Les sessions parlementaires de l'Assemblée des représentants du peuple et du Conseil national des régions et des districts ont pris fin avec le mois de juillet passé. Si une pléthore de discours a été entendue à propos de « révolution législative », dans les faits, le bilan reste faible, de l'aveu même de certains députés. Retour sur l'activité des deux chambres du parlement, où la gesticulation a pris le pas sur l'action. Les députés auront beau s'en défendre, jamais un parlement n'aura eu la chance de travailler dans une atmosphère aussi calme et aussi dénuée de vraie opposition. Tous les parlementaires sont des défenseurs du processus du 25-Juillet, même si certains ont l'audace d'en critiquer certains aspects. Ils n'ont pas l'obligation de traiter avec un gouvernement hostile, ni celle de prendre en considération des équilibres politiques fragiles obtenus entre des partis opposés. Tout ce beau monde évolue dans la même sphère consécutive au coup de force exécuté par le président Kaïs Saïed. Pourtant, cela n'a pas été synonyme de fluidité, de rapidité ni d'efficacité. Le parlement a mis tellement de volonté à ne pas ressembler à ses compositions précédentes que, finalement, il y ressemble de plus en plus.
Le parlement des prêts Le parlement tunisien n'a pas su donner l'image d'une institution efficace de l'Etat qui représente la volonté populaire. La pauvreté des travaux, la maigreur des ordres du jour et la docilité de l'institution ont donné l'impression, à un large pan du reste de la population qui suit encore la chose publique en Tunisie, que l'ARP est une chambre d'enregistrement des desiderata du gouvernement. Même le président de la République le dit : la « révolution législative » est toujours attendue. Des promesses des différents élus lors de leurs campagnes électorales, il ne reste plus aujourd'hui grand-chose à la fin de la troisième session des travaux des deux chambres. Pire encore, un sobriquet a commencé à suivre l'actuelle ARP : le parlement des prêts. En effet, beaucoup d'observateurs ont dénoncé le fait que le parlement passe le plus clair de son temps à adopter des prêts extérieurs. Par ailleurs, pour la deuxième année consécutive, le parlement a accepté, dans l'urgence, d'obliger la Banque centrale de Tunisie à financer directement le budget de l'Etat, le tout à quelques heures du délai légal de vote sur la Loi de finances. En parallèle à cela, les grands chantiers économiques comme le Code des changes, le Code de l'investissement et autres textes essentiels restent dans les tiroirs, même si, il faut le dire, beaucoup de députés s'en agacent ouvertement. On se souvient également, lors de la discussion de la Loi de finances 2025, de la polémique qui a suivi l'article du « torchi ». Un élu a tenté de faire passer un article concernant la baisse des droits de douane à l'importation des olives et de la variante. Il s'est avéré ensuite que l'élu en question possédait une usine de mise en conserve d'olives et de variantes. Plus récemment, la proposition de loi sur l'amnistie des chèques sans provision a été jetée à la poubelle par le président du parlement, Brahim Bouderbala, entre autres parce qu'il s'est avéré que l'un des élus ayant proposé cette amnistie allait en profiter directement, étant lui-même impliqué dans des affaires de chèques sans provision. Ces deux épisodes cassent aussi l'image d'un parlement moralement au-dessus de tout soupçon, dont les membres se sont échinés à vilipender les anciens députés. Tout le système actuel a voué les anciens élus aux gémonies, en les accusant d'être des voleurs et des corrompus qui n'ont fait que monnayer leur pouvoir. Le président de la République avait aussi évoqué des élus qui s'étaient enrichis et parlé d'articles de lois qui se vendaient à 150 mille dinars. Rien de tout cela n'est prouvé à ce jour. En revanche, un parlement qui prétend à la « propreté » et à la « moralité » ne peut pas se permettre que l'on attrape ses membres avec la main dans le pot de miel. Nous avons également eu droit au petit folklore qui accompagne les travaux parlementaires, comme les propositions de lois qui suivent la mode du moment, après une noyade ou un fait divers quelconque. Nous avons également vu une députée déposer sa démission avant de se rétracter parce que « les élus de son bloc parlementaire tiennent beaucoup à elle ». D'autres lois ont été discutées et adoptées sans tenir compte des conséquences économiques, comme la loi sur les chèques ou encore l'interdiction de la sous-traitance. Le tout agrémenté d'interventions grotesques au micro du parlement, le plus souvent devant des ministres désemparés qui ne fournissent pas de réponses concrètes. Néanmoins, il existe aussi des points positifs à mettre à l'actif de l'assemblée, comme le récent amendement de l'article 96 du Code pénal. Un effort conséquent a également été fourni concernant le projet Elmed et sa partie législative. Il existe également plusieurs propositions de loi importantes soumises par les députés, dont le projet de loi sur la liberté économique, celui sur les structures sportives ou l'amendement du tristement célèbre décret-loi 54.
Conseil national des régions et des districts : une chambre qui fait écho L'autre chambre du parlement, le Conseil national des régions et des districts (CNRD), a encore beaucoup de mal à s'implanter dans le paysage politique et institutionnel tunisien. Sans une intervention osée de l'élue Zakia Maaroufi, le 1er août 2025, évoquant « Zokret Brayek » devant la ministre des Finances, l'opinion publique n'aurait probablement pas entendu parler du CNRD. À l'origine, cette chambre devait représenter les plus petites localités et être un vrai moteur, au moins de propositions, pour le développement du pays. C'est du moins l'idée première de l'instigateur de cette deuxième chambre, le président de la République Kaïs Saïed. Il s'agit de la matérialisation de son idée de « construction par les bases ». Toutefois, en termes d'impact sur le processus législatif et sur la scène politique tunisienne, la chambre est totalement absente. Il existe des tentatives pour remettre le CNRD au cœur des événements, notamment en impliquant les conseils, à tous les niveaux, dans la mise en place du plan de développement 2026-2030. Toutefois, rares sont ceux qui savent précisément à quoi sert cette institution et quel est son apport, sachant que cette institution est payée par l'argent du contribuable. Ceux qui rêvaient d'une « révolution législative » en sont pour leurs frais. Le chantre du président de la République, Ahmed Chaftar, disait à la une des journaux qu'après les élections nous verrions des merveilles. Finalement, l'échec est patent, comme celui d'Ahmed Chaftar d'ailleurs aux mêmes élections. Aujourd'hui, le rendement du parlement est problématique et plusieurs élus n'hésitent pas à avouer, avec amertume, qu'ils n'ont pas d'impact sur les choix et les politiques publiques. De l'autre côté, il y a un Conseil national des régions et des districts dont la mission est obscure et les prérogatives inconnues, ajoutant à la confusion générale. Ces discussions reprendront en septembre prochain, le temps que « les guerriers » se reposent.