Mongi Rahoui : «Ils veulent faire passer une interprétation à une seule couleur» La séance plénière d'hier consacrée à la discussion de la Constitution, article par article, a débuté exactement comme s'est terminée la séance de vendredi. C'est-à-dire dans la confusion générale. Une confusion provoquée cette fois par la discussion de l'article premier de la Constitution, pourtant le plus consensuel. Sadok Chourou revient La règle est claire, l'article est au départ lu, tel quel, par le rapporteur général de la Constitution, puis discuté. Le président de la séance donne la parole à un député soutenant l'article, puis à un autre qui y est opposé, sur la base d'un tirage au sort (qui a voulu que deux députés du bloc majoritaire, dont Sadok Chourou, s'expriment sur le même article, pour et contre). Ensuite, les amendements sont présentés et discutés. Conformément aux travaux de la commission des compromis, l'article premier est amendé, avec l'ajout d'un second paragraphe qui stipule : «Cet article ne peut être amendé». L'amendement présenté par le parti Ennahdha, qui prévoyait l'ajout d'une référence au « Coran et à la sunna », auquel devait s'opposer le député Mongi Rahoui lors de sa discussion, est finalement retiré à la dernière minute. Et l'article, non amendé, passe directement au vote. Mongi Rahoui s'insurge et demande au président de la séance de lui permettre d'exprimer son interprétation de l'article premier, comme l'a fait le député nahdhaoui, réputé conservateur, Sadok Chourou. «L'islam est un système et une doctrine de la vie, dans lequel il y a le comportement quotidien, les principes généraux, mais aussi des lois de la chariaâ valable pour toutes les affaires de la société. C'est un système complémentaire, social, économique et politique. Donc l'islam, en tant que religion de l'Etat, englobe tout cela », avait déclaré Sadok Chourou. Mongi Rahoui s'emporte et s'oppose à cette interprétation unique de l'article premier, et s'attache à son droit d'exprimer un autre point de vue, malgré le refus de Mustapha Ben Jaâfar de lui octroyer la parole. La séance est finalement suspendue. « Il y a une proposition d'amendement de la part du mouvement Ennahdha, le tirage au sort a établi que c'était à nous de présenter l'avis opposé. Mais le bloc nahdhaoui a retiré la proposition d'amendement pour barrer la route à une conception de l'article premier, autre que celle wahhabite, obéissant à la doctrine des Frères musulmans en Tunisie », explique Mongi Rahoui, avant d'ajouter : « Dans le vote, j'ai été discipliné et j'ai voté pour, mais au niveau des débats de l'Assemblée nationale constituante qui restent la référence en cas de divergences sur l'interprétation de la loi, ils veulent faire passer une interprétation à une seule couleur ». Le malaise nahdhaoui A l'extérieur de l'hémicycle, le bloc du mouvement Ennahdha alternait assurances et menaces. D'un côté, Zied Laâdhari, porte-parole du parti, demande au bureau de l'ANC de sanctionner « sévèrement les comportements extrémistes», de l'autre, Sahbi Atig, président du groupe parlementaire nahdhaoui, affirme: « L'article premier, c'est en effet un article consensuel, c'est vrai qu'il est sujet à interprétation. Chourou a présenté la sienne, mais je ne pense pas que cela va peser. Il n'y pas que la discussion dans la séance plénière, puisque l'ensemble des avis ont d'ores et déjà été enregistrés à l'occasion de la discussion générale sur la constitution». Consécration de la liberté de conscience A la reprise de la séance, présidée cette fois par Meherzia Laâbidi, c'est Rim Mahjoub qui prend la défense de l'Etat civil, à l'occasion de l'article 2 de la constitution. « Sachant que le juge se base sur la constitution, nous disons que l'Etat civil s'oppose à l'Etat théocratique. Je demande donc à ce qu'on épargne la religion des tiraillements politiques », affirme-t-elle. En dépit du fait que l'article premier ait été voté sous la pression, Mongi Rahoui est autorisé par la présidente de la séance à exprimer son point de vue et le point de vue d'une large frange des députés. « Nous défendons les dimensions arabe et musulmane avec des particularités tunisiennes. L'article premier est un consensus national depuis 1959 et je ne permettrai pas qu'on y touche, nous demeurons une république régie essentiellement par des lois établies par des humains», a-t-il dit. L'article 6 faisait également polémique avant sa discussion lors de la séance plénière d'hier. Certains députés voyaient en la liberté de conscience une porte ouverte « aux dérives morales », à l'image du député de groupe parlementaire Wafa, qui avait demandé la suppression de la mention « liberté de conscience ». « Loin des explications linguistiques et philosophiques, la liberté de conscience signifie que chacun dispose de la latitude de croire en ce qu'il veut, mais également de la liberté de manifester publiquement ses croyances. Et c'est là un pas dangereux, car cela voudrait signifier que les adeptes de la secte satanique peuvent organiser des manifestations publiques et appeler les citoyens à rejoindre leur mouvement. Ce sont des concepts occidentaux qui veulent être imposés au peuple tunisien », défend Azed Badi. Mais ces arguments sont balayés par une intervention longuement applaudie, celle du député d'Al Joumhouri, Iyed Dahmani, dans laquelle il assimile l'interdiction de la liberté de conscience à l'installation des tribunaux d'inquisition en Europe. « La liberté de conscience est la base de toutes les libertés. Comment un homme peut-il être libre de croire ou de ne pas croire, si on lui interdit la liberté de conscience ? Cette proposition me rappelle les tribunaux d'inquisition qui ne jugeaient pas les gens sur ce qu'ils étaient, mais bel et bien sur ce qu'ils cachaient au fond de leur conscience. Sur la base de ce tribunal, des milliers de juifs et de chrétiens ont été obligés de cacher leur foi », explique Iyed Dahmani. Le texte est au final voté sans amendement. Le rythme est lent, certains députés commencent à douter de la possibilité de terminer le vote sur la constitution dans les délais. Aujourd'hui, l'ANC continuera de voter le texte de la Constitution article par article, mais la séance nocturne sera consacrée au vote des membres de l'Instance supérieure indépendante pour les élections.