Un groupe d'universitaires a organisé hier, 12 août 2015, le congrès des intellectuels tunisiens contre le terrorisme. L'événement a eu lieu au palais des congrès à Tunis en présence d'une pléiade d'écrivains, de penseurs et d'artistes, venus de Tunisie et de l'étranger. Ce congrès intervient, quelques semaines après l'attaque meurtrière de Sousse qui a ébranlé la Tunisie et touché de plein fouet son industrie touristique. C'est donc bouleversés par ce drame et conscients de l'urgence d'agir que des intellectuels tunisiens avec à leur tête Habib Kazdaghli, doyen de la faculté des lettres de la Manouba, ont lancé cette initiative deux mois environ avant le congrès national contre le terrorisme qui aura lieu en automne prochain. Un laborieux travail a précédé la tenue de cet événement pour dégager une sorte de manuel de lutte contre le terrorisme. Un document qui comporte des pistes de réflexion sur comment et par quels moyens peut-on combattre ce fléau. Un manifeste, en quatre langues, a été aussi distribué. Celui-ci contient un « nouveau pacte social » élaboré par le collectif d'intellectuels.
Cette fois-ci, les intellectuels ne se sont pas uniquement attelés à réfléchir à des solutions, mais aussi à faire leur autocritique. Ils reconnaissent avoir des carences et se disent conscients de la nécessité de revoir leurs méthodes de communication. « Il est temps de nous remettre en question et faire montre de plus d'humilité. Nous devons aussi rompre avec l'image de l'intellectuel qui se contente de regarder ou de donner des jugements. Il faut sortir de cet immobilisme », a martelé Raja Ben Slama. L'universitaire a aussi soulevé une autre problématique, celle de la vie estudiantine. « L'après-midi, nos universités sont désertes. Elles ressemblent à des villes fantômes. Il est de notre responsabilité de les revivifier et d'accrocher les jeunes à l'université », a-t-elle poursuivi.
Le choix du 12 août pour tenir ce congrès n'était pas un choix arbitraire. C'était voulu, indique M. Kazdaghli, rappelant que ce jour est la veille de la fête de la femme. « Rappelons-nous du 13 août 2013. A cette date-là, les femmes et les hommes marchaient côte à côte dans la célèbre manifestation du Bardo […] Les intellectuels et les femmes ont un grand rôle à jouer », a-t-il dit.
Montant sur scène, Sghaïer Ouled Ahmed a déclaré après une longue ovation : « Ce congrès me remonte le moral […] Garder le moral c'est toute la guérison ». Entrant dans le vif du sujet, le poète affirme que le terrorisme commence dans la langue. « Depuis l'aube des temps, le terrorisme existe dans les textes qu'ils soient littéraires, religieux ou de loi ». Puis d'enchainer : « Au parlement, on célèbre la loi incriminant l'accusation d'apostasie. C'est une victoire tronquée. Car cette incrimination affirme l'obligation de la foi […] Il reste beaucoup à faire au niveau de la Constitution ».
Le rapport indique que l'appartenance à des groupes jihadistes transforme les jeunes d'« une personne inutile » en « héros », comme elle leur permet aussi de combler leurs besoins spirituels et de foi et même de satisfaire leurs désirs sexuels. Cela se réalise, explique-t-on, à travers les « fantasmes du paradis promis » et le « jihad sexuel » qu'ils s'autorisent. « Nous devons nous poser la question sur les alternatives à présenter pour répondre à ces besoins et pour que les jeunes ne se sentent pas inutiles ni isolés », peut-on lire.
Le rapport souligne la nécessité de contrôler les lieux de culte : « L'Etat devra continuer à tenir à l'œil les mosquées pour qu'elles ne se transforment pas en espace de recrutement ou d'entrainement pour les terroristes ou en lieu de stockage de munitions ». Le rapport appelle également à appliquer la loi contre les écoles coraniques et les associations religieuses afin de réduire la propagation de l'islam wahabite. « Mais toutes ces mesures ne suffiront pas et même s'imprégner de l'islam sunnite malékite modéré ne résoudra pas le problème tant que les hommes de foi ne prennent pas en considération les réflexions de Taher Haddad, de Mohamed Talbi et d'autres sur comment marier la foi, l'égalité et la liberté ».
Le document attire aussi l'attention sur une réalité importante, à savoir le taux de couverture internet. 35% des Tunisiens utilisent cet outil. Le nombre d'abonnés ADSL est estimé à 400 mille et la 3G couvre 50% des zones rurales. Ce terrain reste, toutefois, mal exploité par les intellectuels. Pourtant c'est un moyen efficace pour interagir avec les jeunes et diffuser les valeurs de citoyenneté, de tolérance et d'égalité. « Les intégristes se servent beaucoup de cette technologie pour embrigader les jeunes. Nous devons rivaliser sur ce terrain-là », a remarqué Raja Ben Slama.
Lutter contre le terrorisme requiert aussi un combat des inégalités, une démocratisation de la culture ainsi qu'une « refonte du rapport de l'Etat au religieux ». Il faut, à ce propos, « établir une nette séparation entre le politique et le religieux » et « revoir les statuts des instances en charge des affaires religieuses afin d'en assurer la neutralité et les protéger contre toute manipulation idéologique ».