La Tunisie a vécu depuis son indépendance sous un régime étatiste caractérisé par une administration hypertrophiée dominant les différents créneaux de la vie économique et sociale. Le prix de ce choix était des dépenses gouvernementales de fonctionnement pesantes et des marges réduites de manœuvres en cas de chocs financiers. Au cours des deux dernières années, les équilibres budgétaires ont été gravement affectés en raison de l'ampleur des frais de fonctionnement, du grippage de l'investissement public et privé et de l'adoption d'une politique fiscale qui a provoqué des drames durant des décennies. Les Tunisiens sont aujourd'hui devant le fait accompli et doivent passer à la caisse. La dette publique est insoutenable, l'ajustement du déficit budgétaire est difficile et en conséquence, améliorer le climat des affaires et le pouvoir d'achat paraissent dépendants de variables difficiles à concilier. Certains analystes évoquent l'urgence de passer à une politique de rigueur où on gèle les augmentations salariales tout en réduisant les frais du fonctionnement administratifs afin de préserver la stabilité financière, d'autres soutiennent de varier les sources de revenus de l'Etat et de garder un niveau de consommation publique et privée adéquat assurant la relance du cycle productif et de l'emploi. Les repères de l'austérité Le terme «austérité» remonte aux années 1960 en Europe pour désigner un style de gestion des finances publiques qui favorisait la pression tarifaire et fiscale sur la consommation, l'abaissement des dépenses publiques à caractère social et l'adoption de plans de licenciement. La démarche revêt trois facettes : fiscale, politique et monétaire. Cette politique dite de coupes vient comme réponse à une conjoncture ayant semé l'incertitude et des difficultés financières persistantes entraînant une crise de crédit et de solvabilité de l'Etat et des acteurs économiques, généralement, une contraction de la croissance s'installe pour compromettre la condition sociale. En Tunisie, plusieurs ingrédients pourraient mener à l'adoption d'une politique de rigueur en raison de l'accumulation des déficits qui ont gonflé la dette publique, l'inflation rampante qui, trop haute a embrouillé le fonctionnement du cycle productif, le sous-investissement, les bonds spéculatifs et le niveau hypothétique de la rentabilité des entreprises. Ces facteurs ont entrainé le pays dans un cercle économique vicieux. Pour restaurer l'équilibre des comptes publics et du secteur extérieur, stabiliser le taux de change, limiter le risque du taux d'intérêt et booster l'investissement local et étranger, les nouveaux gouvernants vont faire face à des dilemmes multiples pour le redressement des dérives monétaires, la lutte contre le relâchement de la demande et de la consommation sans pour autant provoquer à court terme une contraction de la croissance et raviver les revendications sociales. Et si on parlait relance ? D'après les expériences vécues, les politiques d'austérité font accroitre les inégalités sociales et affaiblissent ainsi le niveau de croissance en raison des pertes des revenus. Fréquemment semblable aux programmes douloureux d'ajustement structurel, celles-ci se sont soldées dans plusieurs pays par des échecs cuisants. Les instances financières internationales n'ont cessé depuis la survenance de la crise financière de 2008 de prôner une croissance inclusive dont les fruits bénéficieront équitablement aux ménages, aux entreprises et à L'Etat. Et pour cause, il a été démontré que l'austérité est une faute mathématique, le modèle sur lequel elle se basait ambitionnant au désendettement et au retour à l'équilibre budgétaire, souffre d'une erreur au niveau du multiplicateur fiscal. Pour simplifier, lorsqu'on enlève une unité monétaire dans un budget, elle ne manquerait pas uniquement dans la trésorerie du pays, le déclenchement des réactions en chaîne va aboutir à ce que son retrait provoquerait la perte de plusieurs autres unités dans la société sous l'effet de la dégradation accrue de la demande. Pour remédier à cette perversion, l'adoption des mesures de relance pourraient paraître comme une alternative viable. La politique de relance est amorcée par le cadrage des dépenses et des recettes gouvernementales et l'engagement de fonds budgétaires additionnels, des effets en cascade se créent et sont désignées effets multiplicateurs. Une commande d'un projet d'intérêt national engendrera une production supplémentaire, en conséquence, on enregistre une masse de revenus subsidiaires dont la partie non épargnée soutiendra une production dans d'autres filières économiques. La démarche au niveau des recettes constitue un second mécanisme de relance. En réduisant le niveau de variables tels que les taux d'impôts sur la consommation, sur le revenu ou sur les sociétés, l'Etat peut octroyer un pouvoir d'achat complémentaire et ainsi dynamiser la consommation, l'investissement et naturellement l'emploi. L'analyse des répercussions des politiques budgétaires présente la Tunisie, dans l'état actuel des choses, comme un cas d'école. Il est opportun de s'arrêter sur les voies minimisant les risques qui menacent les équilibres financiers. En dépit de son coût social, la rigueur économique reste un élément fondamental pour le décollage économique puisqu'en temps de changement, les recettes de L'Etat se voient réduites, pour pallier à cette carence tout en gardant un niveau de vie digne, plusieurs solutions sont envisageables. D'abord, l'existence d'un déficit ne doit pas empêcher de réfléchir quant à l'importance de la relance malgré les difficultés de gérer constamment des déséquilibres budgétaires. La démarche nécessite des arbitrages adéquats. Ensuite, identifier des limites de diminution du déficit même quand la croissance ralentit, élever les impôts par la lutte contre l'évasion fiscale et réduire les dépenses administratives injustifiées demeurent ainsi des actions primordiales. Enfin, se concentrer sur la réduction du déficit structurel qui n'est pas lié à la conjoncture doit primer sur le souci de juguler le déficit conjoncturel. Si la croissance suit un rythme d'évolution modéré, on ne doit pas s'affoler pour chercher à corriger les baisses de recettes ou les hausses de dépenses. Il est judicieux de laisser opérer les stabilisateurs systémiques et il s'agit là d'une politique distante qui requiert plus d'actions affinées de maniement des finances publiques, mais qui reste la plus commode à court et à moyen terme. Sans communication lucide quant à cette démarche, la population y verrait de l'indulgence ce qui demande une multiplication des efforts pour informer les contribuables de cette approche. *Spécialiste en gestion des risques financiers