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Lecture géopolitique du chaos libyen
Publié dans Business News le 26 - 05 - 2017

Avec les événements secouant le sud de la Tunisie, les affrontements armés en cours dans le sud libyen risquant de s'étendre à la Tripolitaine prennent une dimension et une résonnance centrales quant à la sécurité nationale du pays.

A la charnière du Maghreb et du Machrek, porte d'entrée vers l'Afrique, riche en ressources énergétiques (pétrolières et gazières), la Libye occupe une position de carrefour stratégique hautement convoité. En violation flagrante de la résolution 1973 du Conseil de Sécurité de l'ONU en date du 17 mars 2011, la France, la Grande-Bretagne puis l'OTAN menèrent une action militaire d'envergure ayant pour objectif final recherché un changement de régime en Libye et l'élimination du Colonel Kadhafi. Le Président tchadien Idriss Déby abonde en ce sens en soulignant le 16 décembre 2014 : « l'objectif de l'OTAN était d'assassiner Kadhafi. Cet objectif a été atteint ». Les objectifs prioritaires de cette vaste manœuvre consistaient principalement à : éliminer le Colonel Kadhafi susceptible d'entraver les objectifs stratégiques s'étendant au Maghreb et au Sahel africain, s'assurer le contrôle des ressources pétrolières et gazières, évincer les puissances rivales, notamment la Russie et la Chine, etc.

Depuis lors, la Libye s'érige en foyer terroriste doublé d'un sanctuaire pour les commandos qui menacent ouvertement la sécurité du Maghreb et du Sahel, notamment la Tunisie voisine. Suite à l'intervention militaire française Serval au Mali, la problématique terroriste n'a été que déplacée, ouvrant la voie à une restructuration de la région pour une longue période d'instabilité.

Le drame libyen n'est pas terminé. Aujourd'hui, à l'image de l'Irak, la Libye, scindée en trois entités elles-mêmes fracturées et divisées, mène une lutte acharnée pour maintenir son unité. Le pays traverse une situation de guerres régionales, tribales, claniques, religieuses et mafieuses nourrissant l'instabilité régionale et l'exposant à un risque de somalisation. Ces clivages, régionaux, tribaux, religieux, politiques, économiques, etc. sont perméables et propices à l'émergence en Libye, comme le souligne Florence Gaub, « d'une situation dite de déséquilibre de l'impuissance : personne n'est assez fort pour s'imposer mais tous sont assez forts pour se nuire ».

La problématique libyenne pourrait être résumée en ces interrogations majeures : comment organiser une cohabitation entre le centre et les périphéries, c'est-à-dire comment articuler la répartition du pouvoir politique et des revenus des richesses pétrolières et gazières à un niveau local tout en conservant un pouvoir central doté d'un minimum de prérogatives régaliennes ? Quel sera l'équilibre des forces émergeant de la lutte entre les puissances pesant traditionnellement sur la scène libyenne et les nouvelles puissances (Russie, Chine, Inde, Corée du Sud, Turquie, etc.) ? Cet équilibre préservera-t-il l'unité de la Libye via un « understanding » de partage des ressources pétrolières et gazières ? Quel système de gouvernance édifier en mesure de surmonter l'inadéquation du modèle occidental du « one man, one vote »[1], la démocratie individuelle étant incompatible avec la réalité tribale libyenne ?
Schématiquement, deux principales forces se font face avec un risque d'affrontement non négligeable risquant de plonger la Libye dans une situation de guerre civile généralisée : le GUN (Gouvernement d'Union Nationale) dirigé par El Sarraj dominé par les puissantes milices de Misrata appuyées par le Qatar, la Turquie et certaines puissances occidentales, dont principalement la Grande-Bretagne, l'Italie, etc. et les forces du Maréchal Haftar dominant la Cyrénaïque, soutenues par l'Egypte, les EAU, le Tchad, la France, la Russie et dans une moindre mesure la Chine, etc.

Le 11 septembre 2016, alors que les forces du GUN sont empêtrées dans une guérilla urbaine afin d'éliminer Daesh de Syrte, les forces du Maréchal Hafter conquièrent en trois jours le croissant pétrolier rebattant les cartes d'une scène libyenne tourmentée. Les islamistes regroupés sous la dénomination de « colonnes de Benghazi » commandés par Mustepha Charkassi et chassés de Cyrénaïque par les forces du Maréchal Haftar tentent en mars 2017, via une attaque surprise, de reprendre le contrôle du croissant pétrolier. L'opération échoue et ces milices se replient vers Tamanhint dans le sud libyen. En représailles, depuis avril 2017, le Maréchal Haftar lance une vaste offensive militaire de prise en tenaille de Tripoli et de Misrata par le sud. Cette opération aspire à prendre le contrôle de Tamanhint, aéroport stratégique, et à affaiblir les forces du Gouvernement d'Union Nationale de Fayez Al-Sarraj et à le couper du sud. Dans le cadre de cette bataille, la 3ème brigade de Misrata, proche du Mufti de Tripoli et du GUN et composée principalement de milices islamistes, est en première ligne.
[2]


Le 2 mai, attendue depuis 16 mois, la rencontre des deux hommes à Abou Dhabi permet, en dépit de la persistance de profondes divergences sur le fond, la signature d'un cessez-le-feu quant aux opérations militaires se déroulant dans le sud. En violation de cette disposition, le 18 mai 2017, la 3ème force de Misrata attaque la base de Brak Al-Shati contrôlée par Haftar en commettant un véritable massacre, le plus important depuis l'année 2012, les pertes oscillant entre 141 et 75 militaires et civils massacrés. Le Maréchal Haftar riposte le 20 mai 2017 par le bombardement de positions adverses dans la région de Jufra au nord de Sebha. En dépit des multiples initiatives visant un règlement politique de la crise libyenne, dont l'initiative tripartite portée par la Tunisie et le Président Béji Caïd Essebsi, le temps semble être à la parole des armes avec un risque d'embrasement généralisé du théâtre libyen, notamment du sud et de la Tripolitaine, voisine de la Tunisie.

A ce stade, partition de la Libye suivant des lignes historiques, guerre civile généralisée à l'image de la Syrie, émergence d'un régime militaire autoritaire à l'égyptienne, réaffirmation d'un compromis tribal brisé par l'intervention militaire de l'OTAN, naissance d'une fédération libyenne sauvegardant son unité, etc. sont autant de scénarios concevables quant à l'avenir de la Libye.

Le 7 mars 2016, l'attaque de Ben Guerdène en Tunisie a démontré, quant à la sécurité nationale tunisienne, l'acuité et la gravité des menaces en provenance d'une Libye non stabilisée. La jonction entre des groupes terroristes présents en Libye et des cellules dormantes en Tunisie pourrait déboucher sur des attaques multiples harcelant et dispersant les forces de sécurité et l'armée nationale. L'exacerbation des tensions et des conflits entre milices visant à s'assurer le contrôle des richesses du pays, des trafics et du pouvoir politique sur fond de sécessionnisme et de montée en puissance des islamistes radicaux et du terrorisme menace durablement l'unité de la Libye et la stabilité de la Tunisie, notamment des régions frontalières aux équilibres ethniques et sécuritaires fragiles.

Par ailleurs, si les forces hostiles aux islamistes en Tripolitaine cèdent, toute la région frontalière s'érigera en sanctuaire pour les jihadistes tunisiens d'Ançar Al Charia et les jihadistes tunisiens de retour d'Irak et de Syrie. Leur force de frappe et leur capacité de nuisance en seront décuplées. La Tunisie devra s'assurer le contrôle de verrous stratégiques tout le long de la frontière.

Dans ce cadre, les menaces projetées par le théâtre libyen sont multiples : soutiens divers de groupes terroristes libyens ou réfugiés en territoire libyen à des mouvements radicaux tunisiens, base de repli, d'entraînement et d'organisation pour des groupes terroristes tunisiens, infiltration d'éléments terroristes, d'armes et de trafics divers, enlèvement et assassinat de ressortissants tunisiens, basculement de la Libye dans une guerre civile généralisée engendrant un vaste mouvement de réfugiés vers le territoire tunisien, partition de l'entité libyenne suivant des lignes de fracture historiques, connexions avec les différents foyers de crise embrasant le flanc sud sahélien, exportation des combats entre différentes factions libyennes en Tunisie à la faveur des Libyens résidant en Tunisie constituent autant de danger auxquels sont confrontés les autorités tunisiennes. Parallèlement, la détérioration de la situation en Tripolitaine se traduisant par une fermeture durable des frontières affecterait directement les régions frontalières tunisiennes aux équilibres précaires vivant principalement des trafics illicites et de la contrebande. Cet état de fait pourrait engendrer une flambée de violence et des révoltes sociales difficilement maîtrisables.

Enfin, du fait des ingérences étrangères, la Libye est projetée au cœur d'un grand jeu à l'échelle régionale et mondiale dépassant les considérations intérieures : évincement de puissances rivales, luttes d'influence entre soutiens et adversaires des révolutions arabes récupérées par les Frères musulmans, affrontements par milices interposées entre les monarchies du Golfe, contrôle des richesses libyennes et sahéliennes, reconfiguration des rapports de force à l'échelle du Maghreb, etc. L'instabilité libyenne représente ainsi une menace majeure quant à la consolidation du processus démocratique tunisien. La multiplicité des acteurs impliqués dans les négociations politiques et la non convergence de leurs intérêts stratégiques laissent peu d'espoir quant à leur réussite.

Cette situation pèse directement sur la sécurité de la Tunisie, mais également de l'Algérie, du Niger, du Tchad et plus globalement des théâtres maghrébins, méditerranéens et européens. L'avenir de la Libye, proche des foyers de tension et de vulnérabilité que sont le Darfour, l'espace toubou, le fondamentalisme islamiste de Boko Haram et l'Egypte, est au cœur de l'équation sahélo-maghrébine. L'intervention de l'OTAN en Libye sans tenir compte de l'après conflit et du changement de régime s'est traduite par la crise malienne engendrant elle-même un effet de souffle déstabilisant toute la scène sahélienne, situation propice à la justification d'une pénétration des puissances occidentales au détriment des puissances rivales (Russie, Chine, Inde, Turquie, Pays du Golfe, etc.) sur fond de lutte contre le terrorisme et le crime organisé.

L'effondrement de l'Etat libyen, second partenaire économique de la Tunisie après l'Union Européenne, constitue une catastrophe économique, sécuritaire, humaine, etc. pour la Tunisie. La solution privilégiée devra être avant tout entre libyens et maghrébine tout en impliquant des Etats clefs à l'instar du Tchad, du Soudan et du Niger. Sans réappropriation des clefs de notre destinée, la voie est ouverte à un règlement imposé depuis l'extérieur par des puissances étrangères poursuivant des intérêts stratégiques nous dépassant.

Dans ce contexte, plus globalement, la sécurité de la Tunisie et son essor économique sont intimement liés à l'évolution de la scène maghrébine et à l'édification du Grand Maghreb. Les initiatives passées ayant toutes buté sur la complexité du théâtre, la Tunisie doit faire preuve d'audace et porter cette ambition. « Il s'agit de l'ériger en priorité nationale. Afin de surmonter les rivalités, Tunis pourrait lancer une initiative visant à promouvoir, sans parti pris, une collégialité stratégique jetant les bases d'un Maghreb équilibré. Le dénominateur commun doit être d'abaisser le niveau des tensions régionales. Dans un contexte marqué par la vulnérabilité croissante de l'ensemble des pays maghrébins, il s'agit, pour la Tunisie, d'amener les autres pays, via une diplomatie plus active, à jeter les bases d'une entente régionale pragmatique, visible et manifeste aux yeux de l'Occident, de l'Afrique et des pays asiatiques. Ce Maghreb devra assumer sa sécurité et se prendre en charge afin de répondre collégialement aux défis et aux menaces et entraver les ingérences étrangères risquant de le déposséder des clefs de son avenir. Trois dossiers prioritaires devront sceller cette collégialité maghrébine : le règlement de la question libyenne ; une convergence de vue et d'action sur les problématiques caractérisant la scène sahélienne et l'élaboration d'une stratégie commune de gestion du retour des « foreign fighters » et de prévention de la radicalisation des jeunes »[3].
1 Pour de plus amples détails, consulter : Afrique Réelle, Bernard Lugan, N°88, avril 2017.
2 Afrique Réelle, Bernard Lugan, N°88, avril 2017, p.3.
3 Pour de plus amples détails, consulter l'Etude « La Tunisie en 2025 », ITES, janvier 2017 consultable au lien suivant : http://www.ites.tn/la-tunisie-en-2025/


*Mehdi Taje, Géopoliticien et prospectiviste, spécialiste du Maghreb et du Sahel africain


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