En Tunisie, la diplomatie économique n'est pas née d'hier. Toujours est-il que la défense des intérêts économiques de la Tunisie à l'extérieur était au cur des missions des représentations diplomatiques tunisiennes. Et de tous temps, la diplomatie tunisienne a fait flèche de tout bois en s'incrustant dans une démarche globale de promotion des exportations et en appuyant les efforts consentis par les autorités publiques et les différentes structures compétentes y afférentes, en la matière. Seulement, la Tunisie a choisi, pour le prochain quinquennat, de passer à l'offensive. En ce sens qu'elle s'apprête à franchir un nouveau cap en recentrant davantage ses politiques économiques extérieures sur les nouvelles zones de chalandise telle que l'Afrique, les pays d'Europe centrale et orientale (PECO), l'Asie et le Golfe, et par conséquent, impliquer inéluctablement notre diplomatie qui sera appelée à redoubler les efforts pour atteindre cet objectif. Ainsi, un recadrage des priorités s'impose. Cette nouvelle orientation était au cur du déjeuner-débat, organisé vendredi 6 aout 2010 au siège du CEPEX. Les ministères des Affaires étrangères et du Commerce ont pris l'initiative de concerter ensemble sur une question on ne peut plus importante : faire de la diplomatie tunisienne un cheval de Troie afin de prospecter, saisir et négocier les nouveaux débouchés qu'offrent des marchés non traditionnels. Le déjeuner-débat auquel ont pris part les représentants des missions diplomatiques tunisiennes, les directeurs des organisations professionnelles, les structures d'appui à l'économie et des exportateurs, les hommes d'affaires et les représentants des médias nationaux, était une occasion pour faire le round up de ce qui a été déjà réalisé et ce qui vient d'être annoncé pour la prochaine période. Ouvrant le débat, Kamel Morjane, ministre des Affaires étrangères, a tenu à préciser que cette réunion intervient juste après l'organisation de la conférence annuelle des chefs des missions diplomatiques et consulaires sur le thème: "L'interaction de la diplomatie avec les appartenances directes de la Tunisie, au service des intérêts politiques, économiques et de développement du pays". Lequel thème a dévoilé les grands traits de la politique extérieure de la Tunisie pour la prochaine étape. Une politique qui bute vers l'ancrage, de plus en plus, de la Tunisie dans son environnement régional direct, son élément naturel, de diversifier les débouchés et, surtout, de voir du côté des nouveaux pôles émergents. Pour M. Morjane, il n'est plus question de conjuguer le verbe "prospecter" à toutes les sauces et de repêcher les opportunités à l'aveuglette. Toutes les parties intervenantes doivent, en l'occurrence les autorités publiques, les structures d'appui et le secteur privé, composer ensemble afin d'échafauder une stratégie conséquente en vue de faciliter l'accès à ces nouveaux marchés sur des bases solides. Les représentants des missions diplomatiques tunisiennes ne doivent pas être du reste. Partant de ce constat, M. Morjane, a tenu à mentionner qu'un ambassadeur n'est pas seulement un représentant de la Tunisie auprès des autres pays, mais également « un commerçant en Chef » à qui on a confié la prospection des nouveaux marchés, l'évaluation de leurs potentiels et le durcissement des relations de coopération et de partenariat à même de propulser les échanges économiques et commerciales. De son côté, Ridha Ben Mosbah, ministre du Commerce et de l'Artisanat, a fait le round-up des mesures prises, ces dernières années, pour prémunir l'économie nationale contre les soubresauts de la conjoncture internationale surtout avec ces "catatonies" économiques et financières récurrentes qu'a connues le monde depuis 2008. La Tunisie, souligne le ministre, n'a pas choisi de se replier sur elle-même ou de s'enfermer dans un bouclier protectionniste. Elle a opté pour une politique d'ouverture volontariste, immunisée par un train de mesures touchant essentiellement le renforcement du commerce extérieur, la diversification des débouchés et le drainage des IDE. Un cap est mis sur les domaines porteurs, tels les services, le tourisme, les nouvelles technologies de l'information et de la communication, les travaux publics, la santé et le transport. Lesquels domaines ont fait de la Tunisie un pôle d'attractivité pour les investisseurs étrangers et un pays dont l'expérience est sollicitée par les pays africains. La Tunisie africaine, pour M. Ben Mosbah, est un enjeu de taille qui nécessite plus de concertation et de coordination avec le ministère des Affaires étrangères. La contribution de la diplomatie économique est plus qu'indispensable. A vrai dire, l'Afrique comme les pays du Golfe ou les pays de la zone PECO ne doivent pas être uniquement un laboratoire pour nos diplomates. Mieux encore, ils doivent créer un pont pérenne entre l'intérieur et l'extérieur, du fait de la complexité grandissante des relations économiques et leur fragilité face aux aléas de la conjoncture. Et c'est ce qui explique, à entendre les responsables tunisiens, la grande importance accordée par le chef de l'Etat à la diplomatie économique dans un contexte où les frontières entre le politique et l'économique se sont complètement effacées. Le maître mot dans tout ça, c'est d'assurer une migration sereine d'une diplomatie commerciale à une diplomatie économique au sens large du terme reposant sur des bases solides et une batterie de bons indicateurs. M. Ben Mosbah a saisi cette opportunité pour appeler nos ambassadeurs à alimenter le système d'information auquel concourent le ministère et les différentes structures d'appui, et d'être en veille permanente. Lors du déjeuner-débat, les ministres n'ont pas été épargnés par l'audience. Les questions posées, appétissantes qu'elles soient, par quelques ambassadeurs et des hommes d'affaires ont porté essentiellement sur les difficultés rencontrées par les hommes d'affaires tunisiens pour décrocher un visa pour leurs invités, dont les pays n'ont pas de représentations diplomatiques en Tunisie et vice-versa, la suppression de certaines liaisons aériennes, la quasi absence des supports pédagogiques et des show-rooms dans les ambassades, les lignes de crédit, la logistique et le transport des biens et services, etc. Concernant les visas, M. Morjane a rassuré les présents en soulignant que les services de son ministère étudient la possibilité d'abolir les visas d'une façon progressive, pour un certain nombre de pays africains. La Tunisie examine, actuellement, un plan de travail concernant l'ouverture des représentations diplomatiques dans les pays africains qui figurent dans le collimateur du secteur privé tunisien. Il n'a pas omis de signaler que les différentes ambassades de la Tunisie, en Afrique ou ailleurs, ne rechignent pas sur les efforts, malgré leurs ressources limitées, afin de faciliter la mission d'hommes d'affaires, de les aider à aplanir les difficultés qu'ils peuvent rencontrer. Nebil Chettaoui, patron de la compagnie aérienne nationale, en réponse à une question posée par notre ambassadeur en République tchèque, Kamel Haj Sassi, sur la suppression de la ligne Tunis-Prague, a admis que les liaisons aériennes directes sont vraiment cruciales, seulement, faute de rentabilité, ladite ligne a été supprimée. Force est de constater, ajoute M. Chettaoui, que cette décision ne concerne que les vols réguliers et non pas les charters. Il n'en demeure pas moins que le transporteur national reste à l'affût des opportunités qui se pointent. Pour sa part, M. Ben Mosbah, a souligné que le ministère travaille actuellment sur le dossier de l'ouverture des lignes des crédits vers quelques pays africains. De même, il a promis d'examiner toutes les propositions se rattachant à l'ouverture des show-rooms dans les ambassades, la fourniture des supports pédagogiques et didactiques et, surtout, la fourniture d'une information économique précise et actualisée aux sociétés et de les appuyer dans les opérations de commercialisation et du contrôle de la qualité. Enfin du concret. C'est ce qui ressort de ce débat-déjeuner. Cela illustre la détermination de la Tunisie à renforcer et à diversifier ses relations de coopération et de partenariat aux plans bilatéral, régional et multilatéral. Sans ambigüité aucune, ce changement de perspective qu'a emprunté la Tunisie en s'ouvrant davantage sur son environnement direct, est le fruit d'une grille de lecture extrêmement méticuleuse d'une nouvelle "grammaire" des relations internationales. Walid Ahmed Ferchichi