L'Affaire General Leasing, qui avait défrayé la chronique depuis trois ans, a connu son épilogue tôt ce matin, mercredi 21 mai 2008, à l'issue d'un long procès marathon en appel de près de vingt heures, avec le prononcé des jugements à la Cour d'Appel de Tunis : de deux ans de prison avec sursis, pour certains inculpés, jusqu'à huit ans de prison ferme pour l'inculpé principal. Récit de la journée marathon d'hier et retour sur la plus grande affaire d'arnaque à la TVA en Tunisie. Le marathon a commencé à neuf heures du matin du mardi 20 mai pour finir mercredi aux aurores, entrecoupé de deux pauses d'une demi-heure. Les interrogatoires, plaidoiries et excuses des inculpés ne se sont achevés que peu après minuit, pour permettre à la cour de se retirer en délibération. Avant de reprendre vers cinq heures du matin pour prononcer le verdict. Sur les 28 accusés, tous inculpés, cinq personnes seulement ont pu rentrer avec un ouf de soulagement : leur peine a été assortie d'un sursis. Il s'agit des quatre femmes et de Samir Marrakchi, ancien directeur général de General Leasing (devenue par la suite Attijari Leasing). Les 23 autres ont écopé de peines de prison ferme allant jusqu'à huit ans pour le huissier notaire. Un verdict qui confirme, pour la plupart, celui prononcé en première instance, à l'exception de M. Marrakchi qui a vu sa peine de deux fois quatre ans de prison ferme allégée à deux ans avec sursis assortie d'une amende de cinquante mille dinars. Autre point à noter concernant le verdict : les inculpés auront à payer chacun une amende, et non (comme en première instance) à payer cinq millions de dinars collectivement et solidairement. Un procès en toute sérénité Le procès d'hier, tout comme celui observé en première instance et dans les autres procès en appel, s'est déroulé en toute sérénité. La cour a brillé, selon plusieurs avocats par sa sérénité. Elle a été très attentive, très respectueuse et très courtoise, malgré la longueur des débats, la complication de l'affaire et le nombre des protagonistes. « Une cour qui fait vraiment honneur à la justice tunisienne et à la Tunisie », nous dira un observateur. Les avocats de la défense ont également brillé dans leurs plaidoiries, de très haute facture juridique. Il est vrai qu'il y avait des ténors du barreau : le bâtonnier Mohamed Lazhar Karoui Chebbi, Hédi Bellakhoua, Imed Belkhamsa, Habib Chatti, Imed Ben Halima, Mongi Zoghlami, Najha Ben Abdallah, Béchir Ferchichi etc. Tour à tour, les arguments de la défense des différents inculpés ont porté sur les notions de statut s'agissant d'affaire de TVA, d'attribution de juridiction s'il s'agit de deniers publics, de la complicité avec des complices, d'entité morale subissant des préjudices moraux, et de solidarité dans le paiement d'une amende sans s'agir d'un crime de foule, ainsi que de la responsabilité effective personnelle du Directeur général alors qu'il ne soit pas partie prenante directe dans le processus, et n'en a tiré aucun profit personnel. De toutes les plaidoiries, fort éloquentes et argumentées, on notera que la cour a fait la part des responsabilités et des culpabilités. Le cas du directeur général, par exemple, est fort significatif. Si, sous certains aspects il pourrait être considéré responsable de quelques faits, en serait-il coupable ? Il est vrai qu'aucun des inculpés n'a accusé M. Marrakchi d'avoir été impliqué dans l'affaire et il n'y a eu aucune preuve l'accablant ou faisant valoir qu'il a touché un millime. La peine prononcée à son encontre, allégée et assortie de sursis témoigne, selon certains observateurs de clémence compréhensive de la situation et vaut acquittement d'un manager intègre, de grande probité. Un verdict qui a été bien accueilli même s'il soulèvera beaucoup de questions à l'avenir. Quelles sont les limites des responsabilités d'un directeur général quand son équipe commet un crime qu'il ignore totalement. Pourquoi c'est lui tout seul qui doit subir les accusations, alors que c'est tout un conseil (dans certains dossiers) qui a approuvé les financements, objets d'arnaques ? C'est pourtant ce directeur général qui a déposé plainte quand il a découvert l'arnaque à la TVA parmi ses clients. La question (d'ordre éthique) qu'on se pose maintenant est pourquoi c'est à lui (et non pas à son employeur Attijari Leasing) de payer l'amende de 50.000 dinars ? Le débat mérite vraiment d'être ouvert au sein du CJD, de l'UTICA ou de l'IACE. Rappel des faits L'histoire de General Leasing a commencé en mai 2005 quand le commissaire aux comptes Ahmed Mansour, fait état de réserves sur la nature de quelques opérations de leasing. La société a acquis auprès d'un fournisseur divers équipements et matériels frigorifiques en vue de les louer financièrement à un client. L'achat de ces équipements donne droit à des exemptions de TVA grâce à un système d'encouragement aux investisseurs agricoles. Il se trouve cependant que sur quelque 208 opérations, 198 étaient fictives. L'opération est d'une banalité extrême, mais elle exige obligatoirement la complicité de quelques parties prenantes. Un investisseur se présente pour obtenir un financement de projet. Dans le cas actuel, il s'agit de chambres frigorifiques. Après l'accord de principe, l'investisseur passe à la Fonapra qui lui accorde une attestation d'exonération de la TVA dans le cadre de l'encouragement de l'Etat pour les projets agricoles. L'attestation dûment visée par l'administration fiscale est présentée à la société de leasing qui débloque les fonds. Dans le cadre de cette affaire, les fonds sont débloqués en un temps record au profit du fournisseur des chambres frigorifiques. L'investisseur invite par la suite un huissier pour attester de la présence réelle des chambres frigorifiques et reçoit, par la suite, sa ristourne de la TVA (de 18%) grâce à l'attestation d'exonération. Il rembourse par la suite la société de leasing, soit à échéances régulières, soit avant terme et en un temps très court qui atteint, dans quelques transactions, moins de 24 heures ! Il se trouve cependant que ces chambres frigorifiques n'ont jamais existé ! En clair, le fournisseur et l'huissier font état de présence d'un matériel fictif ! Ces opérations ont porté sur des financements de l'ordre de 35,453 millions de dinars, 4,442 MDT en 2003 et plus de 31 millions de dinars en 2004. Sur la base de 18% de récupération à chaque opération, on imagine le butin des protagonistes. Quant à General Leasing, elle a obtenu quelque 1,35 million de dinars en frais de dossiers et diverses commissions. C'est cette ligne-là qui a alerté le commissaire aux comptes puisqu'il considère ces opérations d'intermédiation injustement assimilées à des opérations de leasing. Le commissaire aux comptes émet ses réserves et M. Samir Marrakchi, dépose officiellement plainte pour abus et fraude. C'est le déclenchement de l'affaire judiciaire. En parallèle, l'administration fiscale a déclenché son enquête et a conclu rapidement qu'il y avait fraude à la TVA. Elle a ordonné un redressement de quelque dix millions de dinars (en décembre 2005 déjà !). Après concertations lancées par la nouvelle direction de General Leasing, un accord a été trouvé pour que le redressement fiscal ne touche que l'aspect TVA des chambres frigorifiques ayant fait l'objet de transactions fictives. De dix millions de dinars, le redressement a été fixé finalement à 5,6 millions de dinars payables sur sept ans. Pour nouer une telle affaire, la complicité de plusieurs parties était nécessaire : les clients bien sûr, le fournisseur des chambres frigorifiques qui vend du fictif, l'huissier auteur de PV, et des responsables de la société de leasing qui devaient, outre l'huissier, vérifier l'existence du matériel qu'ils ont acquis. Il se trouve cependant que les vérifications qui devaient être opérées par la société de leasing n'ont pas été faites et on s'est limité à accorder les financements demandés, à récolter les commissions et à récupérer ces mêmes financements avant échéance sans broncher. Le banquier, impliqué également, n'a rien vu de suspect face à ces importants mouvements de fonds réalisés en un court laps de temps. Concernant les bénéficiaires des financements, les pseudo-promoteurs de projets, on retrouve des jeunes gens (entre 20 et 30 ans et des jeunes dames).