Les salafistes, sont devenus, au cours de ces derniers jours, incontestablement, le sujet que tous. Les médias, politiciens et opinion publique évoquent avec un mélange d'angoisse, et d'exaspération. Depuis déjà plusieurs jours avant l'organisation du congrès d'Ansar Al Chariâa prévu à Kairouan le 19 mai courant, plusieurs déclarations, initiatives et préparatifs des salafistes, tanguaient entre l'ambiance festive et la menace d'un événement sanguinaire. Certains salafistes, négociateurs conciliateurs, ont pris l'initiative de réclamer l'autorisation officielle du ministère de l'Intérieur. Les membres du groupe "Ansar Al Chariâa", par contre, ont plutôt choisi le bras-de-fer en confirmant l'organisation de l'événement, sans se soucier de l'aval ou pas des autorités. La réponse du ministère de l'Intérieur a été cette fois, très claire. Pas d'autorisation; le congrès n'aura pas lieu, et toutes les issues vers la ville de Kairouan ont été bouclées pour empêcher le flux des salafistes. Une fois n'est pas coutume, jusque là l'attitude des autorités n'a pas été aussi ferme ni aussi claire. Beaucoup d'ambigüité, de double langage et de revirement de situations ont marqué la façon de traiter avec les salafistes, car disait-on: "Ce sont nos enfants et ils ne débarquent pas de la planète Mars!". Ainsi, si l'on procède à une lecture chronologique des prises de positions des symboles de l'Etat, on remarque que les rapports entre les dirigeants du pays et les salafistes sont passés par plusieurs phases. Dans une interview accordée au journal français "Le Figaro", le 2 avril 2012, Rached Ghannouchi, leader d'Ennahdha avait affirmé : "Si nous nous prononçons en faveur de la Chariâa dans la Constitution, cela aurait légitimé et renforcé les salafistes. Ennahdha, c'est l'original et l'original n'a pas à suivre la copie. Tant pis s'ils sont mécontents". Parallèlement, une vidéo datant approximativement du mois d'avril de la même année, filmant Rached Ghannouchi, dans une rencontre avec quelques leaders d'opinion islamistes, mais fuitée en octobre 2012, montrait une toute autre attitude envers les salafistes. Il leur avait adressé le message suivant "Vous devez patienter, on va appliquer la politique des étapes, le temps de préserver et garantir durablement les acquis". Ensuite, en date du 8 juillet 2012, assis au premier rang, Rached Ghannouchi, faisait partie des invités présents du premier meeting du Front de la Réforme, l'un des deux partis salafistes autorisés. Peu de temps après, dans un article publié au journal français "Libération", en date du 21 septembre 2012, le leader d'Ennahdha avait déclaré : "Les salafistes jihadistes sont un danger pour la Tunisie, et après l'attaque de l'ambassade américaine, l'Etat tunisien doit "serrer la vis". A chaque fois que des partis ou des groupes outrepassent d'une façon flagrante la liberté, il faut être ferme et insister sur l'ordre". Ensuite, il s'est défendu, dans une interview au journal français Le Monde et publié en date du 18 octobre 2012, de tout laxisme envers les salafistes tout en soutenant qu'il ne faut pas les diaboliser. "Il faut éviter le discours de l'ennemi de l'intérieur. Nous nous rappelons l'expérience de Ben Ali qui a détenu des dizaines de milliers de militants d'Ennahdha et diabolisé le parti … Si nous voulons diaboliser les salafistes, dans dix ou quinze ans, ce sont eux qui seront au pouvoir», avait-il ajouté, tout en préconisant de «leur parler en tant que citoyens, et non comme des ennemis». Enfin, face aux événements récents survenus à Jebel Châambi, M. Ghannouchi a affirmé le 9 mai 2013: "Non, on n'a pas besoin du Jihad sur nos terres, car nous sommes tous musulmans". Il a ensuite ajouté: "La Tunisie est terre de toutes les libertés, alors pourquoi la violence? C'est criminel! Il n'y a pas de place, ni d'avenir pour le terrorisme dans notre pays". Il a ajouté: "Nous espérons que ces salafistes évoluent de petits délinquants à des personnes mûres et sages". Autre symbole de l'Etat, le président de la République, Moncef Marzouki, a également changé à plus d'une reprise d'avis par rapport aux salafistes. Rappelons que lors de son interview télévisée du 15 février 2012, il avait traité de "microbes" ("jarathim" en arabe), les salafistes tunisiens. Ensuite, étant donné que cette déclaration, avait créé une grande polémique, M. Marzouki a présenté ses excuses sur la page officielle de la présidence de la République sur Facebook. En visite en France, Marzouki a déclaré le 17 juillet 2012: "les salafistes sont une partie insoluble des islamistes. Ils ont demandé l'autorisation d'avoir leur parti, et ce sera fait incessamment, si ce n'est déjà fait. Mais il faut regarder au-delà de la question idéologique. Derrière ce mouvement, il y a la population pauvre, démunie, non cultivée et touchant à la criminalité pour certains. Derrière le salafisme, il y a un problème social et non idéologique. C'est une fraction à laquelle on pourra faire face dans le respect de la loi et des droits de l'Homme. Et c'est en traitant la question dans sa globalité qu'on pourra couper l'herbe sous les pieds de ces salafistes». Le 17 août de la même année, une cérémonie pour honorer les lauréats d'un concours d'apprentissage du Coran s'est déroulée au Palais de Carthage. Moncef Marzouki, avait alors reçu et félicité une jeune fille portant gant et niqab. Un peu plus d'un mois plus tard, le 24 septembre Moncef Marzouki a réagi à l'attaque de l'ambassade américaine, dans une interview de "Al Monitor". Il a déclaré à propos du phénomène du salafisme qu'il "était surpris de constater qu'il existait un problème pareil en Tunisie". Il avait même tiré la sonnette d'alarme: "les salafistes jihadistes, même étant une faible minorité, représentent un danger pour la démocratie, à laquelle ils ne croient pas. Ils sont contre les droits humains et ceux de la femme, et ils compromettent aussi les relations internationales liant la Tunisie à d'autres pays". Ensuite, en date du 11 octobre 2012, Moncef Marzouki, a accueilli au Palais de Carthage une délégation de cheikhs de la mouvance salafiste. Il avait, à cette occasion, souligné "le droit de chaque Tunisien d'exprimer ses opinions et d'exercer sa religion selon ses convictions, sans aucune contrainte". Enfin, Le président Moncef Marzouki a prononcé, tout récemment, le 16 mai courant, un discours à l'occasion du Dialogue national instauré par l'UGTT, qui lui valu d'être hué alors pour avoir dit expressément : "Il faut que l'on accepte l'autre, qu'il soit progressiste, islamiste ou salafiste sans le diaboliser" tout en ajoutant "Je ne peux pas comprendre et je n'accepte pas que l'on empêche les étudiantes de passer leurs examens parce qu'elles portent le niqab". Le chef du gouvernement, Ali Laârayedh, a provoqué de son côté, une grande surprise en affirmant le week-end dernier sur Al Jazeera, que "Ansar Al Chariâa sont un groupement qui s'apparente au terrorisme, qui n'est pas légal et qui a déjà usé de violence". Il faut rappeler, par ailleurs, que M. Laârayedh, du temps qu'il était ministre de l'Intérieur, avait fait preuve de beaucoup de laxisme et avait tendance à banaliser les agissements des salafistes, lors des événements par exemple d'Al Abdelliya, pendant la vague de profanation des mausolées, et même au moment de l'invasion salafiste de l'ambassade américaine, sans oublier l'instauration de l'Emirat de Sejnane. Les positions ne sont pas claires et les rapports entre les salafistes et les dirigeants du pays sont tantôt proches, tantôt hostiles. Seule certitude, c'est qu'avec les événements de Chaâmbi et du congrès de Kairouan, la tendance générale s'achemine vers la fermeté, sauf pour le cas de Moncef Marzouki qui agit de manière anachronique et complètement décalée par rapport à la réalité.