En plein souk artisanal, en plein jour, au milieu d'une importante foule, un vendredi, tout juste avant l'heure de la grande prière, un individu attendait patiemment son heure. Il se préparait à passer à l'action et à accomplir son méfait : s'attaquer à d'innocents touristes. Il attaque par surprise devant l'œil ahuri des commerçants. Il a choisi l'arme blanche pour commettre son crime, un modus operandi qui rappelle celui adopté dans plusieurs attentats terroriste commis de par le monde. Deux touristes de nationalité allemande sont les victimes de cet individu : une mère et sa fille. La première légèrement blessée, la deuxième souffrant de blessures plus graves a été transportée d'urgence à l'hôpital, elle s'y trouve encore. L'assaillant est rapidement appréhendé par les commerçants.
Nos journalistes ont vite fait de contacter leurs sources pour s'enquérir des détails de cette affaire. Ces sources, officielles, ont affirmé que cet individu est un intégriste islamiste, autrement dit un salafiste récemment embrigadé et acquis à l'idéologie extrémiste. Il était donc en mission et visait intentionnellement des touristes et personne d'autre. D'ailleurs, des témoins sur place nous ont fait part de détails accablants : alors qu'ils tentaient de l'appréhender, il leur disait : « N'ayez crainte, je ne vous veux aucun mal, je ne vous ferai rien ! ». Il avait un objectif et rien d'autre, il savait ce qu'il devait accomplir… L'information est reprise par tous les médias de la place. Après tout, les sources officielles ont confirmé la qualité salafiste de l'assaillant. La déontologie journalistique a été respectée à la lettre.
Sauf que ces révélations ont déclenché tout un branle-bas de combat dans les hautes sphères du pouvoir : Cachez-moi ce salafiste que je ne saurais voir ! Moins d'une demi-heure après, un communiqué conjoint entre le ministère de l'Intérieur et celui du Tourisme est publié pour préciser que l'agression n'avait aucun caractère terroriste. L'agresseur serait tout bonnement une personne mentalement dérangée et n'aurait rien à voir avec le salafiste dépeint, pourtant en premier lieu, par les sources officielles. Cherchez l'erreur ! En à peine trente minutes et après un test psychiatrique à la va-vite, l'assaillant s'est transformé en un cinglé sous traitement. Si caractère terroriste il y a, pourquoi chercher à détourner les faits ? Tenter d'étouffer l'affaire ne serait-il pas plus grave que le crime en soi ? Ceci rappelle l'attaque contre la synagogue de la Ghriba en 2002, lorsque les autorités tunisiennes présentent d'abord l'explosion comme un accident. L'enquête avait montré rapidement qu'il s'agissait d'un acte terroriste et cela avait asséné un sacré coup à la crédibilité de l'Etat tunisien.
En parlant de crédibilité justement. Il y en a un qui s'en est donné à cœur joie, Borhen Bsaiess, content qu'il est que des journalistes soient décrédibilisés. En employant ces habituelles techniques (personne n'ignore que c'est un as en la matière), ce propagandiste en chef les a qualifiés d'idiots. Ces stratagèmes d'intimidations sont éculés et ne nous font ni chaud ni froid, que cela soit dit ! Personne ne pourra plus museler un journaliste ou l'empêcher d'accomplir son travail, surtout s'il se base sur des informations avérées.
Dans le cas d'espèce si l'assaillant de Nabeul est un salafiste, il fallait le dire clairement et sans détour. Révéler la vérité même si elle fait mal est le seul moyen possible pour sauvegarder justement la crédibilité de l'Etat et de ces organes officiels, autrement ce ne serait autre qu'une monumentale erreur de communication de crise. Les autorités se doivent d'assumer et d'assurer une communication impeccable autour d'événements aussi graves qui pourraient porter atteinte à l'image du pays et non de nous sortir une communication vieille de 15 ans. Etouffer l'affaire, taxer systématiquement l'agresseur de fou furieux sans prendre la moindre once de recul, pour sauver la saison touristique, nous éclaterait à la gueule un jour ou l'autre. Ceci aura finalement l'effet contraire. Adopter la posture de l'autruche est une grave erreur en matière de gestion de crise. De plus, la faute qu'il ne faut pas commettre est de ne pas se donner un délai raisonnable pour prendre le temps de se préparer et de donner des explications viables et inattaquables. C'est en fait le maître-mot de la communication ! Faire de telles révélations sans avoir tous les éléments en main et sans se poser, mettrait à mal toute la stratégie de communication et de là, semer le doute dans l'opinion publique. C'est que communication de crise et propagande ne font pas bon ménage.
S'attaquer aux journalistes qui n'ont fait que leur devoir d'informer n'est pas une solution et c'est carrément anachronique. Outre Borhen Bsaiess, plusieurs personnes se sont adonnées à donner des leçons aux journalistes. Même certains Tunisiens vivant à l'étranger ont prétendu détenir les vraies informations et se sont permis de répandre des intox éhontées. Si les journalistes ne sont certainement pas au dessus de la critique, et que tous les conseils sont bons à prendre, il ne faudrait pas non plus que des « menteurs » officiels et officieux, qui tremblent de crainte de voir leur nom évoqué dans les affaires de corruption, se permettent d'insulter et de donner des leçons. Par ailleurs, les preux chevaliers de « l'intérêt national » doivent se rappeler que les journalistes étaient bâillonnés sous Ben Ali par l'usage des mêmes arguments et des mêmes formules.
Alors, salafiste ou fou furieux, dans une situation de crise il faut marcher sur des œufs et éviter d'être trop affirmatif, sous peine d'avoir de mauvaises surprises, surtout que là il y va de l'intérêt suprême du pays. Enfin, tout ceci reste un regrettable incident dont est victime la Tunisie, quelles que soient les motivations de l'auteur du crime. Tous les journalistes de Tunisie se tiendront en rang serré pour défendre leur patrie. Et aux autres, qui traitent les médias de menteurs, rendez-vous au procès, puisque ce criminel devra être jugé. Et on verra à ce moment-là s'il est fou.