L'urgence d'un changement L'heure est grave. L'avenir de milliers de jeunes tunisiens, l'avenir de notre pays est en danger. Nos ennemis ont quasiment réussi à enterrer notre tourisme. Plus qu'un secteur et une économie, une ouverture sur le monde et la vie, une façon d'être Tunisien, ont été ciblés, lâchement attaqués pour nous appauvrir, nous isoler et, in fine, nous aliéner. Notre pays ne sera jamais plus ce qu'il voulait être. Nous reste notre jeunesse. Qu'allons-nous en faire ?
Une jeunesse beaucoup trop souvent à la dérive et livrée à elle-même. Une énergie, des existences, des vies gâchées, gaspillées, qui se perdent alors qu'elles ne demandaient qu'à se rendre utiles. Nous avons laissé s'installer un enseignement et une université à deux vitesses : Quelques privilégiés dans de belles écoles, éduqués au culte de l'opportunité et qui, de plus en plus, partent pour courageusement ne plus revenir, et une grande majorité qui attend son heure, pensant prendre l' « ascenseur social » de l'université avant de finir écrasée par celui-ci.
Peuple du « milieu », de « la politique des étapes » et du « gradualisme », nous avons également cédé aux sirènes du réformisme. Un beau mensonge à soi, une idéologie techniciste dans laquelle plus il y avait des réformes moins il y avait de changements. Du sur-place, ou de l'agitation, sans pour autant que l'on s'attarde sur les véritables causes de cette incapacité à construire de l'ordre, de la cohérence et de la cohésion et à passer du mouvement au véritable changement (J.Choucair-Vizoso).
Ressentiment, crises du sens et de la gouvernabilité La « haine rentrée », la « morale du ressentiment » et la « sanctification de la vengeance » en la baptisant justice (F. Nietzsche), ont justifié l'inondation du secteur public tunisien qui ne peut plus recruter les jeunes chômeurs. En face, l'investissement privé est en panne et la situation des entreprises qui résistent encore ne leur permet pas de recruter. Que faire ?
Plusieurs mesures et actions ont été proposées et parfois même mises en œuvre. Elles demeurent insuffisantes et surtout incomprises.
Elles ne font pas sens parce que pensées pour éteindre des départs de feu, elles ont manqué de synchronisation et ne procédaient pas d'une vision cohérente de l'avenir de la Nation.
Elles ne font pas sens non plus, parce qu'elles présupposaient une nouvelle conception des fonctions de l'Etat qui puisse infléchir les rapports à celui-ci.
Elles ne font pas sens, enfin, parce qu'elles exigeaient des arbitrages politiques lourds de conséquences. Du courage, des compétences et un leadership qui, par les temps qui courent, ne vont pas de soi : Il faudrait libérer nos politiques de la démagogie et non politiciens du populisme qui scie les pieds du fauteuil sur lequel ils se verraient bien installés. Pourvu qu'ils acceptent d'atterrir et en urgence pour nous éviter de nous écraser.
En fait, ce n'est pas uniquement le modèle de croissance ou de développement économique et social qui sont en question, c'est tout l'Etat, sa raison d'être et ses fonctions qui sont à interroger.
Au-delà des carences des différents gouvernements, c'est une véritable crise de gouvernabilité qui paralyse nos institutions. Crise qui appelle une nouvelle façon de penser et de faire l'Etat au-delà de son régime de démocratie en perpétuelle transition et de son administration affaiblie et qui tarde à faire le deuil de sa prétention à tout régenter.
Les états de notre Etat Planificateur, l'Etat-développeur tunisien s'est transformé en Etat-mangeoire, une sorte de rente matérielle et symbolique et un butin dans le cadre d'un parasitage généralisé. Une perversion du contrat social et une anthropophagie croisée se sont lentement installées, où l'Etat vit aux dépens de la société et celle-ci aux dépens de celui-là.
« Trop petit pour les grandes choses et trop grand pour les petites » (D. Bell), l'Etat-providence tunisien s'est lentement dégradé en Etat bouche trou, appendice du marché, pompier social et accessoirement pyromane qui cherche à réinventer le feu. Au nom de l'égalité on s'y résout au partage de la misère, pour le goût de l'efficacité on s'y console de lutte contre la précarité et de solidarité, histoire de continuer à s'acheter des âmes en quête de fidélités. Histoire également d'essayer de mieux redistribuer ce qui aurait pu être autrement partagé.
Cet Etat providence Tunisien n'a pas pu s'assurer contre ses propres ratés et s'est réduit à quémander l'aide extérieure pour continuer à faire ce qui, à un certain moment, ressemblait de plus en plus à de la charité intérieure.
Prétendant réguler le fonctionnement des marchés, notre Etat-régulateur a perdu de vue sa propre régulation et s'est transformé en République des contrôleurs qui n'arrêtent pas de se donner des croche-pieds. Erigé en dogme « anti-corruption » et en pilier de l'autorité de l'Etat, le contrôle risque ainsi d'absorber la gouvernance pour devenir une sorte d'inquisition permanente et décourageante pour toute forme de prise d'initiative, de création ou d'innovation.
Au-delà de cette crise de gouvernabilité liée aux différentes conceptions et fonctions de l'Etat tunisien, nous avons besoin d'une vision et de visionnaires pour imaginer ce que serait notre Etat stratège. A la sournoise désinstitutionalisation de l'Etat devra répondre l'intelligence d'une nouvelle approche et construction de celui-ci. Ni l'obstination des techniciens, ni la légèreté des politiciens, un Etat de stratèges, pour une vision du progrès qui nous fasse définitivement ancrer dans la modernité.