Les mauvaises pratiques ont la vie dure. Le président de la République, démocratiquement élu, n'a été officiellement intronisé qu'hier, lundi 29 décembre, date de promulgation des résultats définitifs par l'instance des élections. Pourtant, classe politique, presse et société civile se comportent comme si « le nouveau roi » était déjà en terrain conquis. A coup de pages de congratulations, de messages mielleux et de flatteries serviles, les nouveaux lèche-bottes se refont une santé. La Tunisie n'aura pas longtemps souffert du « lèche-bottes blues ». Si le président sortant, Moncef Marzouki, a essayé à tout prix de casser l'image du « président-père », le retour en force des laudateurs ne s'est pas longtemps fait attendre. En effet, pendant ses trois années d'exercice, Moncef Marzouki, a essayé de donner une nouvelle dimension à la présidence de la République. Une dimension autre que celle donnée par Habib Bourguiba et Zine El Abidine Ben Ali. Depuis qu'il est à Carthage, Marzouki s'est attelé à donner au « nouveau représentant du pays » une nouvelle image qui semble mieux convenir à la conjoncture de l'époque. Une opération « séduction du petit peuple », orchestrée à coup de populisme, de visites surprise, de soutien inconditionnel aux martyrs de la révolution, d'accolades avec les citoyens des régions défavorisées et de visites guidées du Palais de Carthage. En devenant, ou du moins en essayant, de devenir ce président proche du peuple, Marzouki a réussi à casser le mythe du président craint et adulé. Les Tunisiens ont vécu sous la dictature depuis l'indépendance. Au début avec l'ancien président Habib Bourguiba, un dictateur craint mais apprécié par une importante frange de la société, et puis ensuite par Zine El Abidine Ben Ali, le dernier dictateur chassé avec la révolution de 2011. Une tradition qui a engendré la pérennité de l'image du « président –père de la nation ». Une sorte de dictateur éclairé qui, à l'image de Bourguiba, mènera le pays à bon port, à la baguette. L'élection de Béji Caïd Essebsi, premier président élu au suffrage universel, n'arrangera pas les choses. Le « nouveau Bourguiba » a longtemps insisté sur le prestige de l'Etat. Un prestige qui a été mis à mal sous le règne de Marzouki, de l'avis de nombreux observateurs. En effet, en parfait loup de la politique, Béji Caïd Essebsi est un bon tribun. Un politique de l'ancienne école qui estime qu'on peut gouverner au moyen de symboles. Et les symboles, il en utilise ceux du défunt Bourguiba dont il emprunte les accents. L'image même du père protecteur, qui rassure les foules, est revendiquée aujourd'hui par BCE, au grand plaisir de ses partisans. Depuis les votes du deuxième tour de la présidentielle, et bien avant même, l'arrivée, prévisible, de Béji Caïd Essebsi au Palais de Carthage a été fêtée à coup d'affiches collées dans les administrations, de tags sur les murs, d'autocollants placardés sur les voitures et de messages de congratulations dans les journaux. Les anciens portraits poussiéreux de Zine El Abidine Ben Ali, rangés pendant 3 ans au fond des placards, ont cédé la place à ceux de Béji Caïd Essebsi. Dans les restaurants, les bars et les cafés, le surnom « Bajbouj » a été donné à des plats, des cocktails et trône même fièrement au milieu de certains établissements très fréquentés de la capitale. Même avant les votes, en pleine campagne électorale, les meetings organisés par le candidat à la présidentielle étaient l'occasion de crier des slogans divinisant le président de Nidaa où youyous et larmes d'émotion étaient monnaie courante. Dans la presse, la plume des laudateurs n'a pas attendu la proclamation des résultats définitifs, ou même provisoires, pour crier, en grands titres et en unes, que la victoire de Béj Caïd Essebsi relève désormais du domaine public. Une victoire qui « fera beaucoup de bien à la Tunisie » et qui « sortira le pays du provisoire », peut-on lire. Force est de reconnaitre qu'on n'en sait encore rien pour l'instant et que d'énormes chantiers attendent le président de la République qui prendra officiellement les commandes demain, mercredi 31 décembre 2014. Ceci dit, de l'avis de nombreux journaux, Béji Caïd Essebsi aura « illuminé notre démocratie naissante », et « mené la barque nationale à bon port », et ce, avant même d'avoir foulé le sol du Palais de Carthage. En Tunisie, le roi est mort vive le roi ! La question n'est donc plus de savoir si l'image du « père » a encore sa place dans le paysage politique actuel. Il est plus opportun de se demander quand et comment cèdera-t-elle la place à celle d'un président « équilibre ». Un président dont le pouvoir émane des urnes et qui sera tenu d'honorer ses engagements sous peine de se voir destitué à la fin de son mandat.