Constitué il y a un peu plus d'un an, Harak Tounes Al Irada connait actuellement une crise interne sans précédent. Il faut dire que le parti de l'ancien président de la République, Moncef Marzouki, n'était pas né sous les meilleurs auspices. Déjà dans l'œuf que les tensions avec le CPR, ancien parti de Marzouki ont éclaté. Nombreux membres du parti fondé en 2001 avaient refusé la fusion avec Al Irada et si le nouveau parti a récolté les biens de l'ancien, il a aussi hérité d'une composition fragmentée et désunie. Aujourd'hui, c'est une vague de démissions dans l'instance politique du parti qui appelle à se demander si Moncef Marzouki n'a pas sacrifié son parti de toujours pour rien, et s'il n'est pas au final tout simplement victime de son manque de discernement…
L'ancien président de la République, Moncef Marzouki, avait affirmé, lors de son intervention au Forum “Hodges” des affaires internationales, au mois de mars, qu'il est encore trop tôt pour annoncer une éventuelle candidature à la prochaine élection présidentielle et qu'il œuvre en ce moment en tant qu'activiste et non en qualité de politicien. Il a toutefois estimé que le peuple a besoin de temps avant de comprendre qu'un gouvernement ne peut pas tout arranger tout de suite et que quand il aura intégré cette donnée « quelqu'un comme lui sera probablement élu de nouveau ». La réflexion de Moncef Marzouki peut laisser perplexe si l'on s'attardait un peu sur le bilan laissé de son mandat en tant que président de la République, mais aussi sur la présidence des deux partis, désormais disloqués, qu'il a fondés en 2001 puis en 2016.
Dans un communiqué émis dans la soirée du mercredi 16 août 2017, l'instance politique de Harak Tounes Al Irada, avait annoncé sa démission collective du comité politique. Mabrouk Hrizi, Zouheir Ismaël, Brahim Ben Saïd, Sabri Dkhil, Ghassen Marzouki, Rabîi El Abdi, Yadh Elloumi, Yassine Oumeya, Zied Soltane, Sami Ilahi, Leila Sebri et Karim Hammami, ont expliqué qu'ils ne peuvent continuer leur activité au sein d'un parti dans lequel « règne l'hégémonie d'une minorité qui essaye d'imposer sa décision et d'isoler les structures, les institutions et les adhérents » et ce malgré les erreurs répétitives, l'échec évident et la politique de l'improvisation et du désordre. Dans une lettre, adressée à Moncef Marzouki, on reprochait également à certains cadres du parti de vouloir « le saboter » en barrant la route aux compétences, en privilégiant des intérêts personnels et ceux d'autres parties et en créant la discorde au sein du parti.
Ce mercredi 23 août, les démissionnaires, désormais plus nombreux ont expliqué les raisons de leur départ. Il est notamment question de « la négation des évolutions du parti depuis sa constitution, il y a un an », « du non-respect des engagements vis-à-vis des bâtisseurs du parti et des résultats du dernier congrès notamment en ce qui concerne les principes de transparence et de comportement démocratique » ce qui, selon les termes du communiqué, a fragilisé Al Irada jusqu'à « menacer son existence ». Les démissionnaires ont, en outre, critiqué « l'absence de confiance et la dégradation des liens organisationnels, dus au narcissisme démesuré de certaines personnalités du parti ». Des dénonciations évoquant des querelles intestines au sein du parti et des hostilités qui perdurent et qui ont engendré « un état de tristesse » au sein d'Al Irada. Le communiqué mentionne également le diktat d'une minorité au sein du parti. Les personnes visées « gèrent les activités d'Al Irada comme bon leur semble alors que les comptes du parti ne devraient pas le permettre ». Autant de raisons qui expliquent la dislocation du parti Al Irada, « l'accentuation de la fracture au sein de ses membres » et « la marginalisation de certaines structures qui se trouvent privées de leur prérogative ». Les démissionnaires ont néanmoins tenu à rappeler les principes du parti et son projet social auxquels ils demeurent attachés tels que « la construction d'une démocratie participative ayant pour fondement le pouvoir local et la valeur symbolique du parti représentée par Moncef Marzouki ».
Le président d'Al Irada, n'est pas directement visé par les critiques des membres démissionnaires du parti, toutefois son entourage proche l'est sans conteste. Moncef Marzouki n'est pas à sa première crise partisane. Le CPR, parti qu'il a fondé en 2001 et dont il a été président, a aussi connu ces remous. En 2012 c'était Abderraouf Ayadi, alors vice-président du parti qui annonçait son départ et la création de Tayar Al Wafa, plus tard en 2013, Mohamed Abbou, secrétaire général du CPR, en faisait de même en créant le Courant démocrate. Les deux avaient exprimé leur désaccord avec Moncef Marzouki, qui effectuait alors son mandat de président provisoire de la République.
Après l'annonce de la création d'Al Irada en 2016, le ton des CPRistes est monté d'un cran. Les membres du CPR ont lancé des accusations concernant les finances louches du parti dissous et l'illégalité de la dissolution. On continuera par la suite à qualifier la fusion des deux partis de mascarade, à crier au scandale et à qualifier la dissolution du CPR d'assassinat. Deux camps qui se revendiquent du CPR, se sont livrés une guerre sans merci. Les uns voulaient le dissoudre pour l'intégrer à Irada, les autres le maintenir en vie, même si l'essentiel des troupes avait déjà quitté le navire. Qualifié par Moncef Marzouki de parti « sali », le CPR est abandonné pour Irada, plus « poli » et rassembleur.
Les récents évènements prouvent néanmoins qu'il n'en est rien. Irada n'arrive même plus à rassembler ses propres membres et le rêve de Marzouki semble voler en éclats. Rajouter à cela les bavures en tout genre de l'ancien président, la dernière en date relative à ses déclarations douteuses sur Al Jazeera, où faisant fi de son devoir de réserve il a déballé sur une chaine qatarie le linge sale de son pays, suscitant une vague d'indignation et de démentis, Moncef Marzouki s'isole de plus en plus. Il est vrai que ses « apôtres » de toujours, Daïmi, Kahlaoui et Mansar continuent de le soutenir contre vents et marées, mais est-ce que cela sert réellement l'ancien président, là est toute la question. Moncef Marzouki a toujours enchainé les bévues et si les choses continuent, c'est qu'il est très mal conseillé par ceux qui l'entourent et qui, de l'avis de leurs propres compagnons, le font mal et mettent ainsi en péril son parti mais aussi sa propre crédibilité.
Même de la Ligue tunisienne des droits de l'Homme, dont il a été président de 1989 à 1994 et président honorifique depuis, Moncef Marzouki a décidé comme sur un coup de tête de l'abandonner, prétextant que la ligne adoptée, notamment concernant le dossier de la Syrie, est en désaccord avec ses principes.
Moncef Marzouki patauge et ce n'est pas nouveau. Il a prouvé lors de son court mandat présidentiel qu'il n'était pas homme à diriger un pays. Il prouve aujourd'hui encore qu'il n'a pas l'étoffe d'un leader capable de résoudre des différends et de rassembler autour de lui des fidèles de bon conseil et compétents. N'importe quel dirigeant aurait pris la peine de s'arrêter sur ses échecs, de faire un bilan et de reconsidérer sa façon de faire et celle de ses conseillers, mais pour l'ancien président, cela semble être inenvisageable. Ses propres collègues l'accusent, à demi-mot encore, de laisser une minorité faire régner son hégémonie au sein de son parti. Un comble pour celui qui s'érige depuis toujours en fervent défenseur de la démocratie…