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Ennahdha tend à créer un état de fait, dans un premier moment, pour ensuite le consacrer par la loi
L'invitée du dimanche : Ahlem Belhadj, présidente de l'Association Tunisienne des Femmes Démocrates
Publié dans Le Temps le 30 - 12 - 2012

Cette femme battante au sourire charmant incarne bien l'association qu'elle préside, elle en reflète la force et le rayonnement, des vertus devenues une denrée rare et une nécessité urgente ces jours-ci. L'ATFD vient de lancer un projet ambitieux et prometteur : l'observatoire pour l'égalité des chances et la citoyenneté des femmes en Tunisie.
Manifestement, les Femmes Démocrates ne sont pas satisfaites de l'attitude des autorités qui ont tendance à estomper certaines réalités touchant au statut de la femme, d'après leurs affirmations. Elles sont, également, alarmées comme c'est le cas, d'ailleurs, du reste de la société civile, à cause des menaces qui planent, depuis quelque temps, et qui risquent de porter atteinte à nos acquis culturels. C'est à propos des différentes manifestations de ces menaces, de l'action de l'ATFD et du comportement des médias à l'égard de la question de la femme que nous avons discuté avec Dr Ahlem Belhadj.
-Le Temps : Si vous nous parlez de l'observatoire pour l'égalité des chances et la citoyenneté pour les femmes en Tunisie que vous venez de lancer?
-Mme Ahlem Belhadj : c'est un projet en partenariat avec le Fond des Nations Unies pour la Démocratie qui aura deux antennes, pour le moment, l'un à Ben Arous, l'autre à Sfax. Et quand je parle de Ben Arous, j'entends par là le grand Tunis dans sa composition rurale et urbaine, et pour ce qui est de Sfax, il s'agit d'une ouverture vers le sud et le centre. Ce projet a un objectif général consistant à établir une base données, à avoir plus d'informations et d'outils pour combattre la discrimination envers des femmes à la fois au niveau social et politique, mais surtout économique, parce que, en Tunisie, il y a un phénomène de féminisation de la pauvreté qui n'est pas pris en compte. L'objectif de cet observatoire c'est, donc, de mener des recherches, de faire des rapports et d'établir des chiffres afin de rendre cette réalité plus visible, mieux connue, cela permettrait leur prise en compte par les politiques que l'Etat va adopter. Le deuxième objectif de cet observatoire c'est l'accompagnement des femmes qui sont en situation de précarité, de difficulté ou de violence économique. On a placé des guichets d'écoute et d'orientation juridique et de soutien psychologique afin de connaître leurs problèmes de près, et on proposera des formations pour ces femmes en vue de renforcer leurs capacités dans le milieu de travail en leur apprenant comment rédiger un PV, à mieux connaître leurs droits, à mieux se défendre. Et comme les droits des femmes sont les droits de l'homme, c'est-à-dire qu'ils sont indivisibles, on inscrit tout ce travail dans la citoyenneté des femmes, c'est pourquoi on fera, dans le cadre de cet observatoire, un accompagnement des femmes politiques. On a beaucoup milité pour la parité, et au-delà du constat qui n'est pas rayonnant, on considère que c'est un point positif et un acquis important pour les Tunisiennes et les Tunisiens. Nous pensons qu'il faut en assurer la continuité et accompagner les femmes dans le processus électoral afin de leur garantir une meilleure participation dans la vie politique où elles sont très peu présentes. Et pour mener à bien ce projet, on va faire un travail de sensibilisation. Le troisième objectif de cet observatoire c'est le lobbying. A partir de ces constats et de ces accompagnements, nous aurons une meilleure connaissance du terrain, même si nous disposons, maintenant, de plusieurs hypothèses et que nous connaissons pas mal de choses. C'est un travail de continuité, un travail qu'on a déjà fait sur le terrain depuis une dizaine d'années au moins, et c'est à travers des rapports, des recommandations et des demandes qu'on va le formuler. Il y aura un travail envers les politiques afin qu'ils adoptent des mesures qui aideraient les femmes à faire valoir leurs droits socio-économiques. Ce travail se fera en partenariat avec plusieurs associations et composantes de la société civile, en particulier l'UGTT, la LTDH, les ONG de développement, les associations de femmes, l'UDC. On essayera de tisser avec elles un réseau afin de porte un peu plus haut notre voix en matière de droits socio-économiques des femmes.
Les femmes sont sous-payées et plus touchées par le chômage que les hommes
-Comment se manifeste concrètement cette discrimination entre les femmes et les hommes ?
L'une des revendications majeures de la Révolution c'est la justice sociale, c'est-à-dire la dignité, et pour nous, s'il n'y a pas de droits sociaux-économiques pour les citoyennes et les citoyens, il n'y a ni l'une, ni l'autre. On a parlé des inégalités régionales, ce qui est, bien évidemment nécessaire et urgent, mais on n'a omis de le faire concernant cette discrimination contre les femmes. Toutes les études montrent qu'elles sont les plus pauvres, dans la société, les mécanismes provoquant cet état sont nombreux, mais mal inconnus. Leur réalité décevante n'est pas prise en compte. Les femmes travaillent moins, elles ont moins de possibilité d'accéder au travail. Le taux d'analphabètes parmi elles reste assez élevé malgré tous les efforts que nous avons consentis. Les femmes sont plus atteintes du chômage que les hommes, elles sont plus nombreuses parmi les diplômés chômeurs, car même à diplôme égal elles ont moins de chance. De plus, les femmes travaillent dans les secteurs marginalisés comme la sous-traitance, le travail à domicile qui n'est pas comptabilisé dans le secteur économique, des conditions qui les privent de la protection sociale et permettent leur surexploitation. Dans plusieurs secteurs, les femmes sont moins payées que les hommes pour le même travail accompli, à preuve, ce qui se passe dans le domaine agricole où elles perçoivent la moitié du salaire versé aux premiers, pourtant, le code du travail interdit toute discrimination entre les sexes. L'ensemble de ces faits font que les femmes sont touchées par les inégalités socio-économiques autant que les régions avec cette différence majeure c'est qu'en dépit du fait que ces dernières souffrent encore de cette situation, il y a un constat relatant leurs difficultés, alors que pour les femmes, ce constat n'existe pas.
-Si on vous demandait d'établir le bilan d'une année, il serait positif ou négatif ?
-Tout d'abord, je ferais remarquer que la question paraît inappropriée, parce que dans un contexte révolutionnaire, on s'attend, normalement, à une amélioration de la situation. Toutefois, je dirais qu'il y a, à la fois, des opportunités et beaucoup de menaces, vu la complexité de la situation, c'es-à-dire qu'on ne peut dire que tout est blanc, ni que tout est noir. Je suis contre le fait de présenter la situation comme étant catastrophique, car malgré ces menaces, aucune loi n'a été révisée jusque là, il n'y a pas eu de régression dans les lois. Par contre, il y a des pratiques qui commencent à s'installer et c'est là la menace. En fait, s'il n'a pas eu de modifications de lois c'est parce que la société civile est suffisamment forte pour ne pas permettre ces régressions. Donc, on est tout à fait conscient de ces menaces et la question dépend des rapports de force, en ce sens que si ces rapports sont favorables au camp qui voudrait toucher aux acquis des femmes tunisiennes, celui-ci ne va pas reculer, c'est bien clair. Dans la réalité, il n'y a pas mal de recul, et là, je citerais l'instauration de la polygamie dans les faits, et bien qu'on n'ait pas assez de données objectives, on sait que c'est un phénomène qui commence à se faire voir, le mariage « orfi » existe bel et bien et cela touche à un acquis majeur des femmes tunisiennes qui est l'interdiction de la polygamie depuis 1956. On est très fières de cet acquis là et on n'est pas prêtes à le perdre. On tient l'Etat pour responsable de tout cela s'il ne prend pas toutes les mesures nécessaires pour faire respecter la loi, car il y a la législation interdit ces actes et punit ces contraventions. Actuellement, on est face à quelque chose qui essaye de s'installer contre la loi, c'est une politique qu'on voudrait instaurer, donc, le précédé dont ils usent c'est changer la réalité pour pouvoir, par la suite, changer les lois, une opération qui serait le simple corollaire de la première. Il n'y a pas que la polygamie, mais aussi la violence physique, morale et sexuelle à l'égard des femmes, il ya une ambiance générale qui la banalise sinon autorise. On sanctionne une certaine manière d'être des femmes, c'est-à-dire que celles qui ne s'habillent pas de telle ou de telle manière dans certains quartiers et qui ne portent pas le voile sont en difficulté quand elles sortent dans la rue et même dans certaines familles, il existe pas mal de jeunes qui agressent leurs sœurs ou des pères qui agressent leurs femmes et leurs enfants pour les obliger à mettre le voile. C'est un mouvement qui se situe aux antipodes de la mesure stupide interdisant le port de ce dernier imposée par Ben Ali, Sincèrement, j'en ai assez de cette instrumentalisation de la femme faisant de son corps un champ de bataille pour les différents courants politiques. Le corps de la femme devient un enjeu politique et cela est inacceptable, la liberté de porter ou de ne pas porter le voile doit être respectée par tout le monde, cela relève du domaine, strictement, privé.
Les agressions de tout ordre contre les femmes se multiplient depuis la Révolution
-Doit-on comprendre que cette impunité, dont vous parlez, traduit une certaine complicité de la part du gouvernement ?
-Effectivement, ne pas prendre de mesures contre ces dépassements et ne pas protéger ceux qui sont lésés sont une manière de soutenir les auteurs de ces infractions même si ce soutien est passif, quand on n'assure pas la protection de la femme, on est, forcément, complice. Parfois, ce dernier est actif, en témoignent les arrestations, par les autorités, pendant l'été dernier, des femmes retardataires ou dont l'habit était jugé pas très correct. Cette complicité du gouvernement s'affirme encore davantage lorsqu'on se rappelle les propos de Rached Ghannouchi qui, dans sa réponse à la question s'ils allaient imposer le port du voile, a répondu qu'ils allaient, plutôt, créer une situation de heurts sociaux qui seraient de nature à créer une réalité qui en ferait la règle. Donc, c'est leur politique, et on le sent, ils essayent d'agir sur les femmes et sur les mentalités moyennant la pression. A la limite, ils sont libres d'avoir les idées qu'ils veulent, mais, personnellement, je n'accepte pas la violence à l'égard des femmes et que l'Etat n'assume pas son rôle de protection et n'impose pas le respect de la loi. D'un autre côté, il y a notre revendication légitime concernant la convention relative à l'élimination de toutes les formes de discrimination contre les femmes(CEDAW) ratifiée en 1985 par la Tunisie qui y a, toutefois, émis des réserves dont on a demandé la levée, chose qui a été faite juste après la révolution et on attendait de ce gouvernement élu la mise en application de cette levée des réserves, puisqu'il y a la continuité de l'Etat, mais, jusqu'à maintenant, il n'y a eu aucune mesure pour l'application de ladite convention, on n'y a donné suite ni à l'échelle internationale auprès des Nations Unies, ni au niveau national. Et quand je parle de cette convention, j'entends toutes les formes de discrimination surtout celles commises dans l'espace privé : dans la famille, il y a un chef qui ne partage pas les responsabilités, l'homme est le tuteur de l'enfant, donc, il n'y a pas de parenté parentale, la distribution des richesses qui est inégalitaire et discriminatoire qui est l'un facteur de l'appauvrissement des femmes, et quand on applique les règles successorales, on prive, généralement, les femmes des biens en se contentant de leur donner des richesses en nature, elles héritent la moitié et parfois elles n'héritent pas du tout. Toutes ces pratiques perpétuent leur pauvreté.
-Vous avez parlé de moyens utilisés par les fondamentalistes visant le changement de la réalité sociale. Peut-on considérer que l'école coranique en est un ?
-Il y a école coranique et école coranique. Ce type d'école existait, il était légiféré et réglementé par la loi et placé sous la tutelle du ministère des affaires religieuses, cela ne posait pas de problèmes, car les gens qui y assuraient les études étaient formés dans la charia, puis la tranche d'âge des apprenants était fixée par cette autorité compétente qui contrôlait, donc, toute l'opération d'éducation. Par contre, ce qui se passe, maintenant, et là, et que je trouve, complètement, inadmissible c'est l'existence de ces nouvelles associations qui ne sont soumises à aucun contrôle pédagogique ou de contenu et dont les éducatrices reçoivent des titres de je ne sais qui des leaders religieux qui ne sont même pas reconnus par les autorités concernées et qui ouvrent des jardins d'enfants et des écoles coraniques où les petites filles sont voilées, où les enseignantes sont en « nikab » et où le contenu pédagogique ne répond pas aux besoins de l'enfant, et je peux dire, en tant que pédopsychiatre, que cela ne respecte pas du tout ses besoins en matière d'évolution, que cela sexualise son corps, ce qui est très mauvais pour son développement affectif ultérieur. Le pire et le plus grave c'est que les autorités ferment les yeux là-dessus, et cela est inadmissible, la société civile et les professionnels lancent un cri d'alarme pour dénoncer cet état de fait. Je sais qu'il y a eu une réunion ministérielle autour de la question en vue de la réglementer, seulement, j'estime qu'on a laissé faire trop longtemps et qu'on a réagi trop tardivement d'autant plus que ces associations ont beaucoup de moyens et d'argent et qu'ils essayent d'embrigader les enfants et d'en faire des « douats » (prédicateurs), c'est ce que j'ai, personnellement, vu sur un site. Nous, nous avons besoin de former des citoyens et des citoyennes et d'éduquer nos enfants
Certaines écoles coraniques embrigadent nos enfants en vue de faire d'eux de futurs « douats »
-Comment l'ATFD réagirait-elle si jamais on touchait au CSP dans la constitution ?
-Je ne parlerais pas de mon association, à ce moment-là, je parlerais de la Tunisie, parce que les acquis des femmes sont ceux de toute la société. Et on a vu comment les Tunisiennes et les Tunisiens ont réagi quand on a voulu introduire la complémentarité dans la nouvelle constitution, car on a senti qu'on voulait toucher au CSP. Donc, c'est une question sociétale, c'est toute la société qui en est concernée, et nous, en tant qu'association féministe, on est là, bien sûr, pour informer, alerter, sensibiliser, rassembler et surtout pour lutter contre toute forme de régression, mais aussi, pour faire avancer les lois. Notre rôle c'est d'être l'une des locomotives à côté des autres associations de femmes et celles de la société civile, les droits des femmes sont des droits humains, ils régissent la famille et la société tunisienne dans son ensemble, voilà pourquoi on est tous interpellés par cette question.
-On assiste, actuellement, à une prolifération d'associations féminines dont certaines sont de tendance islamiste. Ne craignez-vous pas qu'elles récupèrent les masses des femmes surtout en zone rurale ?
-Je trouve que cette énergie sociétale qui s'exprime à travers de nouvelles associations est quelque chose d'extrêmement positif, c'est-à-dire que les citoyens se sentent citoyens et veulent, donc, agi et quand on n'est pas dans un parti politique, il faut être dans une association, l'essentiel c'est d'être actif. Concernant celles qui poussent en grand nombre, je peux dire que, jusque là, je n'ai pas vu d'organisations islamistes féministes, et j'aimerais bien en voir, parce qu'on n'a pas mal d'amis de féministes islamistes dans plein de pays, notamment, la Malaisie, l'Indonésie, et même le Maroc et l'Egypte. Elles prônent l'égalité complète, car, pour elles, l'Islam est pour des valeurs telles que la liberté et l'égalité, et toute interprétation qui s'y heurte n'a rien à voir avec cette religion, selon elles. Ces islamistes féministes recourent à plusieurs travaux académiques pour interpréter l'Islam d'une manière positive, en d'autres termes, elles n'acceptent aucune discrimination à l'égard des femmes. Ce qu'on voit, en Tunisie, c'est des associations féminines et non féministes, parce que quand on parle en tant qu'associations de femmes de la complémentarité ou quand on refuse l'égalité, pour moi, ce n'est pas du féminisme. Etre féministe c'est défendre les droits des femmes qui ont des références internationales, notamment, cette convention d'élimination de toutes les formes de discrimination (CEDAW). Il est très important de parler le même langage et avoir les mêmes acceptions des mots, car Ridha Belhadj, en parlant de l'égalité, a soutenu que cette valeur se trouvait dans la charia, ce qui pourrait être vrai si on adoptait une interprétation positive de l'Islam comme le font les féministes islamistes que j'ai citées qui, pour l'instauration de l'égalité avec l'homme, vont jusqu'à réclamer une imam femme en soutenant que rien en Islam ne l'interdit. Amina Wadoud, en Afrique du Sud, a bel et bien prononcé les prêches de vendredi. Donc, ce que nous avons, en Tunisie', c'est des associations féminines et non pas féministes.
Envahir le domaine de la société civile par les OVG est contre-productif pour le pouvoir
On revendique la mise en application de la levée des réserves sur la CEDAW
-Mais ne craignez-vous pas qu'on en crée pour vous doubler?
-Il existe deux niveaux, d'abord, la création d'associations fantoches, il y en a plein et on en a connu sous Ben Ali, parmi les 9000, il y en avait 10 autonomes dont l'ATFD, et parfois, on était moins d'une dizaine, toutes les autres étaient ce que nous appelons, les OVG (organisations vraiment gouvernementales). Aujourd'hui, c'est vrai qu'on assiste à l'émergence de plein d'organisations pour soutenir le gouvernement à cause de l'argent qui coule à flots, et là, je suis, bien évidemment, tout à fait contre cette manière de s'introduire dans la société civile pour essayer de la récupérer et l'empêcher d'exercer sa vocation de contre-pouvoir. Envahir ce domaine c'est contre-productif pour la société civile, mais aussi pour le pouvoir, Ben Ali l'a essayé avant et il a échoué, et ses milliers d'associations n'ont pas mystifié les gens qui, lorsqu'ils avaient des problèmes, savaient vers qui se tourner, ils avaient cinq ou six adresses de crédibles. Le deuxième niveau se rapporte à l'attitude de ces associations. Eh bien, si elles sont vraiment féministes et qu'elles soient nos alliées lorsqu'on revendique l'égalité totale, je ne dirais pas non, parce qu'elles sont de tendance islamiste. Ce que je voudrais, c'est que les femmes islamistes prennent conscience de l'enjeu, elles ont été élevées dans un Etat qui garantissait les droits des femmes, c'est-à-dire qu'elles n'ont pas connu la polygamie, et si elles le permettaient, elles perdraient en tant que femmes déjà. On a, toujours, essayé de dresser des passerelles avec ces femmes-là pour leur dire où êtes-vous pour défendre vos droits, on voudrait qu'elles nous viennent nous épauler dans l'élaboration d'un travail sociétal. Mais jusqu'à maintenant, malheureusement, tout cela ne fonctionne pas, cela va dans le sens que vous dites, ces nouvelles associations sont là pour être le bras droit du gouvernement et non pas pour être de vraies porte-parole des revendications de la société civile.
-L'action des Femmes Démocrates est, presque, invisible, et on vous accuse d'être une association d'intellectuelles. Qu'est-ce que vous en pensez?
-On n'est pas une association de masse, cela va se soi, parce que nous sommes porteuses d'une idéologie, on est là pour les droits des femmes, pour l'égalité complète et contre toutes les formes de discrimination. Néanmoins, on a un avis par rapport au politique, à la démocratie, aux libertés, à la justice sociale. Donc, dès le départ, notre association a articulé ces principes avec les droits des femmes, ils constituent un tout indissociable. Du temps de Ben Ali, on était, particulièrement, victime d'une répression qui nous a empêchés d'aller un peu plus vers les femmes, mais on était là en tant que groupe de pression, on a agi au niveau de pas mal de lois et on s'est manifestées conte l'instrumentalisation de Ben Ali des droits des femmes comme on était là pour défendre les causes justes. Après la Révolution, on a commencé à installer nos sections dans les régions afin d'être un peu plus visibles, toutefois, on ne préconise pas un travail de masse, car on pense que ce n'est pas la nature de notre tâche qui consiste, plutôt, dans la vigilance et l'action défendant les droits des femmes et leur articulation avec les autres valeurs et les choix stratégiques dans notre pays. Il est évident qu'on n'est pas visibles à tous les Tunisiens se trouvant dans les quatre coins de la Tunisie, et on essaye de nous positionner au niveau des choix de notre société et faire un travail de terrain sans trop faire parler de nous.
Les conditions objectives et la mentalité sont responsables de l'absence de la femme de la vie politique
-A l'aube de la Révolution, la femme s'est, massivement, manifestée dans les milieux politique et syndical, et puis, elle s'est éclipsée. Comment expliquez-vous cette attitude ?
-Le constat est, vraiment, très important. L'absence des femmes sur le plan public est la manifestation par excellence de l'inégalité. L'esprit patriarcal est bien enraciné surtout au niveau des postes de décision, pour s'en persuader, il suffit de voir la composition du gouvernement actuel où il y a 3 femmes sur en ensemble de plus de 80 ministres et autres responsables sans compter le fait qu'il n'y ait aucune femme gouverneur. Il est de même dans les partis politiques où il n'y a pas de femmes porte-parole, et dans les syndicats, où on est à plus de 4O% de femmes syndiquées et pourtant peu d'entre elles se trouvent dans les hautes instances. Donc, cette réalité décevante est inhérente à plusieurs facteurs dont la mentalité rétrograde que je viens d'évoquer, mais cela s'explique, également, par une manière de faire la politique et le syndicalisme qui n'encourage pas les femmes à y être. En témoigne la parité très mal respectée lors des dernières élections où 8% seulement des femmes étaient têtes de listes. Cette politique très machiste ne les encourage à s'y engager, à s'y adonner à des heures tardives et dans des endroits qui ne sont pas, toujours, adaptés aux femmes, et l'insécurité qui sévit, actuellement, n'est pas de nature à faciliter cela. Et il faut ajouter à tous ces écueils leur charge domestique, c'est-à-dire qu'elles ont, en fait, une double journée et si elle faisait une activité politique ou syndicale, elle aurait une troisième journée. L'Etat ne met pas suffisamment de moyens pour les aider à se libérer et se décharger de ce rôle social qui est, complètement, invisible, en prenant les enfants en charge par le biais des jardins d'enfants et les crèches sur les lieux de travail. Mais, malheureusement, c'est le désengagement de l'Etat qu'on voit, puisque ces établissements qui appartenaient aux municipalités et au ministère de la femme sont soit fermés ou privatisés. Malgré toutes ces entraves, il faut reconnaître que les femmes assument une part de responsabilité dans leur absence dans les arènes politique et syndicale, étant donné qu'elles intériorisent que les hommes soient au premier plan, et puis, il y a un rapport au pouvoir qui n'est pas le même chez les deux parties. D'ailleurs, les femmes se retrouvent mieux dans la société civile où la gestion est un peu plus collective et où les enjeux du pouvoir sont beaucoup moins importants que dans le domaine politique où les rivalités sont plus prononcées et la course est plus rude. Le nombre de femmes dirigeant des associations est très important. Donc, leur absence dans les girons de la politique et du syndicat est, également, une question de mentalité féminine.
-Est-ce que vous affichez, toujours, le mécontentement que vous avez affiché, pendant l'été 2011 (voir notre article du 13 août 2011), vis-à-vis des médias ?
-Le thème de cette table ronde que vous évoquez ne touchait pas uniquement l'ATFD, mais il s'agissait de la couverture de la femme dans le champ politique que ce soit en tant qu'actrice ou bien comme thème. On a mené un observatoire avec d'autres associations et on a établi un rapport sur le monitoring des médias pendant la période électorale où on a quantifié le nombre de femmes invitées sur le plateau et recensé les moments où l'on traitait les questions qui parlaient d'elles. On a trouvé que cela ne dépassait pas les 3% du temps global. Pour ce qui est de la couverture médiatique actuelle de l'TFD, je ne me plains pas, franchement, je remercie tous les journalistes qui n'épargnent pas leurs efforts pour couvrir notre action, ceux qui répondent, toujours, présents à nos invitations aux conférences de presse qu'on organise, il y a une réactivité de leur part. Cependant, ce n'est pas le cas de certaines chaînes de télévision, notamment, « Al Wataniya », l'institution publique qui nous couvre et nous invite très peu, ce qui est inadmissible. Je demande à nos amis journalistes, que je salue encore une fois, de faire plus en notre direction, car ce n'est pas une association qu'on veut couvrir, mais c'est la place de la femme au sein de la société.
En dépit d'une certaine amélioration, la médiatisation de la femme reste encore insuffisante
-Donc, on peut dire que vous êtes satisfaites du comportement des médias à votre égard ?
-Quand on crée l'événement, oui ! On n'a pas à se plaindre là-dessus. Donc, une meilleure médiatisation dépend, aussi, de notre attitude, il revient à nous de fournir l'effort pour que notre action soit plus visible, on est en train de travailler notre stratégie de communication dans la durée. Cette action s'impose d'autant plus que nous sommes la cible d'offensives de certains courants islamistes, à un certain moment, on était traitées de tous les noms, on veut même nier notre histoire militante contre la dictature et on essaye de nous faire coller l'étiquette collaborationnistes du pouvoir de Ben Ali comme on a orchestré des compagnes pour porter atteinte à la moralité de certaines militantes de l'ATFD. Donc, je lance un appel à tous les journalistes pour qu'ils nous soutiennent dans notre démarche pour faire valoir les droits des femmes, et je remercie tous ceux qui sont en train de le faire, maintenant. Cependant, je les invite à prêter plus d'intérêt à ces dernières, la couverture médiatique de la femme ne doit pas se limiter aux activités de l'ATFD.


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