Le public n'aurait pas assisté à un spectacle aussi déroutant et dérisoire que celui offert par la troupe de l'Assemblée nationale constituante depuis des jours, sur la scène mythique de l'hémicycle. Le public pensait avoir vu le meilleur et le pire, mais il n'était pas au bout de ses peines. C'est au commencement du débat et du vote de la Constitution que les passions ont commencé à se déchaîner. Il faut croire, que plus le temps passe et au regard des circonstances à l'effet troublant, les élus, toutes sensibilités politiques confondues, ont, quelque part, de quoi perdre pied. Les tensions n'ont de cesse de monter, tous sont à cran, les nerfs sont vifs, le repos se rétrécie et les discussions et négociations se suivent à tour de bras. La semaine passée a été, par excellence, la « show week », la plus mouvementée et la plus riche en spectacles. Cris, scandales, pleurs, et bagarre à coups de poings, les députés n'ont pas lésiné sur les moyens pour confectionner un show digne d'une Assemblée nationale. Face à tout cela, le public ne sait plus quoi en penser : l'on savait que, par des moments, l'ANC se transforme en véritable cirque, mais là, les choses se corsent davantage et dérapent encore plus. Une date a été annoncée par les constituants, celle du 14 janvier 2014 comme étant celle annonçant par l'Assemblée au peuple que sa nouvelle Constitution est, enfin, prête. C'est pour la symbolique qu'elle revêt que la date du 14 janvier a été choisie. Néanmoins, à l'annonce de cette date butoir, plusieurs facteurs n'ont pas été pris en compte : les retards accumulés dès la première séance plénière de débat, les conflits, les consensus encore durs à trouver etc. Mais pour arriver à tenir parole, il a été décidé un régime de travail à temps plein : séance matinale, séance de l'après-midi et séance nocturne. Et c'était sans compter sur les méninges déjà épuisées par deux ans et demi de travail des députés. C'est alors que le public a assisté à des scènes, par moments, des plus surprenantes, scandaleuses et même honteuses. Mongi Rahoui, accusé d'être mécréant et ennemi de l'Islam par son collègue d'Ennahdha Habib Ellouze. Les propos de ce dernier ont provoqué l'ire chez quasiment toute l'Assemblée au point que même son bloc parlementaire et son parti se sont désolidarisés de sa position. La réplique de Mongi Rahoui a, quant à elle, provoqué la sympathie, la solidarité et le soutien de tous et même les larmes de Samia Abbou, émue par les paroles d'un père de famille évoquant l'angoisse de ses enfants de voir leur paternel subir le même sort que Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi. Parmi les incidents qui ont suivi, celui d'Aymen Zouaghi, député du Courant Al Mahaba, a fait l'objet de la risée de tous. L'élu a fait montre d'une très grande sensibilité émotionnelle, en l'occurrence, lorsque des photos montrant une caricature choquante et portant atteinte au Prophète Mohamed ont été distribuées aux députés à l'ANC. A la vue de ces illustrations, Aymen Zouaghi, indigné et blessé, a éclaté en sanglots revendiquant réparation morale. Très vite, la personne se cachant derrière la distribution de ces photos a été démasquée, il s'agit d'Abderraouf Ayadi du mouvement Wafa. Aussi, cet incident a-t-il été l'instrument dont certains ont usé pour démontrer que l'adoption de l'article 6 portant sur l'incrimination des accusations d'apostasie était une grossière erreur car donnait la liberté à certains de porter atteinte au sacré. Les talents de showman d'Aymen Zouaghi n'ont pas fini d'épater la galerie ni de l'amuser. A peine deux jours succédant à la première scène, l'élu du courant Al Mahaba a piqué une vive crise, tard dans la soirée, au cours d'une séance plénière. Et c'est à Meherzia Laâbidi, vice-présidente de l'ANC, qu'il s'en est pris. Cette dernière a refusé de passer au vote l'amendement de l'article 54 relatif aux modalités de régulation du phénomène du nomadisme parlementaire dans le cadre de la loi électorale. Aymen Zouaghi est devenu, carrément hors contrôle, et il a empêché ses collègues de le calmer et le faire revenir à la raison. Il refusait d'entendre quiconque et criait de toutes ses forces et battait même des mains. Le spectacle ne faisait pas joli à voir. Cela témoignait du triste état dans lequel se trouvent les élus du peuple au cours du débat sur la Constitution et de son vote. C'est à se demander s'ils jouissent de toutes leurs facultés morales et mentales pour pouvoir s'adonner à un pareil exercice d'une ampleur historique ? La réponse pourrait, à la limité, faire peur. Et le meilleur était réservé pour la fin. Dans la soirée du samedi 11 janvier 2014, le public a eu droit à un échange de coups de poings entre deux députés, il s'agit de l'élu d'Ettakatol, Jalel Bouzid, et celui indépendant Mouldi Zidi. Le conflit, ayant provoqué cette baston à l'hémicycle, a été expliqué par la première chaîne nationale Al Wataniya comme se rapportant à question de la nationalité du candidat à la présidence de la République. A la suite de cette succession d'incidents regrettables, certains députés ont formulé à l'adresse du président de l'ANC, la demande de supprimer les séances nocturnes et d'accorder aux élus deux journées de repos. Le but étant de mettre un terme aux tensions montantes et d'avoir une meilleure efficience des travaux de l'Assemblée ainsi que la commission des consensus. Mais le fait est que, la date butoir fixée pour le 14 janvier ne sera pas respectée, car il est on ne peut plus clair, que les députés ne sont pas dans la capacité d'achever les travaux dans les délais impartis. L'on aura envie de dire qu'il ne fallait pas se laisser en proie à l'enthousiasme et la notion de la symbolique pour avancer la date du troisième anniversaire de la révolution. L'essence de ces travaux demeure en toute priorité, la qualité et non la rapidité. Si le peuple s'est pris de patience pour attendre deux ans et demi afin de fêter la naissance de la nouvelle Constitution, ce n'est certainement pas deux ou trois semaines de plus qui feront la différence. Tout du moins, le public n'aura pas à conserver des gags et de mauvais goût en guise de souvenir des travaux de l'Assemblée nationale constituante.