Les avocats tunisiens tiennent leurs assemblées électives vendredi 12 et samedi 13 septembre 2025. Demain, quelque 9.000 membres de la profession éliront un nouveau conseil de l'Ordre et désigneront celui ou celle qui succédera à Hatem Mziou au bâtonnat. Trois noms se détachent nettement dans les pronostics : Boubaker Bethabet, Mohamed Mahjoub et Hassen Toukabri. Boubaker Bethabet, favori des jeunes et figure de terrain Me Boubaker Bethabet apparaît comme le candidat le plus en vue. Soutenu par une large frange de jeunes avocats, il est réputé proche – voire très proche – de l'ancien bâtonnier panarabiste Béchir Essid. Signe distinctif : il est le seul des trois prétendants à s'être régulièrement montré dans les procès à caractère politique visant des confrères. On l'a vu notamment à la Maison de l'avocat lors de l'arrestation musclée de Sonia Dahmani et de Mehdi Zagrouba. Me Bethabet entretient par ailleurs des liens solides avec le milieu tunisien des affaires, défendant plusieurs hommes d'affaires actuellement en détention. Paradoxalement, il est aussi connu pour sa proximité avec Me Naoufel Saïed, frère du président de la République. Cette double inscription – auprès du barreau militant et du monde des affaires – en fait un profil à la fois clivant et rassembleur.
Mohamed Mahjoub, l'héritier fragilisé Deuxième favori, Me Mohamed Mahjoub bénéficie d'un soutien historique des régions de Sfax et du Sahel. Plusieurs confrères le décrivent comme le clone de l'actuel bâtonnier Hatem Mziou, dont il partage le style conciliant avec le pouvoir. Mais le vent semble avoir tourné ces dernières semaines. Beaucoup d'avocats disent ne plus vouloir d'un bâtonnier perçu comme accommodant avec le régime, à l'image de ses deux prédécesseurs. Hatem Mziou s'est illustré par une politique d'apaisement, notamment en refusant l'intégration au barreau des magistrats limogés. Cette décision n'a pas seulement laissé ces juges sans ressources, elle a eu un effet bien plus profond : elle a privé les magistrats encore en poste de leur porte de sortie. Jusqu'ici, un juge menacé ou soumis à des pressions politiques pouvait se rebeller en sachant qu'il lui restait l'option de rejoindre la profession d'avocat. En fermant cette issue, Mziou a indirectement contraint de nombreux magistrats à se plier aux injonctions du pouvoir dans des affaires sensibles, faute d'alternative pour préserver leur carrière et leurs moyens de subsistance. Ce contexte provoque aujourd'hui un effritement du vote dans le Sahel et à Sfax, affaiblissant la base régionale de Mahjoub et renforçant mécaniquement la candidature de Bethabet.
Hassen Toukabri, le candidat du ni-ni Troisième prétendant, Me Hassen Toukabri est présenté par certains comme le candidat du pouvoir, mais également d'une frange de la gauche. Dans une interview accordée cette semaine au journal Al Qatiba, il a déclaré n'être « ni pour ni contre » le régime de Kaïs Saïed. Cette neutralité affichée constitue en réalité un positionnement implicite : un message envoyé au pouvoir pour signifier qu'il n'est pas un opposant. Durant cet entretien, Toukabri est resté silencieux sur les arrestations d'avocats pour des raisons politiques ou de liberté d'expression. Ce mutisme, relevé par plusieurs confrères, alimente l'idée qu'il incarne une candidature rassurante pour le régime, mais difficile à assumer pour une profession régulièrement ciblée par les autorités.
Un scrutin décisif pour l'indépendance du barreau et de la justice Au-delà du simple renouvellement de l'Ordre, ce vote pèsera sur l'équilibre de tout l'édifice judiciaire. Le refus du bâtonnier sortant d'accueillir les magistrats limogés a créé un vide de protection qui rejaillit sur leurs collègues toujours en fonction : privés d'une porte de sortie vers la profession d'avocat, beaucoup savent qu'ils doivent composer avec le pouvoir pour préserver leur carrière. Dans ce contexte, le choix du nouveau bâtonnier devient bien plus qu'une affaire corporatiste. Entre un favori des jeunes engagé sur le terrain, un héritier du statu quo fragilisé et un candidat de la neutralité ambiguë, le vote de ce week-end sera lu comme un test majeur de la capacité du barreau à défendre sa propre indépendance et celle de la justice elle-même, dernier rempart contre l'emprise du politique.