Même pas encore installé, le président provisoire de la République Moncef Marzouki a commencé par cumuler les bourdes à l'encontre de ses concitoyens. Avec des avertissements à peine voilés, des pointes de mépris et beaucoup d'arrogance, le parti du président élu grâce au plus fort reste (17825 voix) se met à dos une bonne partie de l'opinion publique qui voit, en ces actes, un simple retour en arrière. Quant au parti Ennahdha, réellement au pouvoir, il joue tantôt aux pompiers, tantôt au simple observateur muet, calculant les dividendes qu'il peut récolter des gaucheries de ses alliés. La passation du pouvoir, mardi 13 décembre, entre Foued Mebazzaâ et Moncef Marzouki avait quelque chose de frappant pour n'importe quel observateur. Le contraste entre la grande élégance du président sortant et la tenue très négligée du président entrant. En burnous et sans cravate, le nouveau président de la République, aux pouvoirs des plus restreints, a voulu faire simple, proche du peuple, très ordinaire. Comme si le « peuple » ne porte pas de cravate et comme si celle-ci est exclusive à une classe particulière. De tous temps, et partout dans le monde, la fonction du président de la République exige une certaine aura et un certain paraître pour refléter le prestige de la fonction. Non seulement le président provisoire Marzouki a privé ses concitoyens de cette image, mais en plus son message était incompréhensible. Quel peut, en effet, être ce message de porter un burnous berbère (alors qu'il a toujours clamé son nationalisme arabe), sur un costume ordinaire occidental ? A rappeler, à ce propos, que parmi tous les chefs d'Etat, dans le monde entier, le seul qui portait des tenues extravagantes était Mouammar Kadhafi. Ibrahim Gassas avec sa tenue touareg traditionnelle ou Abdelfattah Mourou avec sa jebba et chéchia tunisois, non moins élégantes, paraissent nettement plus fidèles aux pures traditions vestimentaires de la Tunisie, tout en paraissant avenants. Voire gracieux. Précédemment, en prononçant son discours d'investiture, le président de la République a eu ce malheureux mot qui a déclenché, non sans raison, toute une polémique. Le mot en question étant « Essafirat » signifiant, en arabe littéraire, femme ne portant pas le voile. Reste que les Tunisiens ne parlent pas l'arabe littéraire et que les mots ont pris, depuis longtemps, des sens différents. Outre le mot, c'est toute la phrase de Marzouki qui est devenue gênante. Interrogée par le quotidien La Presse, l'avocate et militante tunisienne Saïda Garrach, explique parfaitement la gaucherie présidentielle : « J'ai été choquée par le terme «Essafirat» utilisé dans l'allocution du nouveau président, surtout venant d'un ancien militant des droits de l'Homme et ancien président de la LTDH. Un défenseur des droits de l'Homme est censé savoir qu'il ne doit jamais faire de distinction entre les êtres humains en fonction de leur race, sexe, habillement, nationalité ou appartenance religieuse. Faire cette distinction entre les Tunisiennes en les classifiant entre intégralement voilées, voilées et non voilées, c'est les appréhender à travers leur appartenance religieuse qui se manifeste par leur habillement. Dans la langue arabe, le terme «Essafira» désigne celle dont le visage est découvert, mais l'usage en est péjoratif parce qu'elle est mise en opposition avec celle qui est couverte et qui est considérée plus pure et moralement au-dessus de tout soupçon. On retourne là donc au rapport avec le corps et le malaise qu'il engendre dans notre culture. J'aurais souhaité qu'après la révolution, et étant donné son passé de militant dans le domaine des droits de l'Homme, que le nouveau président, qui maîtrise aussi bien l'arabe que le français, choisisse mieux ses termes en s'adressant à toutes les Tunisiennes en tant que citoyennes dans leurs différences sociales et économiques et non pas vestimentaires. » L'autre bourde présidentielle, dans le discours d'investiture, est cette façon de tancer l'opposition et certains partis précisément (tel que l'UPL), alors que le moment était des plus solennels et n'autorisait aucun calcul partisan. Le président se devait de rassembler l'ensemble des citoyens et des couleurs politiques et d'être au-dessus de la mêlée. Enfin, on ne peut oublier son omission de citer l'engagement des agents de la sûreté nationale qui ont assuré la sécurité durant des mois très difficiles dans une situation instable. Il est impératif que le président de la République se mette dans la peau d'un véritable homme d'Etat reflétant l'image digne de la Tunisie. Les bourdes de Moncef Marzouki seraient passées inaperçues, ou à la limite excusées, si elles n'avaient pas été commises au cours d'un moment historique et si elles n'étaient pas précédées par d'autres bourdes, bien plus graves, commises par ses élus du CPR. A commencer par le champion Tahar Hmila, président du groupe parlementaire du parti de Marzouki. Par deux fois, il accuse ouvertement, gravement et sans preuves, la Centrale syndicale. S'il a été excusé la première fois, on doute fort qu'il le sera une seconde. Pire encore, lorsqu'il a traité les « sit-inneurs » du Bardo d'être des déchets de la francophonie. Une attitude méprisante qui n'honore nullement un parti vainqueur aux élections, tout en étant inutile. Quel profit politique peut-on avoir en stigmatisant une partie de la population, alors que l'on est censé rassembler toutes les couleurs politiques autour d'un projet supérieur ? Autres bourdes du CPR, celle de Mohamed Abbou qui s'est amusé à condamner certains opposants, qui n'étaient pas d'accord avec ses idées, en usant d'un verbiage qu'il connait parfaitement : « Ennemis du peuple, traitres, ils nous mettent les bâtons dans les roues… ». Et si Abbou connait ce verbiage, c'est parce qu'il en était lui-même accusé par les militants du RCD et les acolytes de Ben Ali il n'y a pas si longtemps. Il faut dire qu'on attend, encore et toujours, les preuves promises par Abbou « contre les fauteurs de troubles parmi les partis perdants », selon ses propres termes. Non seulement Mohamed Abbou a fait preuve d'une inélégance inouïe, mais en plus il s'est montré ingrat à l'égard de l'un des rares partis de l'opposition d'hier qui l'ont défendu sans relâche. Pendant les deux années où Abbou était dans les geôles de Ben Ali, l'hebdomadaire Al Maoukif (organe du PDP) rappelait à la Une et à chaque numéro cette injustice. Pendant ce temps-là, Moncef Marzouki était sur les Champs-Elysées. Et puis, il y a cette offense humiliante proférée vendredi dernier à l'encontre de Brahim Gassas. Un élu s'est moqué de son nom de famille avec une extraordinaire lâcheté. Selon certains élus, ce serait Abderraouf Ayadi (vice-président du CPR au moment des faits) qui serait derrière cet affront. Le nom a fait le tour des réseaux sociaux et le CPR n'a jamais démenti. Il arrive, suite à ces bourdes du CPR, que les leaders d'Ennahdha sortent jouer les pompiers. Noureddine Bhiri ou Samir Dilou en sont devenus spécialistes. La photo de M. Bhiri enlaçant Néjib Chebbi, juste après la bourde de Abbou, a fait le tour des réseaux sociaux et de plusieurs journaux. Le même Bhiri qui a présenté des excuses au nom de l'ensemble de l'Assemblée pour Gassas en colère. Et quand l'UGTT a été tancée par Tahar Hmila, la première fois, c'est Hamadi Jebali en personne qui est allé s'excuser auprès de Abdesselem Jerad. Jusqu'à quand les leaders d'Ennahdha vont recoller les morceaux ? Sans parler du fait que, contrairement à l'actuel président de la République, leur charisme et leur prestance sont mis en valeur par des costumes modernes et même de grandes griffes pour quelques uns. Certains y voient une récupération politique en préambule aux prochaines élections comme pour dire : « L'opposition est en miettes et s'entre-déchire et nos alliés sont incapables de présenter une bonne image de la Tunisie que vous voulez ». Tel que l'on observe le paysage politique actuel, alors que le gouvernement n'est même pas encore formé, il semble évident qu'il n'y a qu'Ennahdha qui continue à sortir du lot. Et ce n'est qu'un début ! Raouf Ben Hédi