L'allocution prononcée par le président de l'Assemblée nationale constituante, Mustapha Ben Jaâfar, mercredi soir, aurait dû constituer l'événement politique majeur de la semaine. Cela n'a pas été le cas tant le président de l'ANC était lymphatique, incapable de se hisser à la hauteur de la gravité de l'instant politique que vit le pays. Pire encore, il a confirmé que sous des allures frondeuses prises pour les besoins de la représentation, il reste toujours un allié sûr d'Ennahdha et un secours indéfectible à la Troïka. Dans son appréciation générale de la situation, le président de l'ANC n'a cessé de marteler tout au long de son allocution que le débat national a été entamé depuis le 25 juillet dernier, date de l'assassinat de feu Mohamed Brahmi, entre les organisations qui parrainent le dialogue, l'opposition et la Troïka. Mieux encore, Ben Jaâfar considère que les résultats de ce dialogue à distance sont probants et que seuls quelques litiges persistent. Cette appréciation semble surprenante et incongrue tant le contraste est grand avec celles des autres partenaires du dialogue social. En effet, toutes les composantes du Front du salut ont affirmé que la situation est arrivée à une impasse à cause du refus de la Troïka des modalités de l'initiative conjointe de l'UGTT et des organisations qui parrainent le dialogue national. Le secrétaire général de l'UGTT, Houcine Abassi, lui-même, a confirmé l'échec de ses efforts et l'impossibilité de trouver un terrain d'entente entre l'opposition et la Troïka. En fait, le président de l'ANC ne fait que reprendre l'appréciation que veut véhiculer Ennahdha sur le déroulement des négociations et en fait sienne. Pure coïncidence, diront certains. Partant de cette appréciation particulière de la situation, le président de l'ANC appelle les organisations qui parrainent le dialogue national à « assumer leurs responsabilités » et à imposer à l'opposition d'accepter sans tarder des négociations directes avec la Troïka. Coincidence encore, c'est exactement la position d'Ennahdha que Ben Jaâfar exprime tout en jurant qu'il agit en tant que président de l'ANC, soucieux de garder la même distance vis-à-vis des différents acteurs politiques , dans l'unique intérêt du pays. Autre coincidence: comme s'il sonnait la fin d'une récréation, le président de l'ANC a appelé au cours de son allocution télévisée, les députés « réfractaires » à retourner, au plus vite, au bercail. Il a aussi annoncé qu'il réunira le bureau de l'ANC la semaine prochaine ce qui équivaut à une annonce de reprise des travaux de l'Assemblée. Faut-il voir en cela un quelconque recoupement avec la position du bloc des députés d'Ennahdha qui a subitement intensifié ses pressions sur Ben Jaâfar en concomitance avec l'enlisement du dialogue à distance entre la Troïka et l'opposition ? Avouons qu'il existe des simultanéités troublantes. Mais Ben Jaâfar ne semble pas troublé par ces coïncidences et se défend de toute allégeance à Ennahdha. Pour marquer son indocilité, il va même jusqu'à muscler son discours en s'adressant à ceux qui ont orchestré une campagne contre lui au cours des jours précédents. Je n'ai peur que du bon Dieu et de ma conscience leur lance t-il. A chacun son Dieu et seul le bon Dieu sait ce que le président de l'ANC pourrait avoir sur la conscience. En somme, le président de l'ANC a montré des compétences rhétoriques louables tout au long de son allocution télévisée. Il a calqué systématiquement ses positions sur celles de ses alliés d'Ennahdha tout en donnant l'impression qu'il s'en démarquait. C'est un art, l'art du faux-semblant que Ben Jaâfar maîtrise à merveille et dont rares sont ceux qui, comme lui, connaissent les secrets. Faut-il s'étonner après que seuls Ennahdha et le CPR aient accueilli positivement l'allocution télévisée de Ben Jaâfar qui, même si elle n'apporte rien à la résolution de la crise, a contribué à dissiper les malentendus entre Ettakatol et ses alliés de la Troïka. La décision de Ben Jaâfar de suspendre les travaux de l'ANC le 6 août dernier n'aurait été qu'une boutade, une escapade sans conséquence.