L'affaire du blogueur Yassine Ayari, condamné et jugé, de nouveau, par le Tribunal militaire de Tunis, continue à défrayer la chronique et à occuper le devant de la scène de l'actualité en Tunisie. En ce moment, le pays s'apprête à achever l'entrée dans la phase finale après l'étape de transition qui aura duré plus de quatre ans, en tout, depuis l'avènement de la révolution le 14 janvier 2014. Comme tout personnage polémique, Yassine Ayari ne laisse pas indifférent. Ses sympathisants sont, donc, aussi nombreux que ses détracteurs. Mais, qui est au juste Yassine Ayari ? Il s'agit, en fait, du fils d'un colonel de l'armée tué en mai 2011 dans des affrontements avec un groupe de jihadistes de Rouhia dans le Nord-ouest du pays. Déjà activiste sous le régime de l'ancien président Ben Ali, le blogueur a continué à être actif après la révolution de janvier 2011 pour dénoncer la répression policière. Il s'est, depuis, rangé au côté du Congrès pour la République (CPR), le parti de l'ancien président Moncef Marzouki. Ces derniers mois, il s'est montré très critique envers le parti Nidaa Tounès et son chef Béji Caïd Essebsi, qui vient d'être élu président de la République. Il s'est fait connaître pour ses propos particulièrement acerbes. De fait, certains d'entre eux, peu étayés selon plusieurs observateurs, pourraient être considérés comme diffamatoires dans un autre pays. Le problème est, qu'en Tunisie, "les médias électroniques, à l'inverse des médias traditionnels, sont encore peu encadrés", souligne Selim Kharrat, directeur exécutif de l'Association Al Bawsala. Revenons, maintenant, aux péripéties du procès. Après avoir été condamné par contumace à trois ans de prison ferme par le Tribunal militaire de Tunis, Yassine Ayari, a comparu, aujourd'hui mardi 6 janvier, devant le même Tribunal lors d'une audience, et ce après avoir fait opposition du jugement par ses avocats. A l'issue de cette audience, M. Ayari a été maintenu en détention, sachant qu'il sera interrogé par le juge le 12 janvier alors que la date de la prochaine audience a été fixée au 20 janvier 2015. On notera, à ce propos, que le ministère public avait requis un mandat de dépôt contre le prévenu et que les avocats avaient demandé sa libération. Pour rappel, Yassine Ayari a été jugé et condamné par contumace pour les chefs d'inculpation suivants: -Diffamation et outrage public à l'encontre d'officiers supérieurs et cadres au ministère de la Défense, insultes publiques et allégations de fausses informations; -Propagation de rumeurs susceptibles de perturber les unités militaires et faisant croire à l'existence de graves problèmes au sein de l'institution tels que la démission de l'actuel Chef-d'Etat major de l'Armée de Terre; -Accusation sans preuve de certains dirigeants d'abus financiers et administratifs. Réagissant au jugement et au maintien du blogueur en détention, l'Organisation Human Rights Watch (HRW) estime que « le jugement du blogueur Yassine Ayari par un Tribunal militaire est une violation des principes fondamentaux du droit international selon lequel les tribunaux militaires ne sont pas compétents pour juger les civils ». Dans sa même déclaration, HRW rappelle que «le jugement de personnes pour atteinte à l'armée ou à autres institutions de l'Etat s'oppose à l'engagement de la Tunisie à respecter l'article 19 du Pacte international des droits civils et politiques ». Humain Rights Watch a lancé, par ailleurs, un appel à l'Assemblée des représentants du peuple (ARP) pour une révision des lois qui prévoient des peines d'emprisonnement contre toute atteinte aux institutions de l'Etat et estime indispensable de « redéfinir les compétences des tribunaux militaires dans le sens de les dessaisir de toute autorité sur les civils ». « Mais si il a vraiment commis des actes répréhensibles, ceux-ci doivent être examinés par la justice civile, et non celle militaire », soutient Amna Guellali représentante de HRW à Tunis. Toute la polémique réside, comme on le constate, dans la compétence, ou non, des tribunaux militaires à juger des personnes civiles. En effet, outre les parties qui dénoncent le procès comme étant un retour à la répression des citoyens pour leurs idées et opinions, d'autres estiment que le blogueur Yassine Ayari « a commis, certes des délits répréhensibles par la loi, mais il dit être jugé, pour cela, par une juridiction civile ». Il faut dire que tous les pays démocratiques ont aboli cette pratique de jugement des civils par des tribunaux militaires, même si le délit touche une institution militaire. Pour certains pays, comme l'Espagne et l'Italie, l'abolition n'a eu lieu qu'assez tardivement alors qu'en Suisse, certaines exceptions persistent encore. En effet, la justice militaire suisse est aussi compétente, mais à certaines conditions assez restrictives, pour poursuivre et juger des personnes civiles dans d'autres cas que des violations des Conventions de Genève. Ces cas peuvent être énumérés comme suit : les civils qui se rendent coupables de trahison par violation de secrets intéressant la défense nationale (article. 86 du code pénal militaire -CPM), de sabotage (article. 86a CPM), d'atteinte à la puissance défensive du pays (article. 94 à 96 CPM), de violation de secrets militaires (article. 106 CPM) ou de désobéissance à des mesures prises par les autorités militaires ou civiles en vue de préparer ou d'exécuter la mobilisation de l'armée ou de sauvegarder la secret militaire (article. 107 CPM). Il y a lieu de préciser encore ici que la poursuite des crimes de guerre incombe, depuis le 1er janvier 2011, à la juridiction civile (ministère public de la Confédération) et non plus à la justice militaire, qui ne garde une compétence qu'en cas d'implication personnelle active ou passive d'un militaire suisse ou en temps de guerre. Toujours est-il que les règles d'exercice de la juridiction sont différentes en temps de paix et en temps de guerre, dans le sens où la soumission au droit pénal militaire est plus étendue en temps de guerre pour les personnes civiles. Pour retourner à ce qui se passe en Tunisie, tout le monde s'accorde, même les juristes, à dire que dans l'état l'actuel des choses concernant le cas de Yassine Ayari, c'est la loi qui est appliquée, d'où les appels à réviser ces lois par l'ARP. Sarra HLAOUI