Le président de la République croit que la Tunisie, sous son égide, bénéficie d'un respect international. À la lecture des communiqués des différentes organisations internationales et les articles de la presse étrangère, le président semble vivre sur une autre planète. On a beau le croire disparu, le complexe de l'étranger est encore de mise chez certains, particulièrement le président de la République. Ce complexe qui réside à chercher de la reconnaissance étrangère pour ce que l'on fait. En recevant son ministre des Affaires étrangères, Nabil Ammar lundi 31 juillet 2023, Kaïs Saïed a exprimé « la fierté de la Tunisie du respect dont elle bénéficie désormais dans les événements internationaux grâce à ses positions de principe basées sur cette nouvelle approche ». L'approche en question est son idée saugrenue de « l'instauration d'un nouvel ordre mondial plus égalitaire qui ne privilégie pas certains pays au détriment d'autres, puisque l'absence de justice engendre la pauvreté, les guerres et le terrorisme ». Les propos présidentiels interpellent, car ils supposent que la Tunisie n'était pas respectée avant lui. Or ceci est faux, totalement faux. En témoignent les prix Nobel de 2014 et les accueils internationaux grandioses dont ont bénéficié ses deux prédécesseurs Béji Caïd Essebsi et Moncef Marzouki. Bon à rappeler, feu Caïd Essebsi a été reçu à la Maison Blanche dans le Bureau ovale, alors que la visite washingtonienne de Kaïs Saïed a été un véritable ratage. Il n'a eu aucun tête-à-tête avec son homologue Joe Biden et son entretien avec le secrétaire d'Etat Antony Blinken était risible. On se remémore encore comment il lui a parlé de Bonheur national brut, du magazine qu'il a emporté avec lui et d'autres inepties. Il y a d'ailleurs eu deux comptes-rendus différents de cette rencontre, l'une de Carthage, édulcorée, et l'une du State department, factuelle.
Au-delà de l'histoire précédant le putsch du 25 juillet 2021, et puisque Kaïs Saïed évoque l'étranger pour s'auto-octroyer des satisfecit, il est bon d'attirer l'attention du président sur tout ce que dit cet étranger sur son régime et la Tunisie post 25-Juillet. Curieusement, quand il s'agit de critiques, le président crie à l'ingérence, mais quand il s'agit d'hypothétiques satisfecit, il parle de respect international. Quoi qu'il en soit, un peu partout dans le monde, la Tunisie ne figure plus sur les agendas comme avant et ceci est un constat. Du côté américain officiel, le régime de Kaïs Saïed est fortement critiqué, aussi bien par le State department, que le Congrès, des députés, des sénateurs, d'anciens diplomates et même l'actuel ambassadeur avant sa prise de fonctions. Du côté européen, il est indéniable que le président de la République a les faveurs de la Commission européenne et de certains pays, notamment celles intéressées de la présidente du Conseil italien Giorgia Meloni. Mais ces témoignages gratifiants s'arrêtent là, si l'on excepte la France dont le président a de la sympathie particulière pour son homologue tunisien. Du côté du parlement européen, on ne se fait pas d'illusion et on ne mâche pas ses mots pour dénoncer le régime de Kaïs Saïed. Il y a à peine quinze jours, des parlementaires européens se sont opposés à tout accord inconditionnel avec la Tunisie. Avec certains pays, comme la Turquie, c'est le froid total. Du côté maghrébin, les relations avec la Libye sont en dents de scie et les relations avec le Maroc sont bien coupées après l'incident diplomatique provoqué par Kaïs Saïed lui-même en août 2022. Les relations avec la Mauritanie sont au point mort et il n'y a que l'Algérie qui regarde d'un bon œil le président tunisien et son régime. Avec le monde arabe, ce n'est pas trop la joie si l'on excepte l'Egypte. Rien à voir en tout cas avec les accueils grandioses dont a bénéficié feu Caïd Essebsi à Amman ou Moncef Marzouki à Doha. Avec l'Afrique, c'est le pompon et la Tunisie vit, actuellement, la pire crise de son Histoire avec les pays de l'Afrique subsaharienne. En cause, la politique migratoire de la Tunisie, jugée raciste par plusieurs.
Loin des positions officielles des Etats, du côté des organisations officielles, les témoignages gratifiants sont loin, très loin, d'être nombreux. On peut même dire qu'ils sont inexistants. Du côté de l'ONU, le secrétaire général de l'organisation, Antonio Gutteres a déclaré espérer un rétablissement complet des institutions démocratiques en Tunisie. Le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale des Nations Unies (CERD) a exhorté, le 4 avril 2023, la Tunisie à mettre fin aux discours de haine à caractère raciste à l'encontre des migrants subsahariens. Dans un communiqué émis, vendredi 23 juin 2023, le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'Homme, Volker Türk, a exprimé « sa profonde préoccupation face aux restrictions croissantes du droit à la liberté d'expression et à la liberté de la presse en Tunisie ». La Commission de Venise a épinglé plusieurs décisions de Kaïs Saïed et s'est vue tirer à boulets rouges par ce dernier qui a déclaré ses membres persona non grata en Tunisie. Du côté des ONG, on ne compte plus les communiqués de grandes organisations internationales dénonçant le régime de Kaïs Saïed. Amnesty International, Human Rights Watch, Reporters sans frontières, pour ne citer que celles-ci, ont multiplié les communiqués épinglant les violations de libertés, les atteintes aux Droits de l'Homme, le décret 54, la politique migratoire envers les Subsahariens, etc. Du côté des agences de notation internationales, comme Fitch et Moody's, la notation de la Tunisie ne cesse de régresser et a connu, sous ce régime, sa note historique la plus basse. La note CCC- digne des pays sous-développés. La dernière dégradation date du 9 juin dernier. Du côté de la presse internationale, enfin, on ne trouve aucune trace, absolument aucune, d'un article journalistique vantant le régime de Kaïs Saïed. Quant à sa nouvelle approche d'établir un nouvel ordre mondial plus égalitaire, il n'a fait l'objet d'aucun débat, d'aucun éditorial ni d'article d'analyse. Au maximum, des articles factuels de comptes-rendus d'événement.
En parlant de la « fierté de la Tunisie du respect dont elle bénéficie désormais dans les événements internationaux », Kaïs Saïed reproduit les pratiques du régime de Zine El Abidine Ben Ali qui faisait systématiquement l'impasse sur les articles critiques et mettait en valeur les quelques témoignages gratifiants. Il fait exactement comme lui en dénonçant l'ingérence de ceux qui le critiquent et en valorisant ceux qui le louent. La différence est qu'on a beau chercher dans la presse internationale une quelconque partie qui loue le régime de Kaïs Saïed et parle de son approche, on n'en trouve pas ! Ben Ali, au moins, ne partait pas du vide et avait réellement des chefs d'Etat et des articles de presse internationaux faisant son éloge. Pour Kaïs Saïed, on ne peut citer que Meloni, Macron, Sissi et Tebboune qui sont vraiment de son côté. Paradoxalement, ce même Kaïs Saïed content de citer des témoignages étrangers gratifiants était celui qui tirait à boulets rouges en octobre 2021 (et d'autres occasions) contre les étrangers qui ont spolié l'argent des Tunisiens et soutenu ses prédécesseurs.