L'International Crisis Group, ONG, indépendante et à but non lucratif, qui œuvre pour la prévention et la résolution des conflits armés a publié aujourd'hui 28 novembre 2013 son rapport N°148, qui se rapporte à la Tunisie et intitulé "La Tunisie des frontières : jihad et contrebande". Selon ce rapport, la Tunisie plonge à intervalles réguliers dans des crises politiques dont le lien avec la dégradation de la situation sécuritaire est chaque jour plus évident. Bien que de faible intensité, les attentats jihadistes augmentent à un rythme alarmant, choquant la population, alimentant les rumeurs les plus confuses, affaiblissant l'Etat et polarisant toujours davantage la scène politique. Une coalition gouvernementale dominée par le parti islamiste Ennahdha et une opposition séculariste se renvoient la balle et politisent la sécurité publique au lieu de contribuer à l'assurer. Pendant ce temps, le fossé se creuse entre la Tunisie des frontières, poreuse, frondeuse, lieu de jihad et de contrebande, et la Tunisie de la capitale et de la côte, préoccupée par la perméabilité d'un territoire national qu'elle semble redouter à défaut de vouloir mieux connaitre pour pouvoir réduire les risques. Le vide sécuritaire qui a suivi le soulèvement ainsi que le chaos provoqué par la guerre en Libye, expliquent largement l'augmentation inquiétante du trafic transfrontalier. Drogues de synthèse et des quantités d'armes à feu et d'explosifs pénètrent de façon régulière par la Libye. De même, la moitié nord de la frontière tuniso-algérienne tend à devenir une zone privilégiée de circulation de résine de cannabis et d'armes légères. Ce phénomène renforce les capacités de nuisance des jihadistes tout en augmentant la corruption de certains agents de contrôle. Autre phénomène, criminalité et islamisme radical tendent à devenir indissociables dans les zones périurbaines des principales villes du pays ainsi que dans certains villages déshérités. Le développement de cet« islamo-banditisme » pourrait à terme créer les conditions propices à une montée en puissance de groupes mixtes (jihadistes et criminels) dans les filières de contrebande transfrontalière, voire à une collaboration active entre cartels et jihadistes. La solution aux problèmes frontaliers passe évidemment par des mesures sécuritaires, mais celles-ci ne suffiront pas. Circulation de combattants jihadistes et trafic d'armes et de stupéfiants deviennent ainsi les otages de négociations informelles entre barons de l'économie illicite et représentants de l'Etat. Ainsi, restaurer la confiance entre partis politiques, Etat et habitants des frontières est tout aussi indispensable au renforcement de la sécurité que l'intensification du contrôle militaire dans les endroits les plus poreux. A plus long terme, seul un consensus minimal entre forces politiques sur l'avenir du pays permettra une approche réellement efficace. Sur ce front-là, et à l'heure où ces lignes sont écrites, la sortie de crise ne semble pas immédiate : les discussions sur la composition du futur gouvernement, la Constitution ainsi que la loi électorale et l'instance chargée d'organiser le futur scrutin s'enlisent. Briser ce cercle vicieux exige de surmonter la crise de confiance entre alliance gouvernementale et opposition. Afin d'aboutir à un consensus politique sur les questions sécuritaires, les principaux partis politiques, les élus de l'ANC, et les représentants des populations frontalières de l'Algérie et de la Libye, doivent créer des groupes de travail qui tenteront d'élaborer une approche consensuelle et non partisane du contrôle des frontières et de la sécurité publique et présenteront leurs conclusions aux autorités régionales et nationales. A l'attention du gouvernement tunisien, il convient d'intensifier les contrôles à la frontière sud-est, notamment aux postes de Ras Jdir et de Dhehiba-Wazen, de poursuivre le projet de création d'une Agence nationale de renseignement et d'y intégrer services de renseignement et forces d'intervention antiterroriste. Par ailleurs, plusieurs recommandations ont été énumérées dans ce rapport, touchant plusieurs parties prenantes, dont les autorités tunisiennes, libyennes et algériennes. Cliquer ici pour télécharger l'intégralité de ce rapport