L'ancien ministre de l'Emploi et de la Formation professionnelle, Faouzi Ben Abderrahman, a partagé, vendredi 15 août 2025, sur ses réseaux sociaux, un long témoignage sur ses relations avec l'Union générale tunisienne du travail (UGTT) et sur son rôle dans la vie politique et sociale durant la décennie qui a suivi la révolution. « Lorsque j'étais membre du gouvernement, j'ai eu de nombreuses rencontres avec les représentants de l'UGTT, du secrétaire général aux membres du bureau exécutif, en passant par les représentants de la Fédération de la formation professionnelle », écrit-il. Ces rencontres, explique-t-il, prenaient diverses formes : bilatérales ou collectives, organisées dans le cadre de projets gouvernementaux — notamment la loi sur l'économie sociale, ou lors de réunions au format "5+5" entre le gouvernement et l'Union. Faouzi Ben Abderrahman affirme se souvenir clairement de ses échanges bilatéraux avec les dirigeants syndicaux, abordant la situation politique, les relations avec les partis au pouvoir, la corruption généralisée, la situation économique et le rôle de l'UGTT. Certaines discussions, dit-il, ne peuvent être révélées « par respect de l'intégrité des échanges ». Mais il retient plusieurs vérités sur la « décennie de liberté », qui permettent selon lui de mieux comprendre la situation actuelle, conséquence directe de cette période. Pour l'ancien ministre, l'UGTT a été un acteur central de la décennie de transition démocratique et « la force la plus influente dans les événements ». L'organisation syndicale participait, selon lui, à la nomination ou à la destitution des ministres, contrairement à ce qui a été affirmé par la suite. Il souligne également que son influence était particulièrement forte dans des secteurs clés tels que l'éducation, la santé et le transport, où elle pouvait imposer ou refuser une décision. Contrairement à l'image souvent véhiculée, Faouzi Ben Abderrahman estime que la véritable force de l'UGTT ne résidait pas dans les grèves, mais dans sa capacité à négocier, à imposer le débat et à fixer l'agenda des discussions. Cette puissance était renforcée par l'absence d'interlocuteurs de poids du côté du patronat comme du gouvernement. Il décrit d'ailleurs « une machine rodée et hautement professionnelle » face à « une naïveté et une incompétence totales » du côté opposé, dues à un « manque de vision et de connaissances » qu'il qualifie de « risible s'il n'était pas si triste ». L'ancien ministre rapporte qu'au sein de l'UGTT, la direction était consciente de la nécessité de réformer l'organisation pour la débarrasser des influences du pouvoir et de l'absence de reddition de comptes. Les dossiers problématiques étaient connus de tous, mais les rapports de force internes empêchaient toute réforme, malgré une volonté sincère constatée à un certain moment. Faouzi Ben Abderrahman insiste sur le « réalisme politique » de l'UGTT, un trait historique qui lui a permis de dialoguer avec toutes les forces politiques, qu'elles soient de droite, de gauche ou libérales, avec la même efficacité, profitant de la faiblesse du pouvoir en place. Contrairement aux discours actuels, il n'y avait selon lui « aucun conflit fondamental avec les islamistes », même si « une hypocrisie mutuelle » était perceptible. À ceux qui accusent l'UGTT d'hégémonie, il répond que « ce n'est pas comprendre la nature de l'équilibre du pouvoir de l'époque ». Ce qu'il fallait saisir, selon lui, c'était la faiblesse du pouvoir, « une faiblesse mortelle, accompagnée d'un opportunisme flagrant et vulgaire ». L'ancien ministre explique que les luttes idéologiques internes à l'UGTT avaient auparavant peu d'impact, car la ligne directrice était unique et la position de force permettait à toutes les tendances de s'exprimer. Mais la situation a changé après le congrès extraordinaire qui a modifié les règles démocratiques internes. Les divergences sont devenues plus visibles, amplifiées par la position de l'organisation vis-à-vis du processus du 25 juillet. Ce qui s'est passé ensuite à Monastir a marqué, selon lui, « l'aboutissement naturel » d'une fracture interne, aujourd'hui transformée en division profonde. Il constate aussi la domination du courant Watad dans les décisions de l'organisation. Comme les partis au pouvoir après la révolution, l'UGTT n'avait pas de véritable projet de société, estime-t-il. Les conflits restaient tactiques et ne se transformaient jamais en débats de fond sur le système économique, le système politique ou l'édification d'institutions républicaines solides. En conclusion, Faouzi Ben Abderrahman appelle à reconnaître que tout déséquilibre entre la force du capital, la force du travail et le rôle régulateur de l'Etat fragilise la société et sa capacité à résister aux chocs extérieurs, menace la paix sociale et la souveraineté nationale. Il considère que la domination actuelle du pouvoir, face à la faiblesse des forces du travail et du capital, n'aurait pas été possible sans leurs fragilités internes. Selon lui, la reconstruction future, après la période autoritaire, devra s'appuyer sur « des esprits stratégiques » capables de rebâtir un nouveau contrat social offrant « un véritable projet d'avenir pour le pays ».