Incarcéré depuis octobre 2023, Taoufik Mkacher fait face à une succession d'affaires aux ramifications multiples. Condamné une première fois en 2023, renvoyé devant la justice dans plusieurs autres dossiers, il est désormais au cœur d'une vaste enquête pour corruption, blanchiment d'argent et abus de pouvoir. Plusieurs hauts cadres du secteur bancaire sont également impliqués. Retour sur le parcours judiciaire complexe d'un homme d'affaires autrefois influent. Sur la route GP9 qui relie Tunis à La Marsa, les automobilistes se souviennent encore des immenses panneaux publicitaires qui avaient attiré l'attention de toute la capitale. Sur ces affiches, l'homme d'affaires Taoufik Mkacher, président du Croissant Sportif de Chebba, célébrait publiquement son club sportif et ce qu'il présentait comme une victoire contre Attijari Bank. Une banderole géante recouvrait même la façade d'un bâtiment, au niveau des Jardins de Carthage, avec un message explicite : il affirmait avoir remporté son bras de fer avec la banque. Cette campagne d'affichage, exceptionnelle par son ampleur, avait marqué les esprits. Quelques années plus tard, le contraste est saisissant. Depuis octobre 2021, Taoufik Mkacher est en détention. Et loin des messages triomphants, ce sont désormais les juges et les audiences pénales qui rythment son quotidien. L'affaire a pris une ampleur inattendue, impliquant non seulement l'homme d'affaires, mais aussi plusieurs hauts responsables bancaires, un ancien ministre et même un ancien cadre de la Banque centrale de Tunisie.
Une nouvelle audience, une nouvelle affaire Le 2 juin 2025, la chambre criminelle spécialisée dans les affaires de corruption financière, relevant du Tribunal de première instance de Tunis, a fixé une audience à la mi-juin. Elle concerne une nouvelle affaire impliquant Taoufik Mkacher et un ancien haut responsable de la Banque centrale. Selon des sources judiciaires, le dossier porte sur l'octroi d'un prêt bancaire sans garanties suffisantes. Ce prêt, accordé dans des conditions jugées suspectes, aurait été facilité par des réseaux d'influence au sein du système bancaire. Les accusations incluent : blanchiment d'argent en association, détournement de fonds à travers l'usage de sociétés-écrans, octroi illégal d'avantages à des sociétés tierces, dissimulation de documents comptables et usage de fonctions publiques pour en tirer un bénéfice personnel. Le parquet avait déjà rejeté une demande de remise en liberté. Le dossier a été renvoyé devant la chambre criminelle compétente.
Une première condamnation en 2023 Le nom de Taoufik Mkacher est apparu pour la première fois dans un jugement pénal en janvier 2023. La chambre criminelle du Tribunal de première instance de Tunis l'avait alors condamné à deux ans de prison ferme pour escroquerie et falsification. La plainte avait été déposée par Attijari Bank, à la suite de transactions commerciales jugées irrégulières. Cette condamnation s'inscrivait dans un litige commercial et financier plus large, marqué par de multiples contentieux avec plusieurs établissements bancaires, dont Attijari Bank.
Mandat de dépôt et début de détention Le 20 octobre 2023, Taoufik Mkacher est interpellé par la brigade centrale de lutte contre les crimes financiers de l'Aouina. Dix jours plus tard, le parquet du pôle judiciaire financier émet à son encontre un mandat de dépôt. Il est placé en détention préventive et fait l'objet d'une nouvelle enquête pour blanchiment d'argent. Le parquet le soupçonne alors d'avoir utilisé des sociétés liées à son groupe pour organiser des transferts de fonds dissimulés, notamment vers l'étranger, et d'avoir maquillé certaines opérations commerciales. Les autorités évoquent également un recours abusif aux garanties bancaires et à des lignes de crédit non adossées à des garanties suffisantes.
Un état de santé fragile et des tensions autour des visites Au cours des semaines qui suivent son incarcération, des tensions apparaissent autour de ses conditions de détention. Le 8 novembre 2023, lors d'une conférence de presse, son avocat Me Taieb Bessadok dénonce des restrictions de visites imposées à la famille et à la défense. Il affirme que son client souffre d'une fracture de l'épaule, découverte tardivement, et nécessitant une opération urgente. L'opération a finalement lieu à l'hôpital Mongi Slim. Elle dure cinq heures. Dans une lettre rendue publique le 19 novembre 2023, Taoufik Mkacher remercie depuis sa prison, les médecins et exprime son amertume face à ce qu'il considère comme un traitement arbitraire. Il évoque notamment le fait d'avoir été menotté même à l'hôpital. Il affirme avoir été le premier homme d'affaires à initier une démarche de conciliation pénale, dès le 6 juin 2023, avant son arrestation.
Renvoi devant la chambre pénale malgré une expertise favorable Le 17 décembre 2024, après plus de quatorze mois de détention préventive, Taoufik Mkacher adresse une lettre à l'opinion publique. Il y dénonce la décision du juge d'instruction de le renvoyer, avec dix hauts responsables de la STB, devant la chambre pénale spécialisée dans les affaires de corruption financière. Il affirme que l'expertise financière versée au dossier n'a révélé aucun élément frauduleux. Il présente ses excuses aux 23 dirigeants de la STB impliqués à ses côtés, et accuse le système judiciaire d'ignorer les preuves favorables.
Les cadres de la STB impliqués La lettre suivante, datée du 16 janvier 2025, précise les noms des dix cadres de la STB renvoyés avec lui, dont l'ancien ministre de l'Economie Samir Saïed, ex-PDG de la banque. Y figurent également Ali Lahiouel, Maher Drioueche ou encore Mohamed Chouikha. Tous sont poursuivis pour leur implication présumée dans l'octroi de crédits jugés irréguliers. Treize autres cadres de la banque, initialement visés par l'enquête, ont été blanchis par la justice. Le ministère public a toutefois décidé de faire appel de cette décision. Le comité de défense de Taoufik Mkacher estime que ces recours en cascade, ajoutés au silence des institutions bancaires et patronales, fragilisent l'ensemble du climat économique et financier. Le 23 janvier 2025, Samir Saïed est brièvement placé en garde à vue. Convoqué à la Garde nationale d'El Aouina, il est interrogé dans une affaire distincte, liée à des infractions douanières remontant à l'époque où il dirigeait la STB. Il est libéré après 24 heures.
Attijari Bank garde le silence Depuis le déclenchement de cette affaire, Attijari Bank, à l'origine de la première plainte ayant conduit à l'ouverture de l'enquête contre Taoufik Mkacher, a adopté une posture de totale discrétion. Aucun communiqué officiel n'a été publié, aucun représentant de la banque ne s'est exprimé publiquement, et aucune prise de position n'a été relayée dans les médias. Ce silence tranche avec la médiatisation des lettres de l'homme d'affaires, les interventions de ses avocats, et les nombreuses conférences de presse organisées par son comité de défense. Cette attitude, perçue par certains observateurs comme une volonté de ne pas interférer avec le travail de la justice, contribue à maintenir une certaine tension dans l'opinion. Les proches de Taoufik Mkacher y voient parfois une stratégie d'évitement ou une forme de désengagement moral dans une affaire qui, pourtant, touche de près aux équilibres du secteur bancaire tunisien. D'autres estiment que cette réserve traduit simplement une prudence institutionnelle dans un dossier encore en cours d'instruction. Mais au fil des mois, ce silence contraste de plus en plus avec l'ampleur des développements judiciaires, les nouveaux renvois devant la chambre pénale, et l'élargissement du cercle des mis en cause. Si l'ensemble des institutions bancaires tunisiennes est concerné, à travers l'implication d'anciens PDG, de cadres de la STB et même d'un ancien haut responsable de la Banque centrale, Attijari Bank, de son côté, maintient sa ligne : ne rien dire, et laisser la justice suivre son cours.
Un dossier encore ouvert À l'heure actuelle, aucune date de jugement définitif n'a été fixée pour l'ensemble des affaires impliquant Taoufik Mkacher. Entre condamnations déjà prononcées, renvois devant la chambre pénale et procédures en instance, le parcours judiciaire de l'homme d'affaires est loin d'être achevé. Le sort des autres mis en cause, notamment les cadres bancaires, reste lui aussi suspendu aux prochaines décisions de justice. En attendant, l'instruction se poursuit, dans un climat marqué par la complexité des dossiers, la sensibilité des institutions concernées et une attente grandissante autour des prochaines audiences. Bien entendu, la présomption d'innocence prévaut sur les 23 cadres de la STB, l'actuel PDG de banque, l'ancien haut cadre de la Banque centrale et, naturellement, Taoufik Mkacher lui-même. Sauf que la météo politico-judiciaire est loin d'être clémente. Il y a en cette période une véritable cabale contre les hommes d'affaires et les magistrats et on cherche, par tous les moyens, à renflouer les caisses de l'Etat à travers la condamnation de ceux qui se sont enrichis d'une manière douteuse.