Déficit budgétaire atteignant, fin octobre 2017, 4.42 MD contre 3.79 MD durant la même période en 2016, une dette publique s'élevant à 63.94 MD contre 52.7 l'année écoulée, des dépenses totales évaluées à 28MD contre 22.9 MD toujours en 2016 et un taux d'inflation dépassant les 6%... Des indicateurs qui reflètent, à première vue, une réalité morose de la situation de l'économie tunisienne. Mais pourquoi ne pas entamer la nouvelle année sur une note positive ? Cette réalité est souvent décortiquée, analysée et interprétée par des experts en économie qui se montrent plutôt pessimistes et alarmistes lors de leurs passages sur les différents supports médiatiques. Bien que l'on se doive d'être conscients et se montrer réalistes à l'égard de cette conjoncture, on a toutefois, préféré s'adresser à un nombre de ces experts afin de nous relever certains points favorables en matière d'économie, histoire de conclure cette année sur une note positive.
Continuer à se battre pour créer des emplois Interrogée sur les points positifs en 2018, Wafa Laâmiri, présidente CJD Tunisie (Centre des Jeunes Dirigeants d'Entreprise de Tunisie) nous a parlé des priorités du centre. « Les jeunes dirigeants continueront à s'accrocher en 2018 et à se battre pour sauver et développer leurs entreprises, ainsi que pour créer des emplois. Le Centre des jeunes dirigeants appelle ses membres à un engagement responsable afin d'assurer une performance globale dans leurs entreprises, au niveau économique, social, sociétal et environnemental. Il vise à devenir un acteur majeur dans le développement économique et social du pays. Le thème de l'entreprise responsable est d'ailleurs, le thème choisi par le CJD pour son 12ème congrès national qui se tiendra le 6 avril 2018. », explique Mme Laâmiri.
Que la Tunisie ne soit plus jamais stigmatisée ! Quant à l'expert économique, Nabil Abdellatif, il a exprimé son souhait que l'année 2018 soit celle de la réforme et de la relance économique. « J'espère que la Tunisie ne figurera plus à partir du 23 janvier 2018 sur la liste noire des paradis fiscaux établie par l'Union européenne et j'espère qu'elle ne sera plus stigmatisée dans l'avenir. Par ailleurs, j'espère que certains dossiers importants seront finalement traités, notamment ceux portant sur les réformes économiques comme l'instauration d'un dialogue national ». Ce débat permettra, selon lui, de débloquer les arrangements que la Tunisie avait déjà faits avec les bailleurs de fonds étrangers. « J'espère également qu'on fournira plus d'efforts en matière de promotion de l'investissement au niveau de l'Instance nationale de l'investissement, ainsi que de voir plus d'efforts de la part de la Banque Centrale», a-t-il martelé.
La reprise ne se fera pas du jour au lendemain, mais les solutions existent L'approche de l'économique Ezzedine Saidane, n'est pas si optimiste qui le voudrait. Pour lui il est très dur de dresser un tableau rose de la situation économique, quand tous les indicateurs renvoient à l'inverse : « Un taux de croissance économique atteignant 0.1% au 2ème trimestre de 2017 aussi bien qu'un déficit de la balance commerciale dépassant les 10MD pendant les 8 premiers mois de l'année, soit une aggravation de plus de 22% par rapport à la même période de 2016. » a-t-il affirmé. « Prenons l'exemple du secteur agricole, on a enregistré un taux de croissance s'élevant à 2.5% se basant essentiellement sur des produits locaux et de qualité notamment l'huile d'olive et les dattes. C'est une bonne nouvelle, certes, mais en réalité, même avec ce taux, on n'arrive toujours pas à combler le déficit puisque le secteur de l'agriculture ne représente que 10% du PIB. En ce qui concerne la devise, on a enregistré 1.9% uniquement d'augmentation dans les revenus en devise alors que la Tunisie a témoigné de l'affluence d'environ 7 millions de touristes cette année. On a par ailleurs enregistré une hausse des investissements étrangers directs de 11.4%, cependant en pratique cela représente une baisse de 10% compte tenu de la dépréciation du dinar. Les chiffres relatifs à ces investissements, au tourisme, aux phosphates, etc sont souvent exprimés en dinars au lieu d'être exprimés en devise ce qui nous donne la fausse impression d'une revitalisation économique.» a-t-il ajouté. M.Saidane a par conséquent, conclu que la reprise économique ne se fera pas du jour au lendemain, et que les solutions existent, mais il faut accepter de voir la réalité en face afin de pouvoir dresser un véritable diagnostic et engager de manière responsable le vrai sauvetage de la Tunisie, aussi bien que procéder à des réformes au niveau de la gestion et la masse salariale qui pèse lourdement sur l'économie tunisienne.
Un lancement prometteur de plusieurs projets en 2018 « Pour moi, le point positif qui m'a le plus marqué cette année est l'annonce du lancement d'un nombre de projets structurants dans le sud tunisien en 2018 par le ministre de l'Energie, des Mines et des Energies renouvelables, Khaled Kaddour. En effet, cela représente un bon pas vers la favorisation du développement régional et l'amélioration de la qualité de la vie des citoyens, cela visera également à soutenir et à accompagner les efforts déployés par les entreprises du secteur privé en matière de responsabilité sociétale. », explique Mohamed Mabrouk, expert économique, professeur universitaire à l'Ecole supérieure de la Statistique et de l'Analyse de l'Information (ESSAI) et ancien expert auprès de l'Institut tunisien des Etudes stratégiques (ITES). Il s'agit en fait, de 3 projets. On trouve en premier lieu, le projet intégré de développement du désert qui va concerner la région de Remada. Une région qui manque d'infrastructure routière et électrique malgré sa richesse en eau et d'une importante nappe souterraine, ainsi que sa richesse en énergie solaire. Ce projet vise à promouvoir la production d'énergies renouvelables et à développer une agriculture désertique biologique, dans l'objectif d'optimiser la contribution du gouvernorat de Tataouine à la croissance économique, à la création d'emplois, et à fixer la population afin de sécuriser les frontières. Ce gouvernorat bénéficiera par ailleurs, du raccordement au gaz naturel dans le cadre d'un projet financé par l'ETAP. Le 2ème projet, relève l'expert, concerne les centres miniers et a pour but d'améliorer la qualité de vie des habitants des régions minières à travers la délocalisation des laveries des centres miniers de Metlaoui, Redayef, Om Laarayes et Mdhila, en dehors des villes. Il consiste également à la construction d'une centrale de dessalement d'eau qui permettrait aux eaux dessalées d'être ramenées dans les centres miniers pour préserver les nappes souterraines et développer l'activité agricole. Au final, le 3ème projet vise à atténuer les niveaux de pollution atteints dans le gouvernorat de Gabès et ce par la délocalisation des unités de production polluantes dans ce gouvernorat. D'autres projets relatifs au développement des énergies renouvelables sont également envisagés dans les régions de Kébili, Tozeur, Kasserine et Sidi Bouzid.
Les prévisions augurent une croissance de 2,2% Mohamed Mabrouk a par ailleurs indiqué que le budget de l'Etat est estimé à 35.851 MD, soit une hausse de 4.3% par rapport à 2017. « Face à cette hausse, le déficit budgétaire restera en dessous de la barre de 5%, sachant que les prévisions de 2018 augurent d'une croissance de 2,2% ». Pour ce qui est des secteur vitaux, notamment le secteur de l'agriculture, l'expert précise qu'on s'attend à une croissance de l'ordre de 10.9% en 2018 avec la hausse des recettes de l'exportation de plusieurs produits agricoles tels que les agrumes, l'huile d'olive ou encore les dattes, ce qui devraient dépasser pour la première fois les recettes du secteur touristique.
Malgré ces chiffres prometteurs, les experts économiques tirent encore la sonnette d'alarme quant à la fragilité de la situation économique et financière du pays. En effet, l'économie tunisienne présente, 6 ans après le déclenchement de la révolution, de nombreuses vulnérabilités qui pèsent sur sa croissance. Le déficit budgétaire chronique et la forte dépréciation du dinar ne font qu'alimenter davantage la dette publique. Il devient de ce fait, urgent dans un contexte social difficile, d'adopter et de mettre en œuvre de vraies réformes concertées afin de consolider les perspectives économiques, transcendant les tractions politiques et relancer la croissance à 5% comme espéré en 2020.
L'année 2018 sera cruciale, il est donc impératif d'éviter l'enlisement dans la crise économique par l'adoption des politiques économiques loin de toute décision impulsive et de toute stratégie erronée. Ainsi, la reprise de la croissance et de l'investissement, la stabilisation macroéconomique et l'accélération du rythme des réformes et la lutte contre le chômage demeurent les plus grands défis à relever et devraient susciter l'attention du gouvernement vu qu'ils représentent des dossiers prioritaires. La Tunisie a indubitablement, réalisé des avancées au niveau de la transition politique, mais la transition économique reste incertaine. Espérons que l'année 2018 nous offrira une opportunité pour sortir du gouffre et redresser la donne économique.