Après le cap des élections législatives et présidentielle de 2014 et la réussite de sa transition démocratique, la Tunisie est confrontée à des défis économiques et sociaux de taille, menaçant de freiner les progrès de la nouvelle démocratie. Dans le cadre de la 18e édition du Forum international de Réalités, une séance présidée par le directeur de Sigma Conseil, Hassen Zargouni, a été l'occasion de dialoguer sur les possibles nouveaux modèles économique pour la Tunisie et les défis qui attendent le pays sur le plan économique et social. Fixer un cap pour les années à venir : Mahmoud Ben Romdhan, ministre du Transport, est revenu sur la question des 100 premiers jours et la vision des 5 prochaines années, expliquant que ces dispositions sont faites pour qu'il y ait chez le citoyen, ou les acteurs, le sens d'un changement significatif qui a lieu dans leur vie courante. « La vertu des mesures prioritaires c'est que ca va sortir l'administration d'une longue période de démoralisation : ca donne le sens qu'il y a désormais un état en place et qu'on s'inscrit dans l'avenir, un avenir à moyen et long terme et qui se dote d'une vision ».
A titre illustratif il évoque la détérioration des transports en commun, notamment avec une flotte qui n'a pas été renouvelée depuis 4 ans précisant qu'il n'est pas possible de changer toute cette situation parce que le facteur déterminant est le temps. Il ajoute qu'au cours des 100 premiers jours, le gouvernement va prendre les décisions avec les parties prenantes, avec les syndicats et avec le patronat pour qu'un cap soit fixé pour les années à venir. « J'espère que le 15 mai, qui est la date limite des 100 premiers jours, vous aurez vu un changement significatif à tous les niveaux. Dans son discours d'investiture, le chef du gouvernement a indiqué que le cap est, fondamentalement, le programme économique et social de Nidaa Tounes enrichi par l'apport des autres partis ».
Le ministre indique que le cap n'est pas encore fixé, mais que l'engagement du gouvernement c'est qu'aux termes des 100 premiers jours, le 15 mai, seront fixées les grandes orientations pour les 5 prochaines années. « Il va y avoir les grandes lignes du plan 2016-2020. On préparera tout de suite après ce plan à long terme avec nos partenaires : UTICA, Conect, les syndicats et les régions ».
L'administration est réformable, il lui manque l'ambition : Pour Kamel Bennaceur, ancien ministre de l'Industrie sous le gouvernement Jomâa, il est nécessaire, pour mettre les bases futures, de dire que l'administration tunisienne est composée de compétences qui ont juste besoin du cap, du management et des perspectives pour pouvoir se développer et évoluer. « L'administration est donc absolument réformable mais il faut qu'elle ait une ambition ». Cette ambition pourra se développer via la mise en place d'un plan quinquennal, toutefois il doit être la déclinaison d'une vision plus étendue. Les modèles les plus réussis (Japon, Singapour, Corée du Sud…), sont des modèles de 20 ans et qui ont été déclinés par la suite en plan de 5 ans. Donc la Tunisie se doit d'avoir un plan mobilisateur à l'échelle d'une génération, en l'occurrence pour 2040-2050, précise M. Bennaceur.
Au point de vue de l'industrie, la Tunisie a une expérience d'une industrie tournée vers l'exportation, « il faudra définir un modèle qui soit harmonieux entre des industries à forte employabilité et d'autres à forte valeur ajoutée. Ce mix entre deux types d'industries est extrêmement important dans notre vision, qui devra se focaliser sur un certain nombre de domaines et ne pas s'éparpiller en allant vers des domaines qui n'entrent pas dans notre perspective régionale ou internationale ». Dans le cadre de ses industries, il faut d'après l'ex ministre, qu'il y ait des structures d'accueil harmonieuses et améliorer les prestations des zones industrielles, pour qu'un investisseur, arrivant en Tunisie, trouve un terrain intéressant et favorable. « Je peux vous assurer par exemple qu'aucun constructeur d'automobiles ne viendra en Tunisie s'il ne trouve pas l'apport logistique qui va avec ! ».
Il est impératif de déclarer la paix sociale ! Ahmed Karam vice-président d'Amen Bank affirme que la notion fondamentale du secteur financier est d'apprécier les risques et de les considérer comme acceptables pour pouvoir opérer dans l'avenir. Pour lui, le fait que la Tunisie soit un pays risqué pour les financiers est dû à deux raisons fondamentales. « Quand il y a le terrorisme qui s'installe dans le pays, il y a des angoisses. Toutefois, la Tunisie a l'opportunité, après ce qui s'est passé au Bardo, de traiter ce risque en envoyant un signal efficace aux investisseurs ». Etre en guerre contre le terrorisme suppose des actions fondamentales et un message clair. « On ne peut gagner cette guerre alors que l'armée et la police sont déstabilisées. Toutes leurs forces doivent être focalisées sur la lutte antiterroriste. L'armée est dispersée quand il y a des sabotages, des sit-in, des grèves, et on ne peut pas lui demander d'être efficace ».
Il est de ce fait impératif, d'après M. Karam, de déclarer une paix sociale. Il faudra envoyer un message fort aux Tunisiens pour qu'ils reprennent le travail et, ainsi, lutter efficacement contre le terrorisme et générer un climat propice aux affaires et à l'investissement. Par ailleurs, la réconciliation nationale pourra construire une dynamique nouvelle, alors que la fuite des capitaux à l'étranger est égale à la dette nationale. Nous avons une opportunité pour ramener cet argent au pays et de rapatrier des devises en Tunisie, outre la mise en place d'une amnistie fiscale en faisant un arrangement avec les fraudeurs ce qui renflouera les caisses de l'Etat.
L'Etat providence n'est plus, l'initiative privée comme moteur de la croissance et de l'employabilité : Pour sa part, Nafaâ Naifar, président de la Commission des affaires économiques à l'UTICA, explique que les problèmes rencontrés par la Tunisie nous ont poussés à chercher des modèles de sortie de crise pour avoir un plus grand taux de croissance afin de créer des emplois qualitatifs.
La situation nécessite des réformes : «la réforme de l'enseignement, de la formation professionnelle s'imposent pour produire des compétences qui feront la différence par rapport aux cites concurrents. Il faut réformer l'administration pour qu'elle soit plus compétitive, il faut réformer la législation, élever l'infrastructure aux standards internationaux, créer un environnement social serein. Il faut se mettre en tête que l'Etat providence ne peut plus fonctionner et que l'initiative privée devra être le moteur de la croissance et de l'employabilité ». La Tunisie est donc dans l'obligation d'encourager l'initiative privée créatrice d'une valeur ajoutée sûre.
Un modèle de développement inclusif, solidaire, performant et ouvert sur le monde : Radhi Meddeb, expert économique tunisien, déclare qu'avant le 14-Janvier la Tunisie a enregistré une croissance reconnue, mais elle n'a pas abouti au développement. La croissance n'a pas été inclusive, juste, solidaire ou durable, ce sont les termes qu'on devrait utiliser pour le nouveau modèle de développement en Tunisie post-élections. Un modèle de développement qui devra s'esquisser par petites touches quotidiennes avec une vision à long terme. « Il faut que l'Etat ait de l'ambition pour le pays afin de se rapprocher le plus possible de ce modèle ».
M. Meddeb évoque également un système de sécurité sociale en faillite. Les solutions existent, notamment revoir l'âge de la retraite, les niveaux de cotisation des patrons et des salariés, outre l'intégration de l'économie informelle dans le circuit officiel, qui pourrait largement contribuer au redressement des équilibres financiers. Pour rattraper le retard en matière de développement régional, des projets significatifs dans les régions sont utiles, mais ne sont pas suffisants parce que les régions intérieures manquent d'infrastructure, d'emplois qualifiés et subissent des discriminations diverses et variées. « Sur les dix prochaines années la Tunisie devrait se doter d'une infrastructure qui s'inscrit dans un cadre régional, de coordination maghrébine et au-delà du Maghreb ». Pour conclure Radhi Meddeb souligne qu'il faudra donner à l'économie sociale et solidaire toute sa place dans l'économie tunisienne, parce que ni le secteur public, aujourd'hui plombé par de grands déficits structurels, ni le secteur privé n'auront la capacité suffisante d'aller dans les régions. « L'économie sociale et solidaire peut être un modèle effectif et donner la capacité à des porteurs d'idées dans les différentes régions pour lancer leurs projets ».