La publication par la présidence de la République du Livre noir a fait couler beaucoup d'encre et poussé des dizaines de personnes à crier au scandale de la manipulation des archives. Plutôt que de rectifier le tir, la présidence a cherché la fuite en avant en multipliant les déclarations et communiqués contradictoires. S'enfonçant de plus en plus, elle a battu, ces dernières 72 heures, le record en termes de contrevérités. Le nombre de fausses affirmations devient tellement important qu'on ne peut plus, décemment, parler de contrevérités. Vu la grossièreté des propos de la présidence, on se trouve obligés d'utiliser le terme mensonges pour les qualifier. Panique à Carthage. L'effet boomerang du Livre noir s'est fait rapidement sentir par ceux qui l'ont publié. Le tome 1 consacré aux journalistes devait être suivi par d'autres tomes censés être destinés aux juges et aux forces de l'ordre. Ils ne verront certainement jamais le jour, vu le scandale déclenché par le tome 1 (voir notre article à ce sujet). Cherchant à se sortir de ce marasme dans lequel elle s'est embourbée, la présidence de la République est tombée dans la contradiction qui frise le ridicule. Secouée par des médias qui relèvent le moindre détail de ces contradictions, la présidence s'est entraînée dans une spirale de mensonges et de déclarations fantaisistes que personne de sensé ne pourrait croire. - La présidence a déclaré qu'il n'y a pas d'hommes politiques derrière le Livre noir. Faux et la preuve est la douzaine de pages consacrée à la gloire du président, alors que d'autres véritables militants qui ont souffert beaucoup plus que lui n'avaient droit qu'à quelques lignes, voire aucune. Faux également, car on a cherché à salir, de force, plusieurs hommes de médias en sélectionnant avec beaucoup de dextérité des faits sortis de leur contexte. - La présidence a déclaré que le document fuité n'était pas un livre au sens propre du terme et était destiné uniquement à l'ANC et au syndicat des journalistes. Faux, car le livre en question qui porte bien le nom de livre, a été imprimé en 500 exemplaires et allait être distribué lors d'une conférence de presse annoncée officiellement, mais qui ne s'est jamais tenue. - La présidence a déclaré que les exemplaires du Livre noir en circulation ont fuité de l'Imprimerie officielle (IORT). Totalement faux et très grave comme affirmation, car elle décrédibilise une grande institution de l'Etat qui s'est toujours distinguée par son professionnalisme. L'IORT imprime quasiment tous les documents officiels de l'Etat (dont passeports, cartes d'identité, B3, JORT…) et si une telle fuite est possible, voire même imaginable, ce serait le début de la fin de l'Etat. Ceci ne constitue pas de preuves du mensonge ? Soit ! Il se trouve que l'un des présents à l'émission d'El Moutawassat qui a dévoilé au public l'existence de cet ouvrage, a déclaré à Business News, au lendemain même de l'émission, que l'exemplaire détenu par la chaîne lui a été donné par la présidence. Autre preuve de la fausse affirmation de la présidence (et du président lui-même), la copie numérique en circulation est tirée de l'original. Si un exemplaire du livre a fuité de l'IORT, c'est une copie numérique scannée qu'on aurait eue et non une copie PDF originale. - Officiellement, le Livre noir est édité par la direction de la communication de la présidence de la République. Cette direction est dirigée par Mohamed Hnid. Or, il se trouve que lorsque ce dernier a été convoqué par le juge du 12ème bureau près du Tribunal de première instance de Tunis, la présidence a envoyé une correspondance officielle précisant que Hnid n'a rien à voir avec le Livre noir et que c'est Adnène Mansar, chef de cabinet, qui en est responsable. - Dans son interview à la BBC, mardi 17 décembre, Moncef Marzouki a déclaré avoir mis à la disposition de l'ANC les documents d'archives, mais que lorsque cette dernière a tardé à les récupérer et à adopter la loi de la Justice transitionnelle, il a donc publié le Livre noir. Faux, ni Mustapha Ben Jaâfar ni les élus concernés par cette question n'ont été un jour informés de cette histoire. Il y a eu un démenti officiel à ce propos. - La présidence de la République a publié, mercredi 18 décembre tard le soir, un communiqué démentant les informations de presse annonçant le jugement en référé de la chambre civile au Tribunal de première instance de Tunis de désigner trois administrateurs judiciaires pour gérer les archives de la présidence. Le communiqué explique que le jugement ne concerne pas la désignation d'administrateurs judiciaires sur les archives de la présidence de la République mais sur les documents en possession de feu Abdelfattah Amor. Elle précise (sans preuves) que les médias ayant relayé cette information ont pour objectif de tromper l'opinion publique. Faux et faux, car les médias (qui peuvent se tromper sans chercher spécialement à tromper quiconque) n'ont fait que relayer une décision qu'ils ont lue directement. Mieux encore, le principal intéressé par l'affaire (le plaignant Ezzedine Mhedhbi) confirme les articles de presse publiés par ces médias (Business News a été la première à annoncer la décision, suivie par Mosaïque FM, Assabah News et Shems FM). - Mohamed Hnid annonce (dans un accent venu du Golfe) lors d'une conférence de presse qu'il y a une campagne contre la présidence menée par les forces contrerévolutionnaires et qu'il cherche à ouvrir une nouvelle page avec les médias. Il se contredira lui-même au même instant et le même jour. Les grands médias réputés poser les questions qui fâchent demeurent blacklistés à la présidence (dont Business News). Les médias qu'il désigne péjorativement comme participant à la campagne des contrerévolutionnaires n'ont fait que leur travail : dévoiler la vérité. Le soir même, le communiqué de la présidence épingle ces mêmes médias en les accusant de chercher à tromper l'opinion publique. Drôle de nouvelle page ! Avec autant de contrevérités, proférées en si peu de temps, la présidence prouve d'elle-même qu'elle cherche à tromper l'opinion publique et à se victimiser. Pourquoi ? Vraisemblablement, les différents participants au Dialogue national sont d'accord pour dire que la troisième période de transition ne pourra pas réussir si Moncef Marzouki demeure à Carthage. Sa capacité de nuisance devient de moins en moins gérable et s'aggrave de jour en jour. Il est également inconcevable que l'on impose au nouveau gouvernement sa non-participation aux prochaines élections, alors que Marzouki pourrait le faire, tout en bénéficiant de la logistique présidentielle pour mener sa campagne. S'estimant menacé, il a anticipé avec le Livre noir pensant que les Tunisiens allaient l'applaudir pour avoir démasqué les propagandistes. Il n'a pas douté un instant que son Livre noir n'allait être qu'un boomerang violent. Maintenant, il estime pouvoir s'en sortir en multipliant les contrevérités. Or, le fait est là, il ne fait que s'enfoncer davantage dans son bourbier. La machine judiciaire qui a commencé à tourner contre lui le prouve. C'est le début de la fin du dernier épisode de «Marzouki à Carthage ». Bonté divine ! Il était temps ! Nizar Bahloul