C'est suite à l'arrestation de trois personnes soupçonnées d'être des djihadistes liés à l'auteur de l‘attaque de Berlin que les unités sécuritaires tunisiennes ont découvert que celui-ci utilisait la messagerie cryptée Telegram pour communiquer avec ses comparses. Une application gratuite mobile développée par un Russe et dont le siège est à Berlin permettait en effet à Anis Amri de planifier ses actes préparatoires d'attentats via le cyberespace. Rien que ça! D'ailleurs, il n'est pas le seul terroriste à profiter de cette aubaine puisque le monstre Daech dispose carrément d'une chaîne sur le site pour échafauder ses plans ! Comment fonctionne donc cette application et en quoi constitue-t-elle un casse-tête pour la lutte antiterroriste mondiale ?
Telegram, dit-on, est l'application la plus prisée des djihadistes de Daech mais aussi des cybercriminels, des meurtriers et même de certains politiques ! Ceux-ci ont opté pour ce type de messagerie ultrasécurisée craignant sans doute d'être espionnés. En effet, Telegram offre à ses utilisateurs des garanties de confidentialité sans pareil : personne, à part l'expéditeur et le destinataire ne peut lire le contenu chiffré des messages envoyés. En 2013, lorsque l'application a été lancée, son fondateur Pavel Durov affirmait l'avoir créée afin d'échapper à la surveillance du gouvernement russe. Avant cela, il avait créé le premier réseau social dans son pays, le VKontakte, qui, depuis, est passé sous le contrôle de proches de Vladimir Poutine.
En tentant de créer un compte pour comprendre concrètement comme ça marche, on s'aperçoit que l'application est utilisable de plusieurs manières. C'est d'abord un outil de messagerie classique qui permet à un ou plusieurs amis de discuter entre eux. L'application permet aussi de discuter et de partager des photos dans des groupes qui peuvent contenir jusqu'à 5000 personnes. L'autre fonctionnalité très populaire est celle des forums de discussions sur des sujets divers et variés. Telegram propose aussi la rubrique «chats secrets» où les messages s'autodétruisent immédiatement après l'échange.
Aux mains des terroristes, cette application est une véritable mine d'or qui sert de support fondamental pour la diffusion de leur propagande et pour l'embrigadement des individus. Les partisans de l'Etat islamique en profitent à double titre : à la fois discuter discrètement et propager les idées à un maximum de personnes qui sont de véritables fans !
Telegram fait d'ailleurs régulièrement parler de lui et ce depuis les premiers attentats du 13 janvier 2015, en France. Une série de fusillades et d'attaques-suicides revendiquées par Daech avaient alors été perpétrées à Paris et dans sa périphérie par trois commandos distincts qui ont agi de façon quasi simultanée grâce à une logistique synchronisée. Ces terroristes avaient des comptes sur Telegram et c'est ce qui leur a permis de s'organiser en amont. Sous la pression des autorités, la société, qui a le statut juridique de fondation, a été forcée d'agir en bloquant 78 comptes liés à l'Etat islamique. Une première dans l'histoire de l'application très souvent accusée de laxisme dans sa modération.
Les autorités sécuritaires françaises ont par la suite appris que Amaq, l'un des organes de communication de Daech disposait d'une chaîne sur le site. Suite à l'attentat de l'église de Saint-Etienne-du-Rouvray le 26 juillet dernier, les autorités françaises ont révélé que Adel Kermiche, l'un des auteurs de l'assassinat du prêtre qui exerçait au sein de l'église, avait créé sa propre chaîne Telegram et qu'il était suivi par près de 200 personnes. Il utilisait son compte pour diffuser des messages audio et pour poser des questions à ses abonnés. Avant de passer à l'acte, le terroriste avait publié dans un message vocal ce qui fût une prémonition : « Tu prends un couteau, tu vas dans une église, tu fais un carnage, bim. Tu tranches deux ou trois têtes et c'est bon c'est fini"…
L'application qui est similaire à « un cadenas à code mais en beaucoup plus sophistiqué » est par ailleurs un véritable casse-tête pour la lutte antiterroriste. Le défi du déchiffrement des algorithmes contenus dans les messages envoyés sur l'application est considéré comme une question centrale dans cette lutte internationale. L'ancien ministre français de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, en a d'ailleurs fait sa figure de proue. Lors de l'arrestation des 3 personnes liées à Anis Amri, le samedi 24 décembre 2016, son homologue tunisien, Hédi Majdoub, avait quant à lui indiqué que la cellule terroriste démantelée était active entre Fouchana, au sud de Tunis, et Oueslatia. Le neveu d'Anis Amri qui fait partie des 3 suspects avait alors avoué, lors de sa garde à vue, qu'il était en contact permanent avec son oncle à travers l'application Telegram. Pourquoi Telegram ? Pour échapper à la surveillance policière tunisienne, avoua-t-il. C'est aussi via l'application que le fils de la sœur d'Anis Amri a prêté allégeance à l'EI dans une vidéo envoyée à son oncle.
Alors est-il possible de prévenir les attentats en s'attaquant à la politique de confidentialité de Telegram ? Des experts en cyber-investigation le pensent. La problématique majeure réside, cependant, dans le fait que les Etats et les autorités sécuritaires sont impuissants face à cette technologie car ils ne peuvent pas obliger Telegram à leur fournir les informations dont ils ont besoin. Il y a en effet un conflit entre la nécessité mondiale de protéger les individus contre l'espionnage malveillant et le piratage et l'utilisation de l'application au profit du crime. D'ailleurs, lorsque son fondateur a été interviewé sur la question, il a répondu que la liberté de communication et le droit à la vie privée sont plus importants que « notre crainte que des choses mauvaises arrivent, comme le terrorisme par exemple »…Face aux diverses accusations, il a ajouté que les équipes de modération du site sont, de toutes façons, dans « l'impossibilité matérielle de lire tous les messages et de tous les contrôler ».
Comment préserver la sécurité des personnes dans le respect de leur vie privée et comment parvenir à un équilibre entre les aspects bienveillants et malveillants de Telegram qui est utilisé à la fois par des terroristes sanguinaires comme Anis Amri mais aussi par des dissidents tentants d'échapper aux dictatures ? Même si les voies qu'utilise Telegram paraissent impénétrables pour les autorités, elles sont quand même vulnérables puisque des hackers réussissent à pirater les comptes de militants politiques impliqués dans des mouvements réformistes comme en Iran où Facebook et Twitter sont interdits. Il n'en demeure pas moins que le décryptage de cet outil de prédilection des terroristes, s'il est réussi par les autorités compétentes, pourrait considérablement intensifier la lutte contre le fléau et permettre de détecter les intentions meurtrières des terroristes sur le net pour ne plus les subir sur le terrain.