – deux mesures. Aussi, on dénonce le comportement néocolonialiste de certaines puissances étrangères à l'égard des autres pays. Les mêmes puissances qui deviennent soudain dociles face aux Etats-Unis ou Israël. Les arguments des partisans de Kaïs Saïed et des défenseurs de la souveraineté tunisiennes ont du sens, mais le fait est qu'en dépit de l'hypocrisie des nations occidentales donneuses de leçons, la Tunisie a besoin d'elles, de leurs aides, de leurs prêts et de leurs marchés. L'isolement diplomatique actuel va par ailleurs à l'encontre des ambitions affichées par Kaïs Saïed, qui affirme vouloir imposer un modèle tunisien capable de transformer l'humanité. Or, la réalité est tout autre : la Tunisie est aujourd'hui un pays affaibli, dont l'image internationale ne cesse de se ternir. S'il y a un message à retenir, c'est que le régime de Kaïs Saïed n'a pas les moyens de faire ce qu'il veut, y compris sur le plan intérieur.