Rien ne va plus, semble-t-il, au sein du bloc parlementaire Al Horra, rebaptisé récemment « bloc du projet pour la Tunisie Al Horra », afin qu'un rapprochement soit fait avec le MPT de Mohsen Marzouk. Un MPT, récent sur la scène politique, né de l'implosion de Nidaa Tounes et de son groupe parlementaire, se présentant comme une alternative moderniste et démocrate. Seulement voilà, les dissensions commencent à pointer du nez, avec l'éviction de deux députés, qui ont osé exprimer un avis contraire…
Tout a débuté lorsque le député Walid Jalled annonce, un certain 16 octobre 2016, qu'il s'est retiré des journées parlementaires du bloc Al Horra. La raison : l'obstination d'un groupe d'élus de changer son nom, ainsi que sa caractéristique de réunir des partisans et des indépendants, selon ses dires. Jalled ne s'arrête pas là, puisqu'il affirme que le caractère urgent de la prise de cette décision vise à camoufler certaines défaillances et manquements qui ont accompagné la constitution et l'instauration des institutions du mouvement du projet pour la Tunisie. A peine deux jours plus tard, un communiqué d'Al Horra informe l'opinion publique de l'éviction du même Walid Jalled. On apprend qu'une réunion du groupe parlementaire, présidée par Slah Bargaoui, en accord avec son président Abderraouf Cherif, a statué sur les déclarations de Jalled à propos des journées parlementaires. Déclarations qui ont été jugées en inadéquation avec le règlement intérieur du bloc, justifiant la décision de son exclusion, et ce à la majorité de ses membres.
Dans la journée, Mondher Belhaj Ali et Mustapha Ben Ahmed, dirigeants du MPT, expriment, via un communiqué, leur soutien à leur collègue Walid Jalled, estimant que la décision de son renvoi a été prise loin du respect des normes éthiques et juridiques de base. Tout en assurant qu'une telle décision est précipitée, ils relèvent que Jalled « n'a pas été écouté ni prévenu par écrit, comme cela aurait dû se faire ». Ms Belhaj Ali et Ben Ahmed ont également souligné que cela représente un tournant dangereux dans les cas de divergence d'opinion et que c'est la première fois que cela arrive au sein d'un bloc parlementaire, appelant Al Horra à revenir sur cette décision. Chose qui n'a pas été faite…
Et c'est à Walid Jalled de monter au créneau, précisant qu'il a été viré pour s'être opposé au changement du nom d'Al Horra en Projet pour la Tunisie, qualifiant cette décision d'arbitraire et qu'il s'agit d' « un signe que le bloc sera désormais un instrument aux mains du secrétaire général du parti, Mohsen Marzouk ». Le député évincé, n'a pas manqué de faire un parallèle avec Nidaa Tounes, signifiant qu'en dépit des différends en son sein, « il n'y a pas eu ce genre de décision ». Et de tonner : « « Le masque de Mohsen Marzouk est enfin tombé !».
Dans la soirée du lundi 31 octobre, la nouvelle de l'éviction d'un nouveau député d'Al Horra est annoncée : il s'agit de Mondher Belhaj Ali. Cette fois, point de communiqué officiel du bloc. C'est l'intéressé en personne qui l'annonce, en plus de Mustapha Ben Ahmed, tous deux contestant la mainmise d'un Mohsen Marzouk aux méthodes du moins qu'en puisse dire « arbitraires ». « Le renvoi de Walid Jalled et de Mondher Belhaj Ali confirme l'idée selon laquelle le secrétaire général du parti et son cercle restreint se soient accaparés du projet national moderne», souligne M. Ben Ahmed. Il estime que ces décisions impactent la crédibilité du bloc et dénote d'une volonté de brimer toute diversité et opinion contraire au sein du groupe, ce qui aura de dangereuses conséquences sur l'image et l'unité du parti.
Contacté par Business News, Mondher Belhaj Ali, n'a pas mâché ses mots quant à sa récente éviction : « Il s'agit d'une autre expérience ayant eu des potentialités démocratiques au départ, qui capote et échoue lamentablement! Le recours à des principes, comme l'exclusion d'une opinion contraire est choquant ! Je l'ai dit lors de l'éviction de Walid Jalled, je l'ai dit au temps de Ben Ali, et au temps de la Troïka et j'étais pratiquement le seul à le dire et à m'élever contre l'article 15 du Code électoral, qu'il n'était pas possible d'exclure les autres ! Je continue à militer pour la même position. La Tunisie est plurielle et la pratique de l'exclusion de l'opinion politique contraire est anachronique ».
Mondher Belhaj Ali pointe ainsi des pratiques qualifiées de staliniennes au sein du bloc dont il a été éjecté et en fait porter la responsabilité, à l'instar de son compère, au secrétaire général du MPT, Mohsen Marzouk. « Il semble que cette position que j'ai prise et notamment en ce qui concerne l'affaire Walid Jalled, ait entrainé une autre exclusion, la mienne. Seulement, il y a du nouveau. Cela ne s'est pas passé suivant les procédures comme la première fois. Il y a de l'inédit choquant ».
M. Belhaj Ali nous explique qu'il n'y a eu aucun respect des procédures : « J'ai su que j'ai été exclu après une réunion qui était consacrée à l'examen d'un certain nombre de projets de loi. Sauf que le PV de la réunion n'a pas signalé cette décision ». Il nous apprend que deux heures après la réunion, il a été invité à une autre réunion du bloc, pour discuter du projet de la Loi de finances et qu'entre-temps, cette décision a été prise. « Dans quel cadre mon renvoi a été décidé, quand et pourquoi ? Cela je ne le comprends pas. Il semble que j'ai été exclu dans la clandestinité ! Cela me rappelle les pratiques staliniennes ».
« Maintenant, j'ai bien peur que Mohsen ne vire Marzouk ! Quand on ne cesse d'appeler à l'application de la loi, on ne peut afficher une telle inconsidération de celle-ci. La Tunisie est désormais plurielle. Cette pluralité et cette diversité sont consacrées par les lois de notre pays, et pour prétendre à n'importe quel statut de dirigeant, il est nécessaire d'avoir une maturité politique qui vous permette de gérer la diversité. Celui qui dirige doit trouver un compromis entre les opinions contraires. Il s'avère maintenant qu'à partir du recours à l'exclusion « clandestine », dernière trouvaille de la science politique, que ni Mohsen, ni Marzouk, ne se trouve capable de diriger une entité politique qui soit à même de défendre, la rénovation du projet moderniste de notre pays et encore moins sa réforme ! Je crois en la démocratie et je continuerai à militer. Le bloc Al Horra n'est plus, il est désormais défunt ! », s'est insurgé notre interlocuteur. Quant à une probable éviction du député Mustapha Ben Ahmed, qui s'est opposé à son éviction et celle de Walid Jalled, Mondher Belhaj Ali a déclaré : « On dit qu'on n'arrête pas le progrès, mais on n'arrête pas également la fuite en avant … ».
Ces déclarations annonceraient-elles une crise au sein du MPT et du bloc Al Horra ? Une crise fratricide qui rappelle la déconfiture du parti vainqueur des dernières élections, Nidaa Tounes. Aura-t-on droit à ces attaques et ces contre-attaques par médias interposés, menant à une énième implosion d'un parti politique qui prônait pourtant les valeurs démocratiques. On se rappellera de la plainte déposée par Selma Zenaidi, dirigeante du MPT, contre le parti en la personne de Mohsen Marzouk, afin que soient annulées les travaux de l'assemblée électorale du bureau politique du parti, tenue en septembre dernier. Cela intervenait suite à la constatation de nombreux dépassements survenus lors de cette assemblée. Une plainte, certes rejetée par la suite, mais qui en dit assez sur les prémices d'une crise qui se profile à l'horizon…