Les opinions divergent sur la question des Tunisiens chrétiens qui, autrefois, étaient musulmans, mais ont changé de foi et sont devenus chrétiens. Certains sont très curieux d'en savoir plus sur ces personnes. D'autres ne veulent même pas entendre parler d'eux, car le sujet les dérange et leur suscite un malaise. Différents jugements sont portés sur cette population chrétienne. Les uns les considèrent comme traitres ou comme des francophiles déracinés. Les autres tolèrent cette différence et y voient une diversité enrichissante pour le paysage religieux en Tunisie. Qui sont les Tunisiens chrétiens? Quelle est la part du vrai et du faux dans les qualificatifs qu'on attribue à ces convertis ? Comment exercent-t-ils leur croyance ? Quel est leur nombre ? Pour répondre à ces questions et bien d'autres et pour mettre aussi plus de lumière sur ces citoyens tunisiens, Bussiness News s'est déplacé, samedi dernier, à l'église réformiste de la rue Charles de Gaulle à Tunis, lieu où les chrétiens tunisiens célèbrent leur culte. La cérémonie du culte a commencé à 14h30 par une lecture d'un passage de la bible suivie d'une courte prière. Les fidèles, les yeux clos et la tête baissée, prient, en petits groupes de trois ou de quatre, les mains des uns posées sur les épaules des autres. Ils demandent, d'une voix mi-basse, des pardons et expriment des souhaits. Une fois la prière terminée, ils enchainent directement avec les cantiques. L'atmosphère de prière se dissipe, cédant la place à une ambiance de joie. Les fidèles se lèvent des bancs, chantent, battent des mains, et dansent, en bougeant légèrement les hanches, au rythme des chants. Les cantiques sont chantés en arabe ou en tunisien dialectal sur des airs orientaux, notamment libanais et égyptiens, et plus rarement sur des airs tunisiens, coptes, grégoriens et métal. Sur la petite scène de l'église, on voit quatre choristes : deux filles et deux garçons habillés uniformément. La guitariste et l'organiste sont assis sur l'un des bancs, en face de la scène et le batteur est à leur côté sur une chaise. Avant le prêche, un des fideles fait le tour de la salle, en tenant à la main un sac rouge en velours, pour recueillir les offrandes. « Le donateur heureux est chéri par Dieu », rappelle le chef des choristes. Ensuite le micro est passé au pasteur qui prêche devant un public attentif. Puis, vient le dernier rite de la messe, la sainte-cène, pendant lequel on prend le pain et le vin en souvenir du dernier repas du Christ. Le pain représentant sa chair et le vin représentant son sang. En dehors des rituels, nous avons interviewé quelques uns parmi les présents pour tracer le portrait de certains chrétiens tunisiens. Pour Aymen, chrétien depuis février 2008, se convertir au christianisme était un choix difficile et précédé de grandes hésitations. Il a fallu que « Dieu se manifeste dans ses rêves » pour qu'il se décide enfin à devenir chrétien : « Une nuit, alors que j'étais en plein sommeil, un homme s'est adressé à moi en ces mots : « Suis moi mon fils, c'est moi le bon chemin ». Mais je n'y ai pas prêté grande attention, car pensant que c'était un délire ou peut-être une tromperie de Satan», a-t-il dit. Et de poursuivre « Quelques jours plus tard, j'ouvre la bible et tombe, au hasard, sur l'évangile de Jean, chapitre 14 - verset 6 « Je suis le chemin, la vérité, et la vie ». Ceci est une belle confirmation que mon rêve était une révélation ». Au cours de cette visite, nous avons pu faire la connaissance d'un jeune homme accueillant et sympa qui a choisi de faire sa déclaration à Business News sous le pseudo de «Ryuk Divinity». Ce monsieur est chargé de la sonorisation au sein de l'église. Ryuk a 22 ans et est chrétien depuis 3 ans. Il nous a raconté une petite anecdote qu'il a vécue : « Mes parents ont découvert que je suis chrétien à travers la presse écrite. Un jour, ils ont vu ma photo avec mon nom dans un article sur les chrétiens en Tunisie. Et bonjour les ennuis !», a-t-il raconté avec autodérision. Safa, 22 ans, est choriste au chœur de l'Eglise Réformiste de Tunis. Elle dit que sa foi chrétienne l'a beaucoup changée. « Avant, certains comportements d'autrui me dérangeaient. Aujourd'hui, je suis conquise par l'amour et je peux admettre l'autre malgré ses défauts», a-t-elle expliqué. A la question de savoir ce qu'elle aime le plus dans le christianisme, Safa répond : « C'est quand j'appelle Dieu mon père ». Un autre témoignage, plus frappant, vient de Karim, un trentenaire, qui fréquente cette église depuis environ quatre ans. « Vous serez certainement surpris, si je vous dis que je viens ici régulièrement alors que je ne suis pas chrétien. Oui, je suis athée et ce n'est que très rarement qu'il m'arrive de manquer le culte de samedi », a-t-il déclaré. Karim a même anticipé notre question sur les raisons de son attachement aux rituels de la messe. Il ajoute donc : « J'adore les chants religieux. De plus j'aime beaucoup chanter en groupe. Pourquoi me priverais-je de ce régal alors que je n'ai trouvé que bon accueil de la part des chrétiens qui sont ici ? À aucun moment, je ne me suis senti dépaysé. Et aujourd'hui, après quatre ans de visites régulières, je me considère membre de cette église et les chrétiens qui y appartiennent sont mes frères et sœurs». Il est un préjugé assez répandu dans la société tunisienne, c'est que celui qui abandonne l'Islam, abandonne sa patrie. Ce préjugé est contredit. Tous les mardis de l'année 2014, les chrétiens tunisiens de l'église évangéliste prient et jeûnent pour que la Tunisie soit préservée de tout mal, que son armée triomphe dans son combat contre les terroristes et que son économie soit épargnée de toute crise. Les chrétiens tunisiens ne sont pas moins patriotes que leurs concitoyens musulmans, nous rappelle-t-on. « J'appelle mes frères dans la patrie à être tolérants et à accepter que des Tunisiens puissent avoir une croyance autre que la leur. Je dis cela, car beaucoup de chrétiens ont été poussés à quitter le pays parce qu'ils étaient rejetés par la société et parce qu'ils étaient également victimes d'agressions», a conclu Melek, pasteur à l'église. Le nombre exact des Tunisiens convertis au christianisme n'est pas connu. Cependant, on les estime à quelques milliers, la majorité appartient à l'église évangélique. Par ailleurs, on peut bien se demander pourquoi des Tunisiens renoncent à leur religion de naissance ? Est-ce par quête d'une spiritualité répondant mieux aux exigences de leurs âmes ou par désenchantement par rapport à l'islam ?