Le chef du gouvernement, Ali Laârayedh, s'est livré le 23 mai à un exercice périlleux. Il a essayé de se montrer rassurant et ferme tout en restant évasif face à certaines problématiques actuelles. Les journalistes présents espéraient avoir des réponses complètes et satisfaisantes à propos du sujet du moment : la guerre contre le terrorisme et les mesures à prendre face à Ansar Chariâa, ce fût loin d'être le cas. A propos d'Ansar Chariâa, Ali Laârayedh n'a cessé de marteler : « c'est une organisation illégale, impliquée dans des faits de violence, certains de ses membres et de ses leaders sont impliqués dans des actes terroristes ». C'est la seule réponse qu'ont pu obtenir les journalistes à leurs interrogations. Certains d'entre eux ont demandé au chef du gouvernement s'il qualifiait cette organisation de terroriste, il s'y est obstinément refusé en réitérant la même réponse. Par ailleurs, le chef du gouvernement a dit que « tous les leaders doivent adopter une posture claire par rapport à l'usage de la violence car les organisations qui refusent la violence sont dignes de respect ». Peut-on y voir une invitation à se conformer aux exigences du travail social classique ? Ce ne serait pas étonnant puisque c'est le discours adopté par Rached Ghannouchi, président d'Ennahdha. Ceci voudrait dire que le chef du gouvernement laisse la porte entrouverte à Ansar Chariâa. Cette idée se trouve confortée par le fait qu'il ait refusé de qualifier cette organisation de « terroriste » même si, selon ses dires, certains de ses membres et de ses leaders sont impliqués dans le terrorisme. Ali Laârayedh a également placé un autre « élément de langage » en parlant de « ceux qui défient l'autorité de l'Etat », il n'a cessé de dire qu'il « ne leur restait pas beaucoup de temps ». On peut comprendre par là que les personnes désignées par le chef du gouvernement sont sommées (ou priées) de se conformer aux règles de l'Etat sous peine d'être punies. Il est vrai que le ton se veut ferme et rassurant mais cet objectif n'a pas été atteint par Ali Laârayedh. Concernant la cavale d'Abou Iyadh, il a répondu que les recherches se poursuivent. Pour ce qui est des opérations à Jebel Chaâmbi, il a rétorqué que le ratissage continue normalement sans donner aucune précision supplémentaire. Quant à la libération de Seif Eddine Erraïes, porte-parole d'Ansar Chariâa, il s'est contenté de renvoyer la balle à la justice. Il faut dire qu'Ali Laârayedh a été, généralement, évasif et imprécis en clamant haut et fort que tous les moyens sécuritaires et judiciaires seront employés pour punir Ansar Chariâa de son insubordination à l'Etat. Pourtant, le chef de cette organisation, Abou Iyadh, est toujours en cavale depuis des mois. Le porte-parole d'Ansar Chariâa, Seif Eddine Erraïes qui avait organisé une conférence de presse dans une mosquée et qui avait qualifié les forces de l'ordre de « taghout » (tyrans) a été libéré au bout de 4 jours de prison. La fermeté du discours n'est pas suivie dans les faits pour l'instant. A l'instar des hommes politiques étrangers, Ali Laârayedh utilise des « éléments de langage » pour faire passer son message tout en évitant de s'impliquer. Cette pratique est plus communément appelée langue de bois. En effet, le chef du gouvernement refuse de qualifier de terroriste une organisation qui use de violence, qui met en cause l'autorité de l'Etat et dont certains leaders et membres sont directement concernés par le terrorisme international. Il est légitime, par conséquent, de s'interroger sur les raisons qui expliquent ce refus d'appeler les choses par leur nom. C'est ce qui engendre une multiplicité de scénarios et de supputations qui sapent l'effet de « clarté » que tente de communiquer le chef du gouvernement. Ali Laârayedh est également l'auteur d'une autre contradiction marquante. Selon ses dires, l'organisation appelée Ansar Chariâa est « illégale ». Malgré cela, toujours selon le chef du gouvernement, elle peut continuer ses activités si elles sont légales. Evoquant les tentes de prédication, Ali Laârayedh déclare que celles qui se conforment à la loi en vigueur et qui sont pacifiques peuvent être tolérées. Concernant les activités caritatives de l'organisation, il ne semble pas que le chef d gouvernement s'en émeuve outre mesure. Donc, l'organisation Ansar Chariâa est illégale mais certaines de ses activités sont tolérées. Encore une fois, le message de fermeté et de clarté que veut transmettre Ali Laârayedh en prend un coup. Que se passerait-il si Ansar Chariâa déclare refuser la violence et se soumettre à l'autorité de l'Etat ? Serait-il autorisé et toléré malgré son caractère « illégal » et le passif de certains de ses membres et de ses leaders ? Il est impossible de le savoir pour l'instant. Mais, encore une fois, la communication du chef du gouvernement est brouillée et la porte reste ouverte aux interprétations et aux pronostics. Notons que pour résumer un discours marqué par les ambiguïtés et les zones d'ombre, le chef du gouvernement déclare : « Je n'ai pas dit jusqu'à présent que Ansar Chariâa est une organisation terroriste, ça ne veut pas dire qu'elle ne l'est pas ». Toutes ces contradictions ajoutées à certains faits peuvent avoir des conséquences néfastes. Quand une personne qui a appelé à défier la loi et qui a traité les policiers de « taghout » se retrouve en liberté après 4 jours de détention, quel message cela passe-t-il à la population et aux forces de l'ordre ? Au lendemain des événements tragiques de Jebel Chaâmbi et des manifestations de policiers réclamant une protection, cette nouvelle n'est pas du tout rassurante. Face à une menace terroriste institutionnalisée et précise, le chef du gouvernement semble vouloir prendre des gants alors qu'il n'y a plus lieu de le faire. Il est vrai que l'obligation de résultat qui pèse sur ses épaules se trouverait alourdie par l'aveu que telle organisation est de nature terroriste, son démantèlement et l'emprisonnement de ses leaders et membres deviendrait une obligation pressante, c'est pour cela qu'Ali Laârayedh a soigneusement évité une telle formulation.