Il était prévu qu'une grande manifestation de soutien au journaliste Mourad Zeghidi ait lieu ce dimanche. Elle n'aura pas lieu. Elle a été interdite par les autorités, qui ont informé la direction de la salle où devait se tenir cette manifestation qu'une autorisation préalable était nécessaire pour ce genre d'événements. Pourtant, l'un des acquis de la révolution était de rétablir le droit d'organisation et de rassemblement dans le pays après des décennies de répression, de privations et de restrictions. Le régime d'autorisation, qui était imposé, a été naturellement remplacé après la révolution par un régime de simple information. Il suffisait de mettre les autorités locales au courant de la manifestation prévue, dans le but d'en garantir le bon déroulement. Une justice mise en scène, une démocratie bâillonnée Pour la manifestation de soutien à Mourad Zeghidi, le bon déroulement de cette rencontre était pratiquement garanti. Sa famille, ses collègues et ses amis voulaient simplement alerter sur l'arbitraire que subit ce journaliste depuis 365 jours — soit une année entière — sans avoir commis aucun délit, sauf celui d'être journaliste. C'était sans compter la frustration d'un pouvoir en manque d'autorité et nostalgique du bon vieux temps et des bonnes vieilles méthodes. D'ailleurs, ce n'est pas la première fois que le régime actuel se permet d'interdire une manifestation civile pour les mêmes motifs fallacieux. Il y a quelques semaines, un collectif citoyen avait envisagé d'organiser, dans la même salle de la capitale, un procès simulé du procès équitable. Il a été interdit d'organiser ce procès, qui a finalement eu lieu dans les locaux de la Ligue des droits de l'Homme. Quelques jours plus tard, les lourdes peines prononcées dans le cadre du verdict de l'affaire dite de « complot contre la sûreté de l'Etat », ainsi que le déroulement de ce procès, ont confirmé l'urgence d'une réflexion collective et citoyenne sur la justice et les moyens de garantir un procès équitable pour tous.
Le cas Jarraya : une réduction de peine qui interroge La révision des peines de l'homme d'affaires sulfureux Chafik Jarraya, à la fin de la semaine dernière, et la réduction de celles-ci de 101 à quatre ans d'emprisonnement, est l'une des marques les plus troublantes des bizarreries du système judiciaire tunisien. Une telle bizarrerie aurait été impensable sans la bienveillance du pouvoir politique. Une bienveillance murmurée depuis deux ans au moins, avec l'ouverture de l'affaire dite du complot contre l'Etat. L'un des plus importants témoins à charge, le fameux témoin XX, n'était autre que Chafik Jarraya. Des bruits couraient depuis qu'un accord avait été conclu entre l'ancien ministre de l'Intérieur et Jarraya pour enfoncer les impliqués dans ce dossier, moyennant la réduction de ses peines. La pratique de confondre les peines est certes connue et utilisée dans les systèmes judiciaires du monde entier. Dans plusieurs autres systèmes, des accords sont conclus entre des procureurs et des malfaiteurs repentis pour faire tomber leurs anciens camarades, en échange d'une réduction de peine ou même, dans certains cas, de leur libération pure et simple. Cela s'est vu dans des affaires de terrorisme, comme en Algérie, ou de mafias, comme en Italie. Seulement, ces accords ne se font jamais en catimini : ils sont annoncés publiquement au cours du procès.
Témoignage arrangé et justice à géométrie variable Concernant Chafik Jarraya, ce n'est pas le cas. D'abord, parce que son témoignage ne vise pas ses anciens frères d'armes, mais ses adversaires de longue date, comme Kamel Letaïef, qui a écopé de 66 ans d'emprisonnement. Ensuite, parce que son témoignage n'est pas fiable : il relate des faits qui auraient eu lieu alors qu'il était déjà incarcéré. Enfin, parce que l'accord en question n'a jamais été dévoilé de manière publique et officielle. Quoi qu'il en soit, Chafik Jarraya restera en prison pour des affaires en cours, touchant non pas de simples délits de falsification ou de malversation, mais des crimes de corruption, de blanchiment d'argent, de trafic d'armes et même de terrorisme. Il serait grotesque de penser que l'accord du témoin XX avec l'ancien ministre de l'Intérieur couvre également tous ces dossiers. Auquel cas, nous fredonnerions en chœur le refrain revisité de la chanson d'Enrico Macias : « Oh qu'elle est jolie, la justice de mon pays ! ».