Le coup d'envoi des négociations sociales, prévues depuis le gouvernement de Mehdi Jomâa et sans cesse reportées, a été officiellement donné aujourd'hui, lundi 23 février 2015. Ces négociations, concernant les augmentations salariales des travailleurs du public, interviennent dans une atmosphére économique asphyxiée et un climat social plus que jamais délétère. Alors que les économistes tirent la sonnette d'alarme quant à l'état des finances publiques, les syndicats pointent du doigt une situation sociale dramatique et une dégradation continue du pouvoir d'achat des citoyens. Une convention commune a été signée aujourd'hui par le chef du gouvernement Habib Essid avec le secrétaire général de l'UGTT Houcine Abassi annonçant l'ouverture des négociations sociales autour des augmentations salariales du secteur public. Ce dossier pour le moins épineux, longtemps repoussé par l'ancien chef du gouvernement Mehdi Jomâa, sera désormais pris en main par le nouvel exécutif. Un premier test pour le gouvernement Essid qui démarre sa mission dans un cadre pour le moins délicat. Usant de son droit à la grève, la puissante centrale syndicale avait déjà fait pression sur le gouvernement Jomâa pour que ce dernier cède aux nouvelles augmentations salariales de 2014 dans le secteur public. Jomâa ne se laissera pas faire mais léguera le dossier à son successeur. Alors qu'il occupait le poste de chef du gouvernement, Mehdi Jomâa a donné la consigne à ses ministres de ne pas engager de grandes décisions au cours de la période en cours, étant donné que le nouveau gouvernement prendra ses fonctions prochainement. Un gouvernement démocratiquement élu et qui sera en place pour une durée confortable lui permettant de prendre des décisions à long terme, contrairement à un gouvernement de transition, provisoire. Sauf que la centrale syndicale, organisation puissante dans le pays, ne l'a pas vu de cet œil et refusait, constamment, de déclarer l'année 2014 « année blanche » en matière de négociations sociales. Après que 6% d'augmentation aient été accordés pour plus de 1,5 million de salariés du secteur privé, l'UGTT a refusé de voir les salariés de la fonction publique oubliés par cette augmentation. Investi depuis peu, le gouvernement de Habib Essid signe aujourd'hui le début des négociations qui impacteront le budget de l'Etat pour les exercices 2014 et 2015. 750 fonctionnaires de la fonction publique sont concernés par les négociations sur les augmentations de salaire. Un climat consensuel entourera ces négociations qui seront « brèves » a annoncé Mofdi Mseddi, conseiller médiatique du gouvernement, aujourd'hui dans une déclaration aux médias. « Les négociations se tiendront rapidement, on l'espère, afin de permettre le début de celles de 2015 et 2016 », a-t-il dit. Les deux protagonistes auront du pain sur la planche. Ces augmentations ont pour but d'apaiser une tension générale palpable entre les deux parties, due à une situation économique plus que difficile. Les deux côtés font part d'une « volonté commune » de redonner espoir aux citoyens, mais par quels moyens s'y prendre concrètement ? Lors de la réunion d'aujourd'hui, un important point a été relevé par Habib Essid : la difficulté que rencontrent actuellement les caisses sociales. Il a fait remarquer que le déficit enregistré a atteint les 400 millions de dinars et qu'il est possible que les 700 millions soient atteints à la fin de l'année 2015. Des chiffres dont la centrale syndicale ne veut pas entendre parler. « L'année dernière a connu une importante hausse des prix. Il est important aujourd'hui de prendre en compte la dégradation du pouvoir d'achat et de la situation sociale », a déclaré Sami Tahri aux médias aujourd'hui. Alors que les grèves battent leur plein dans plusieurs secteurs, le secrétaire général adjoint de l'UGTT affirme que le syndicat n'a nullement promis au gouvernement, en contre partie des augmentations, que les grèves cesseront. « La question de mettre un terme aux grèves et aux réclamations n'a pas été évoquée comme condition pour négocier », a-t-il dit. L'important étant, selon les deux parties, de réussir à instaurer un climat de paix sociale au cours des prochains mois. Force est de reconnaître que la crise sociale est effective. Le taux de chômage avoisine les 17% et les grèves ont augmenté de 16% rien qu'en 2014. La vie chère menace les portefeuilles de milliers de salariés qui ont de plus en plus de mal à joindre les deux bouts et la pauvreté ne cesse de grimper face à des indicateurs macroéconomiques de plus en plus alarmants depuis 2011. Le déficit de la balance commerciale a atteint 13,7 milliards de dinars, autrement dit, il a triplé en 10 ans, les IDE sont en baisse de 12,1 % par rapport à 2013 et le dinar s'est déprécié de 10 % par rapport à l'euro. Nombre d'économistes s'accordent quant au fait que l'augmentation des salaires, telle que formulée par l'UGTT, aggravera davantage une situation économique au bord de l'asphyxie mais le dossier social est une des grandes urgences du moment. Les récents événements à Dhehiba l'ont bien prouvé. Des manifestations appelant au développement de la région ont été sauvagement réprimées par les forces de l'ordre du nouveau ministère de l'Intérieur et un des manifestants a été tué. Des cas d'étouffement par gaz lacrymogène périmé et de blessures par tirs de chevrotine ont également été enregistrés. Deux versions contradictoires ont été données autour de cette affaire. Alors que Mohamed Ali Aroui, porte-parole du ministère de l'Intérieur, affirme que les forces de l'ordre ont usé de balles réelles suite à des actes de violences et d'agression de la part des manifestants, un rapport de la commission d'enquête sur les affrontements de Dhehiba, créée par le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux, prouve qu'il n'en est rien. En effet, selon un rapport publié le 19 février courant, on précise que, contrairement à la version officielle du ministère de l'Intérieur, le poste de police de la ville de Dhehiba n'a pas été brulé, ainsi qu'aucune maison des membres de la Garde nationale. L'usage de la violence ne serait donc nullement justifié. Des manifestations alarmantes de la manière avec laquelle le nouveau gouvernement, fraîchement nommé, gère le dossier social. Dans une précédente déclaration, Sami Tahri a dit aux médias, que « le prochain président du gouvernement devra être une personnalité proche des dossiers sociaux plutôt qu'un technocrate qui cherche à résoudre les dossiers économiques sans s'intéresser aux problèmes des Tunisiens », et ce, avant même l'investiture de Habib Essid. Voilà que le nouveau chef du gouvernement se retrouve aujourd'hui investi de cette lourde tâche. Sera-t-il de taille à satisfaire les revendications sociales des protestataires, ardemment défendues par l'UGTT ? Un accord devra être trouvé entre les différentes parties. Il en va du salut de la période, très délicate, à venir.