Le Premier ministre du gouvernement de transition sortant Béji Caïd Essebsi envisage, selon son entourage, la création d'un parti qui réunit les forces centristes sous une même bannière. L'initiative du sémillant bourguibiste octogénaire pourrait redistribuer les cartes dans un paysage politique, désormais dominé par le mouvement islamiste Ennahda. «En politique, une carrière se termine seulement quand on meurt. Ma place sera toujours au cœur de l'arène politique. On ne fait pas de la politique qu'à l'intérieur des rouages de l'Etat». C'est ainsi que répond l'inoxydable Premier ministre sortant, Béji Caïd Essebsi, quand on l'interroge sur ses projets politiques. L'homme qui vient juste de souffler ses 85 bougies avait déjà déclaré, le 3 octobre dernier, qu'il ne s'éclipsera pas de sitôt du paysage politique. «Je ne suis pas prêt à prendre ma retraite. Pour moi, un homme politique doit servir son pays», a-t-il annoncé dans une interview accordée au quotidien américain New York Times à l'occasion d'une visite d'Etat au pays de l'oncle Sam. C'est bien clair, donc, le fringant papi qui a officiellement démissionné le 23 octobre ne va pas profiter d'une paisible retraite ou réendosser sa robe d'avocat pour arpenter de nouveau les allés des tribunaux. Que fera-t-il donc ? Le mystère commence à se lever. Le bourguibiste impénitent empêché par le très entreprenant chef du Congrès pour la République, Moncef Marzouki, de conduire la deuxième étape transitoire en tant que locataire du palais de Carthage au nom d'une rupture totale avec l'ancien système envisage, selon son entourage, de fonder un nouveau parti. Durant son passage, hier, sur les ondes de la radio privée Mosaïque FM, l'intéressé n'a pas démenti l'information. «La Tunisie a aujourd'hui besoin d'une force centriste, éloignée de l'extrémisme de gauche comme de droite et ouverte à toutes les énergies», a-t-il précisé. Et d'ajouter: « il faut que les Tunisiens s'intéressent davantage à la vie politique et partisane car il y a une tension perceptible suite aux résultats des dernières élections auxquels beaucoup ne s'attendaient pas. Celui qui veut voir des résultats différents n'a qu'à se préparer dès maintenant aux prochaines élections». Bilan satisfaisant Pour M. Caïd Essebsi, qui rappelle que l'offre politique pléthorique a été à l'origine de l'éparpillement des voix lors du dernier scrutin, le chemin à suivre est clair. L'homme n'attendrait, selon ses proches collaborateurs, que la passation du pouvoir à son successeur à la Ksabah pour annoncer la création de son parti. La nouvelle formation politique du Premier ministre sortant sera ouverte non seulement aux bourguibistes et aux ex- destouriens mais aussi à tous les partis et les diverses initiatives citoyennes prônant le régime républicain et la préservation des acquis de l'indépendance et de l'identité arabo-musulmane du pays. «La Tunisie a besoin d'une force politique qui rassemble ceux qui se réclament de la pensée bourguibienne et des valeurs centristes», a affirmé M. Essebsi, indiquant qu' «il tendra la main à tous ceux qui accepterons de travailler avec lui». Autant dire que le parti qui pourrait être baptisé, selon les premières indiscrétions, «Al-wihda al-wataniya » (Le Parti de l'Unité Nationale) entend brasser large… Selon les observateurs avertis, la nouvelle formation politique en gestation est en mesure de redessiner la carte politique tunisienne et de constituer un véritable contrepoids au mouvement islamiste Ennahda, désormais la première force politique du pays. C'est que son fondateur peut compter sur sa popularité et son bilan globalement satisfaisant à la tête du gouvernement de transition. Ayant succédé au technocrate Mohamed Ghannouchi en pleine tempête, «l'homme des missions difficiles» comme le qualifiait Bourguiba, a bien tenu la barre pour redresser l'embarcation et la mener à bon port. Certains lui reprochent, toutefois, d'avoir usé du gros bâton pour étouffer certaines revendications au nom de la «restauration du prestige de l'Etat». Mais l'homme politique aguerri est convaincu que c'était là le meilleur moyen de sortir de la zone de turbulences avec les moindres dégâts. «Face aux revendications sociales pressantes du peuple dans la phase post-révolution, il est impératif d'adopter un processus progressif. Les protestataires ont certes le droit de s'exprimer mais il faut également faire régner l'ordre», a-t-il notamment répondu à ses détracteurs. Parcours impressionnant Avocat de formation et ancien sorbonnard, Béji Caïd Essebsi aime rappeler sur le ton de la plaisanterie qu'il a été «sorti des archives». Pour trouver un Premier ministre n'ayant pas servi sous Ben Ali, le président par intérim, Foued Mebazaâ, n'avait pas, en fait, l'embarras de choix. Il y avait à peine trois ou quatre noms parmi les gens de métier qui pouvaient assurer cette fonction, dont Béji Caïd Essebsi, Ahmed Mestiri et Mustapha Filali. Parmi ces grands noms de l'après-indépendance tunisienne, Caïd Essebsi, 84 ans, est incontestablement celui qui connaît le mieux les rouages de l'Etat. Ce Tunisois issu d'une de la grande bourgeoisie tunisoise fut à quatre reprises ministre sous Bourguiba. Entre 1965 et 1986, il a endossé notamment les portefeuilles régaliens de la Défense, de l'Intérieur et des Affaires étrangères. Militant du Néo-Destour, le parti de Bourguiba, l'homme a toujours été partisan d'une démocratisation réelle de la vie politique nationale. Le 12 janvier 1972, il n'hésita pas à remettre sa démission du poste d'ambassadeur de Tunisie à Paris à Bourguiba, qu'il a n'a pas manqué de qualifier de «despote éclairé» dans son livre «Le Bon grain et l'ivraie», en raison du refus du père de l'indépendance d'instaurer le pluralisme politique. La rupture entre Béji et Bourguiba à qui il reconnaît la construction d'un Etat moderne et ouvert a duré jusqu'en 1980. Cette année-là, Mohamed Mzali, qui a succédé à Hédi Nouira à la primature, initie un début d'ouverture politique. Caïd Essebsi accepte alors de réintégrer le gouvernement comme ministre des Affaires étrangères, un poste qu'il ne quitta qu'en septembre 1986. Elu député en 1989, Caïd Essebsi a refusé de se représenter à l'expiration de son mandat quand il constata la «dérive autoritaire» du régime de Ben Ali. «À la fin de mon dernier mandat de député, en 1994, j'ai eu le sentiment de ne pas avoir pu changer grand-chose au système politique. J'ai quitté la scène politique sans regret», précise-t-il. Avec ce riche parcours, Caïd Essebsi apparaît comme l'un des rares hommes capables de redistribuer les cartes dans le nouveau paysage politique tunisien. O.K daassi andalib amad salem MDARGHAM zarzour