Béji Caïd Essebsi a accordé une longue et belle interview à nos confrères Lotfi Ben Sassi et Samira Dami, publiée mardi 10 juillet dans le quotidien La Presse. Tout a été abordé et l'ancien Premier ministre tunisien n'a pas ménagé ses mots. A propos du CPR, qui veulent ouvrir les dossiers de la police politique, Béji Caïd Essebsi a indiqué qu'ils devraient laisser tomber car ils pourraient connaître de dramatiques surprises et trouver dans ces dossiers beaucoup parmi les leurs. A propos de l'Initiative de l'UGTT, il a indiqué qu'elle est acceptable et que si jamais le gouvernement la refuse, c'est faire preuve de légèreté coupable. Interrogé sur les rumeurs faisant valoir que c'est le chef du parti Ennahdha, Rached Ghannouchi, qui est le président effectif du pays et qui tire donc toutes les ficelles, M. Caïd Essebsi a indiqué que « si c'est Ghannouchi qui dirige, moi je dis que c'est tant mieux ! Au moins lui est un homme politique qui tient compte des contingences. » A la question « Si c'est Ghannouchi qui tire les ficelles et que la situation est ce qu'elle est aujourd'hui, on ne peut pas dire: c'est tant mieux ! », M. Caïd Essebsi a répondu : « Oui, mais lui n'est pas dans l'exercice effectif et quotidien du pouvoir, il est dans le patronage. La décision de tous les jours revient aux opérateurs et ces opérateurs ne sont probablement pas à la hauteur. Chaque fois qu'on est revenu à Ghannouchi, il a débloqué la situation. »
Abordant sa période à la tête du Premier ministère, les journalistes lui ont rappelé les critiques de certains membres du gouvernement qui répètent à satiété qu'avant de partir, M. Caïd Essebsi a laissé plusieurs boulets à la Troïka : l'indemnité des 70 dinars pour les fonctionnaires du Premier ministère, la pension Amal pour les chômeurs, l'absence de concrétisation de la Haute instance de l'audiovisuel, la réforme de la justice, les martyrs et les snipers, etc. A cela, l'ancien Premier ministre a répondu : « Celui qui est trahi par ses forces dit qu'il a été ensorcelé ! (vieux proverbe tunisien) . Au fond, j'ai dirigé le gouvernement en accordant la grande priorité à l'intérêt général. Eux ils ont en tête un problème de parti ; moi j'ai un souci d'Etat. Moi j'estime que la patrie vient avant le parti. Or, ce n'est pas le cas actuellement. A l'époque où on m'a confié le Premier ministère, tout le gouvernement a pris l'engagement de ne pas se présenter à une quelconque élection pour mieux servir l'intérêt général. Nous n'avions que quatre mois pour agir et nous avions décidé de ne pas toucher aux dossiers de la justice et de l'information. Parce que ce sont des dossiers qui nécessitent beaucoup plus de temps, beaucoup plus d'études et de réflexion. Aujourd'hui, le nouveau gouvernement a passé pratiquement la même période que nous en exercice et même un peu plus : la justice et l'information sont toujours au point mort. Nous, au moins, dans notre bilan, nous avons rétabli l'ordre public. Ensuite, nous avons géré la guerre en Libye. Nous avons assuré les examens du baccalauréat dans les meilleures conditions et sans fuites. Nous avons assuré une rentrée universitaire sans grabuge. Nous avons préparé et fait en sorte que Ramadan se déroule dans de bonnes conditions. Nous avons ravitaillé la Libye en denrées alimentaires dans des conditions acceptables. Et nous avons organisé des élections qui ont permis à la Troïka de former un gouvernement. »
A propos de la pension Amal, il a répondu : « Moi je suis un homme populaire. Quand les protestataires venaient à la Kasbah, je sortais pour les rencontrer. Ils étaient sept cent mille à ne pas avoir d'emploi. Quand ils s'adressaient à moi, leur bouche sentait mauvais parce qu'ils avaient faim. Je ne voulais pas les laisser crever de faim. Et le fait de leur avoir ôté cette pension est une aberration monumentale, car ils ne leur ont rien donné en remplacement. Ce n'était même pas décent ce qu'on leur a donné. C'était une simple indemnité d'attente. Juste un peu d'argent de poche. »
Interrogé à propos du régime qui sied à la Tunisie et le choix d'Ennahdha pour un régime parlementaire, M. Caïd Essebsi estime que ce n'est pas le bon régime pour la Tunisie. « Ce qu'il faut pour la Tunisie, dit-il, c'est un régime mixte tempéré par des prérogatives d'une Assemblée. La chose qui a fait problème jusqu'à maintenant, c'est que ceux qui gouvernent n'ont rendu de comptes à personne. C'est pour ça qu'il y a des dérapages dans la gestion du pays et une personnalisation du pouvoir. Cela ne peut plus durer, car le régime présidentiel dans son ancienne version a dérapé vers un régime présidentialiste. Voilà pourquoi je défends l'idée de maintenir un président avec des pouvoirs, mais il faut donner un pouvoir de contrôle à une structure législative ou un Conseil constitutionnel. » Cliquer ici pour lire l'interview dans son intégralité