La très attendue séance d'audition du gouverneur de la Banque Centrale de Tunisie (BCT), Mustapha Kamel Nabli, devant la commission des finances, de planification et du développement à l'Assemblée nationale constituante (ANC) a enfin eu lieu mardi 19 juin 2012. De prime abord, le président de la commission, M. Ferjani Doghmane (Ennahdha) a essayé de calmer les ardeurs et de dissiper tout malentendu : « cette rencontre entre dans le cadre de la responsabilisation de la BCT. Elle ne s'inscrit dans aucun agenda ou tiraillements politiques. Cependant, le retard enregistré suite à la demande de la BCT est principalement dû à la négociation de la loi de finance complémentaire. Il importe, aussi, de signaler que nous sommes en contact permanent et direct avec la BCT ». Néanmoins, la forte présence médiatique, le nombre des députés présents – plus d'une soixantaine, alors que la commission n'en compte que 21 membres – le changement de salle (salutaire) pour l'ancienne plénière de l'ANC (un signe ?) et le nombre des demandes d'intervention n'ont pas aidé M. Doghmane dans son œuvre d'apaisement. Attendue comme étant réservée à l'écoute du gouverneur, cette séance est bizarrement apparue comme une sorte de procès d'intention ? Car, dès la première intervention des députés, elle a pris un air de déstabilisation. Un constituant a déclenché les hostilités contre M. Nabli en le traitant de sbire de l'ancien régime. Ce denier reste de marbre ; il a l'avantage d'avoir démissionné (ou mis à la porte selon un député) sous l'ancien régime. Mais, l'incompréhension de la majeure partie des députés de la fonction et des prérogatives de la Banque centrale était flagrante. Pour les élus de la nation, c'est la BCT qui nomme les premiers responsables des banques, qui doit réaliser un audit de la dette, qui doit assainir le secteur bancaire, qui doit orienter l'appréciation des agences de notation, qui gère les avoirs confisquées en Tunisie, qui … Autant d'interrogations qui apparaissent comme des « contre-vérités » quant aux réelles prérogatives de la BCT. Un député, des plus médiatisés, a même osé comparer la scène à «une situation où un mécanicien s'immisce dans le travail d'un chirurgien » ! D'ailleurs, les observateurs ont regretté l'absence d'économistes ou de spécialistes de la finance, à l'instar de Moncef Cheikhrouhou qui a déclaré forfait à cause d'ennuis de santé, nous dit-on. Cependant, ce que nous retiendrons, c'est l'attachement de la plupart des présents quant à l'indépendance de la BCT. M. Nabli a remis une couche en insistant sur le fait que l'indépendance n'est pas liée à sa personne, mais plutôt, à celle de l'institut d'émission dans la gestion de la politique monétaire du pays loin des tiraillements et des objectifs politiques à court terme. C'est pour éviter « la tentation », explique-t-il. Par ailleurs, Mustapha Kamel Nabli a contesté en bloc l'accusation de conflit avec le gouvernement : « C'est archi-faux de dire que nous sommes en guerre avec le gouvernement, je ne le répèterai pas assez que nos relations sont normales et nous collaborons en permanence », dit-il. Quid de la présidence ? « Idem. Je n'ai aucun problème non plus », dit-il. L'acquiescement de tête de l'emblématique Tahar Hmila semble confirmer cette position. D'ailleurs, dans une longue introduction, le gouverneur a voulu montrer cela : les objectifs de conduite de la politique monétaire se font selon les circonstances du pays, les priorités économiques et financières (soutien à l'appareil de production et maîtrise de l'inflation) et ce, selon les rebondissements des trois phases (entre janvier et juin 2011, le deuxième semestre de l'année écoulée et, enfin, depuis début 2012). Il reprend même ses habitudes de professeur universitaire en essayant d'aborder d'une manière didactique les arcanes de l'économie et des finances : l'inflation en Tunisie est cyclique, l'influence de la politique monétaire sur l'inflation apparaît 12 à 18 mois après sa mise en place, l'injection monétaire afin d'éviter un « Credit Crunch », … « Depuis les premiers mois de la révolution, la BCT fait des efforts pour prendre les décisions que je qualifie de "justes" et ce, dans la mesure où elles ont fait preuve d'efficacité, et ont permis d'éviter l'effondrement de l'économie tunisienne », a-t-il lancé tout en précisant que malgré une année très difficile, les concours à l'économie ont augmenté de 13,8%. Pour ce qui est des communiqués du conseil d'administration critiqués pour leur « alarmisme », le gouverneur précise que des représentants du gouvernement siègent dans ce conseil et que les décisions sont collégiales. « En plus, il importe de souligner que le but de ces communiqués est d'évaluer objectivement la situation économique. Les interprétations ne sont pas de notre ressort. D'ailleurs, la BCT n'est pas créatrice de données sur la croissance, donc nous utilisons celles de l'INS ». Quant à la dégradation de la note par S&P, Nabli nie en bloc les accusations d'un rôle occulte de la BCT ou, précisément, de sa personne dans cette dégradation. « C'est une atteinte à mon patriotisme et c'est inacceptable ». Il affirme avoir reçu le rapport de l'agence dans la matinée même de sa publication – et pas depuis novembre comme souligné par un constituant - mais explique n'avoir aucune possibilité pour « l'influencer ». Cependant, pourquoi la BCT, via son gouverneur, n'a pas réagi à la dégradation de la note ? Nabli révèle que des concertations avec des spécialistes des relations avec les agences de rating ont aboutit à la décision de ne pas répondre à chaud, précisant que « les expériences précédentes ont montré que c'est une action contre-productive ». Par ailleurs, il approuve la proposition de M. Doghmane de prévoir des rencontres avec les équipes des agences de notation qui visitent la Tunisie avec l'ANC, la commission des finances, de planification et du développement précisément. Cependant, les constituants n'ont pas omis d'aborder des sujets « people ». Il s'agissait de simples et autres allégations sans fondement autour de la BCT. C'est d'abord, l'histoire de la tonne et demie d'or qu'aurait dérobé Leïla Trabelsi avant sa fuite. M. Nabli faisant valoir l'existence d'un rapport d'audit externe à la BCT, un autre des experts comptables et un troisième du World Gold Council certifiant que la réserve d'or de la Tunisie est de 6,7 tonne, dont presque 1,5 tonne est placée à la Banque d'Angleterre (Bank of England). Quant au changement des premiers responsables des banques, il a précisé qu'il revient au ministère des Finances –pour les banques publiques- et aux conseils d'administrations – pour les banques privées- de les engager. S'agissant des dossiers de corruption, le gouverneur de la BCT a nié que la secrétaire du vice-gouverneur (qui a fait l'objet de plusieurs critiques sans preuves apparemment) reçoit un salaire mensuel de 5.000 dinars ! « Moi-même mon salaire n'atteint pas ces proportions » a-t-il rétorqué. Quid de la commande des verres en Cristal commandés par l'ancien régime et qui aurait coûté plus de 450.000 dinars. Selon le gouverneur, la BCT a bel et bien réglé le reliquat de cette facture sur ordre de la présidence de la République et du ministère des Finances : « l'acquisition et la commande sont antérieures à la révolution et les fournisseurs, après livraison, ont demandé leur dû. Si on ne règle pas, on y aurait été contraint par un jugement. Finalement, le contribuable paiera avec les amendes d'usage ». Finalement, le bilan de cette réunion est qualifié de mitigé. Le gouverneur de la Banque centrale a-t-il réussi à convaincre les présents dont la plupart ne sont pas des avertis du monde des finances ? Sachant que son destin est tributaire de leur vote ? On en saura mieux dès la fin de la semaine prochaine, puisque la même commission invitera Ezzedine Khouja PDG de la Banque Zitouna que les rumeurs désignent comme le « potentiel » futur gouverneur de la BCT