Que la religion soit souvent instrumentalisée et brandie pour justifier les jeux de pouvoir et la guerre des ressources, est un secret de polichinelle. Qu'elle inspire un manuel du violeur « Saint » est une toute autre question. L'exploit, aussi aberrant que ses instigateurs, a été réalisé par Daech. L'organisation de l'Etat islamique a remis au (mauvais) goût du jour l'esclavage et le viol des femmes par des hordes de guerriers lobotomisés et assoiffés de sang. Que la pratique soit courante et existe depuis toujours, en est déjà trop, mais Daech a fait plus fort en codifiant et en organisant ces viols très méthodiquement, les justifiant par l'islam et les inscrivant dans une optique de devoir religieux. Selon une enquête menée par le New York Times et publiée le 13 août 2015, l'Etat Islamique (EI) institutionnaliserait le viol des filles, souvent adolescentes et pré-pubères, dans les régions conquises d'Irak et de Syrie, et s'en servirait comme outil de recrutement. Vingt et une rescapées ont ainsi relaté les horreurs subies lors de leur captivité. Leurs témoignages poignants et l'examen des communiqués officiels du groupe ont permis de mettre en lumière à quel point cette pratique est inscrite dans les principes fondamentaux de l'organisation. « Il a pris le temps de m'expliquer, que ce qu'il s'apprêtait à faire n'était pas un pêché, que puisque j'étais une non croyante le coran l'autorisait à me violer, l'encourageait même à le faire » a confié une rescapée de douze ans. « Il m'a attachée et bâillonnée, il a prié à côté du lit, quand ce fut fini il a encore prié », a rapporté cette enfant dont la captivité a duré onze mois. En violant une enfant, ce combattant de Daech lui a expliqué qu'il se rapprochait de Dieu, élevant son acte au rang de devoir sacré. L'Etat Islamique a établi une « théologie du viol », créant toute une infrastructure dédiée à l'esclavage sexuel et à la traite des filles Yazidi enlevées en Irak et en Syrie. Les otages sont stockés comme des marchandises, dans des entrepôts. Elles sont inspectées dans des salles d'observation, marquées et transportées dans une flotte de bus spéciaux. 3144 Yazidis parmi les 5270 enlevées, sont encore retenues captives par Daech, et une bureaucratie détaillée de l'esclavage sexuel a vu le jour avec notamment des contrats de vente notariés par les cours de justice dirigées par l'Etat Islamique. L'esclavage sexuel des otages Yazidis est devenu un outil de recrutement et un argument de taille pour attirer les hommes de sociétés musulmanes très conservatrices, dans lesquelles le sexe hors mariage est un tabou et les couples non mariés interdits de se fréquenter. Le Département de la Recherche et de la Fatwa de l'Etat Islamique a publié, le mois dernier, une longue notice de mesures internes et de discussions théologiques pour établir les grandes lignes de l'esclavage. Les dirigeants de l'EI utilisent le Coran et d'autres règlementations religieuses afin de, non seulement justifier la violence, mais également de faire du viol un acte spirituel comparable à un acte religieux en soit. Ce qui encore plus frappant, c'est que selon l'article du New York Times, lorsque, le 3 août 2014, les combattants de l'EI ont envahi les villages du flanc sud du Mont Sinjar, abritant la communauté Yazidi, une infime minorité religieuse qui représente moins de 1,5 pourcent de la population irakienne, ils n'étaient pas là pour étendre leur territoire mais bien pour une conquête sexuelle de la région. Les hommes ont, d'ailleurs, été directement séparés des femmes et tués. Les filles enlevées étaient entassées et transportées dans des bus. « Ils étaient blancs, avec une bande peinte à côté du mot "Hajj" » a précisé une rescapée de 15 ans. Les femmes étaient placées par centaines, dans des entrepôts, pendant des jours et des mois pour certaines, puis acheminées vers la Syrie et d'autres régions en Irak pour être vendues comme esclaves sexuelles. Cet asservissement et acharnement sur les filles Yazidis, est inhabituel. Aucune autre minorité n'a été sujette à un tel traitement prémédité et organisé. Le fait de se concentrer sur cette minorité religieuse est sans doute lié au fait qu'elle soit considérée comme polythéiste, avec une tradition orale plutôt que des écritures, souligne M. Barber de l'Université de Chicago dans une déclaration au Times. Cela fait des Yazidi aux yeux de l'Etat Islamique, des non croyants méprisés, encore plus que les chrétiens et les juifs, qui sont censés avoir une protection limitée sous le Coran en tant que " Peuple du Livre". Dans le magazine en ligne de l'EI les choses ont été dites clairement. Un article en anglais titré « Le renouveau de l'esclavage avant l'heure », paru dans le numéro d'octobre de Dabiq, précisait qu' « avant la prise de Sinjar, on demanda aux étudiants de la Sharia de l'Etat Islamique de faire des recherches sur les Yazidis ». Il était clair, selon l'article, que les Yazidis ne peuvent pas payer la Jezya (taxe) pour être libérés comme les juifs et les chrétiens. Les femmes et les enfants sont alors distribués aux combattants et offerts comme butin aux hautes autorités de l'EI. Au sein même de L'EI, ces pratiques injustifiables, sont controversées. Le sujet a été traité dans une publication plus récente, en mai. L'auteur de l'article y a exprimé sa tristesse devant le fait que certains des sympathisants du groupe avaient remis en question le fait que l'esclavage soit institutionnalisé. « Ce qui m'inquiète c'est que certains des supporters de l'Etat Islamique se mirent à nier le fait, comme si les soldats du califat avaient commis une faute ou quelque chose de diabolique. J'écris ceci avec de la fierté dans chaque lettre », a-t-il proclamé. Cette arrogance et ce besoin de justifier l'injustifiable, constitue la particularité de Daech. De tous temps, pendant les guerres, les viols et les crimes odieux ont été perpétrés, mais jamais ils n'ont été légitimés et étalés au grand jour ou, pire encore, sacralisés. D'ailleurs, le fait de sacraliser le viol est indispensable pour éviter toute dissonance et attirer les nouvelles recrues. L'enjeu est donc de taille, et l'Etat Islamique prouve, encore une fois, son affiliation aux idéologies obscurantistes et rétrogrades qui défient l'entendement et la morale et qui vont à l'encontre des droits humains fondamentaux.
Myriam Ben Zineb Crédit photo : Seivan M.Salim (Protestation des femmes yézidies à Sinjar contre l'Etat islamique - 8 mars 2015)