Lors de ma scolarité, j'ai eu un instituteur merveilleux. Il s'appelait M. Ben Amor et il nous a accompagnés doucement vers la fin de notre dernière année d'enseignement primaire. Il avait cet étonnent mélange entre douceur et fermeté et on savait qu'avec lui, on ne serait jamais pris de court ou spoliés. On avait l'assurance d'avoir avec lui le meilleur des enseignements. C'était un vrai instituteur avec toute la noblesse que peut porter ce mot. Rien à voir avec les instituteurs grévistes de ces derniers jours. Non pas parce qu'ils font grève, mais parce qu'ils nuisent à leur métier et à leurs images. Quant à ceux d'entre eux qui ont agressé des journalistes lors de la « journée de la colère » organisée devant le ministère de l'Education, ils ne méritent même pas de se trouver dans une salle de classe.
Mais leur grève aura quand même permis à l'opinion publique de voir avec qui ses enfants passent le plus clair de leur temps. On parle de gens capables de mettre dans la balance des négociations l'avenir et l'intérêt d'enfants. Ça renseigne déjà sur la haute valeur morale de ceux d'entre eux qui sont capables de tels actes. Evidemment, il n'est pas question de généraliser et il est clair que tous les instituteurs ne sont pas comme ça. Toutefois, on se doit de critiquer les agissements de leur organe représentatif, qui est leur syndicat et ses affiliés. Quand on voit une pancarte « Pas d'éducation, pas d'information jusqu'à ce que le gouvernement se soumette ! », que doit-on en penser ? Est-ce que des personnes qui emploient si allégrement le chantage tout en le « décorant » avec un langage pour le moins coloré sont adeptes à dispenser une éducation à des enfants ?
Il est clair également que dans ce conflit, les autorités et particulièrement le ministre Néji Jalloul ne sont pas exempts de tout reproche, loin de là, mais est ce que cela justifie de tels agissements ? Quand on voit des instituteurs agresser verbalement et physiquement des journalistes venus faire leur travail, on est en droit de se demander quelle différence il y aurait entre eux et les LPR par exemple. Et comme si cet acte ne suffisait pas, on voit le secrétaire général du syndicat de l'enseignement de base aller dans les médias pour dire qu'il n'y a pas eu d'agression et qu'après tout, des organisations de la société civile devraient discuter entre elles pour régler leurs problèmes et non pas aller devant les tribunaux. Donc, en gros, le gars dit qu'on n'a pas tapé sur les journalistes, démentant ainsi les témoignages de plusieurs d'entre eux, et ensuite il le culot de dire qu'il faudrait discuter après avoir fait usage de violence ! Applique ce conseil à toi-même et va discuter avec ton ministère au lieu de taper sur les journalistes dans la rue. Et ça se dit instituteur…
Venons-en maintenant aux revendications. Sans surprise aucune, elles sont en majorité d'ordre financier. Les instituteurs veulent des augmentations de salaire, revendication à la mode dans plusieurs secteurs. Et puis pourquoi pas, puisque leurs collègues de l'enseignement secondaire ont eu ce qu'ils demandaient à l'issue d'un autre bras de fer avec le même ministère ? Quoi qu'il en soit, que des instituteurs demandent à voir leur situation améliorée ne peut être que légitime. Ce qui l'est beaucoup moins, c'est de conditionner l'avenir des enfants et avec eux, les sacrifices de leurs familles, à l'acceptation sans conditions des revendications par le ministère de tutelle. Un autre point important. Dans leur mouvement syndical, les instituteurs ne semblent pas se soucier des cas de viols d'enfants dans les écoles qui se sont multipliés dernièrement. Leurs revendications ne couvrent pas non plus l'amélioration et la mise à niveau des programmes scolaires. Ils ne sont pas non plus troublés par l'état de délabrement de plusieurs de nos écoles sur l'ensemble du territoire tunisien. Ils ne mettent pas leurs voix à la disposition des enfants obligés de parcourir des kilomètres pour arriver en classe. Avoir des revendications englobant le côté financier est admissible, n'avoir que des revendications financières est petit.
Que penserait M. Ben Amor de tout ça ? Je ne le sais pas. Je ne sais pas s'il soutiendrait ces revendications et s'il manifesterait dans la rue. Ce que je sais, c'est qu'il n'agresserait jamais un journaliste en train de faire son travail. Je sais aussi qu'il ne nous aurait jamais laissé finir l'année sans corriger nos examens et qu'il ne se permettrait jamais de pousser à bout les parents des élèves de sa classe.