Depuis la victoire de Nidaa Tounes aux élections législatives du 26 octobre 2014, on s'interroge sur l'identité du prochain chef du gouvernement. C'est aujourd'hui, 5 janvier, que le nom de Habib Essid a été officiellement proposé par Nidaa Tounes au président de la République, Béji Caïd Essebsi. Un choix qui risque de susciter certaines critiques et qui montre, également, la voie que compte tracer Nidaa Tounes. Après un suspense qui a duré quelques semaines, c'est finalement Habib Essid qui a été désigné pour devenir le chef du prochain gouvernement. Habib Essid est âgé de 65 ans, il est né à Sousse et est père de trois enfants. Il a derrière lui une carrière de commis de l'Etat principalement dans des fonctions liées à l'agriculture. Il est ensuite passé au ministère de l'Intérieur jusqu'en 2001. Il revient ensuite au domaine agricole où il a été directeur exécutif du conseil oléicole international dont le siège est à Madrid (Espagne) de 2004 à 2010. Il a également été ministre de l'Intérieur dans le gouvernement de Béji Caïd Essebsi durant la première phase transitoire en remplacement de Farhat Rajhi. Par la suite, il a été conseiller sécuritaire dans le cabinet de Hamadi Jebali lorsqu'il était chef du gouvernement. Les signaux envoyés par ce choix sont clairs : la sécurité et le rétablissement du prestige de l'Etat. Le choix de Nidaa Tounes s'est porté sur une personnalité travailleuse qui a fait ses preuves au service de l'Etat depuis des années. Un profil qui correspond à la nécessité de remettre le pays au travail. D'un autre côté, l'expérience sécuritaire de Habib Essid correspond à la deuxième nécessité dans la prochaine étape, celle du combat contre le terrorisme. Le choix de Habib Essid en tant que chef du gouvernement soulève cependant quelques interrogations. La première de ces interrogations est relative au choix porté sur une personne qui n'appartient pas à Nidaa Tounes. Une large frange du parti militait pour que le chef du gouvernement soit désigné parmi les leaders du parti. Pour étayer cette volonté, ils mettent en avant le choix des urnes et soutiennent que si une majorité du peuple les a élus c'est pour gouverner. En plus, il faudra, pour le parti, faire les frais d'une politique qu'il n'aura pas participé à fixer. D'un autre côté, le choix d'une personne indépendante participe à calmer les esprits et à pousser à un meilleur consensus autour de l'équipe gouvernementale. En plus, Habib Essid a travaillé auparavant avec Béji Caïd Essebsi et avec Hamadi Jebali ce qui fait qu'il est connu de Nidaa Tounes et d'Ennahdha, les deux principales forces politiques du pays. En attendant la composition gouvernementale complète, la personnalité de Habib Essid semble être consensuelle. Une des autres interrogations que soulève la nomination de Habib Essid concerne son bilan. En effet, il a été en fonction en tant que ministre de l'Intérieur avec Béji Caïd Essebsi, période durant laquelle certaines contestations sociales ont été violemment réprimées. Son bilan en tant que conseiller chargé des affaires sécuritaires auprès de Hamadi Jebali soulève plusieurs interrogations car c'est durant cette période qu'a eu lieu le meurtre de Chokri Belaïd. C'est aussi durant cette période-là que les manifestations du 9-Avril ont été réprimées par les forces de l'ordre avec la présence de certaines milices. Comme l'a déclaré Mohamed Ennaceur, président par intérim de Nidaa Tounes, Habib Essid a été choisi pour « son indépendance et son expérience notamment dans le domaine sécuritaire et économique ainsi que sur la base des postes qu'il a occupés au sommet de l'Etat ». Clairement, l'aspect sécuritaire a joué en faveur de la nomination de M. Essid à la tête du gouvernement tunisien. Eu égard à la nécessité de lutter contre le terrorisme, le choix a été porté sur un « vieux de la vieille » qui a longtemps arpenté les couloirs du ministère de l'avenue Habib Bourguiba. La personnalité du ministère de l'Intérieur sera également centrale dans cette configuration. Par ailleurs, son expérience économique peut être un avantage au vu des défis qui se posent à la Tunisie. Mais il faut avouer que ce n'est pas le mieux placé en Tunisie dans le domaine économique puisqu'il a principalement roulé sa bosse au ministère de l'Agriculture. D'après les différentes déclarations de plusieurs politiciens, la nomination de Habib Essid à la primature est favorablement accueillie. En effet, Zied Laâdhari, porte-parole officiel d'Ennahdha, a déclaré « nous accueillons favorablement la nomination de Habib Essid et sommes prêts à travailler avec lui ». Mohsen Hassen, leader du parti de l'Union patriotique libre, s'est félicité du fait que son parti ait été consulté pour désigner M. Essid, il a ajouté qu'il s'agissait d'une personnalité consensuelle qui jouit d'une grande expérience sécuritaire et économique. Le seul bémol a été apposé par le Front populaire qui n'a pas été consulté pour cette désignation et qui n'a pas manqué de souligner l'appartenance de Habib Essid au régime de Ben Ali. Zouhair Maghzaoui a souligné que Habib Essid est un point de rencontre entre Ennahdha et Nidaa Tounes en ajoutant que le jugement se fera sur l'action gouvernementale et non sur les personnes. Les défis qui se posent au prochain gouvernement sont de taille et les dossiers à traiter sont nombreux. Le choix d'un homme à poigne, expert dans le domaine sécuritaire, peut se révéler judicieux en cette période. Toutefois, cette même rigidité est une arme à double tranchant quand il s'agira de négocier avec les syndicats ou de traiter les réformes économiques douloureuses qui s'annoncent. Habib Essid pourrait être l'homme de la situation mais pour l'instant, les questions qu'il soulève sont plus nombreuses que les certitudes qu'il apporte. Dans un moment charnière de l'Histoire du pays, la responsabilité jetée sur les épaules de Habib Essid est immense.