En 2018, alors que le dinar tunisien a touché le fond, des compatriotes ont jugé plus important de sauver l'économie turque « en plein effondrement ». Si l'appel à consommer tunisien a réussi à mobiliser des patriotes, celui lancé aujourd'hui, par des personnalités appartenant à des courants bien spécifiques, pour aider la Turquie suscite bien des interrogations… En 2016, alors qu'on parlait de chute catastrophique du dinar, l'euro s'échangeait en juin à 2,433 dinars, soit le niveau le plus élevé de l'Histoire et le dollar américain s'échangeait pour sa part à 2,141 dinars, soit également le niveau le plus élevé de l'Histoire. En ce mois d'août 2018, 1 USD s'échange à 2,77 TND et 1 euro, tenez-vous bien, à 3,15TND ! En parallèle, et suite à des sanctions infligées par les Etats-Unis, la livre turque a connu la chute la plus importante de son histoire. La monnaie turque a plongé vendredi dernier, de près de 20 %, un dollar s'échangeant contre 6,87 livres, perdant, depuis début 2018, 40 % de sa valeur. Une catastrophe qui vient apparemment s'ajouter aux préoccupations de certains Tunisiens, très inquiets de la santé de « leur second pays » alors que le leur traverse des difficultés économiques.
Ceux qui n'ont pas bougé le petit doigt pour encourager la productivité tunisienne et propager activement l'appel à consommer tunisien, lancé en 2017, pleurent aujourd'hui le sort de la Turquie, faisant feu de tout bois pour secourir le pays qui a noyé de ses produits le marché tunisien. Un raz-de-marée qui a débuté en 2004 avec la signature de l'accord de libre-échange, qui a de loin privilégié la Turquie et qui s'est poursuivi, voire aggravé après la révolution, jusqu'à obliger l'Etat de prendre les mesures « possibles » pour réduire les dégâts causés aux producteurs locaux.
Parmi ces personnalités, nous citerons, sans surprise, le prédicateur Béchir Belhassan, qui a délaissé un bref moment son combat acharné contre la Colibe, pour appeler les Tunisiens à échanger leurs devises étrangères contre des livres turques pour soutenir l'économie du pays des Ottomans. Le prédicateur controversé Adel Almi a aussi exprimé son « soutien certain » à la Turquie et à son président Recep Tayyip Erdoğan, estimant que l'économie turque est victime d'un complot, americo-arabo-sioniste.
Un appel a même été lancé par un groupe d'imams et de « citoyens fidèles aux causes de la oumma » pour sauver la « chère » Turquie. Une caisse a été créée pour récolter des fonds pour le consulat turc en Tunisie. En parallèle, une campagne serait menée par des Tunisiens et des musulmans du monde entier « pour changer leurs dollars en lires turques », indiquent-ils en plus d'une affiche où ils ajoutent « eux ont leurs dollars et nous avons Dieu ».
Une ferveur qui a été inexistante, lorsqu'il a été question de sauver la Tunisie, de répondre à l'appel de consommer tunisien et de boycotter les produits importés. Aujourd'hui, on demande même aux gens de faire des dons estimant que la Tunisie, tombée dans les mains des renseignements israéliens, ne mérite pas d'être sauvée et qu'il est plus important de récolter 100 milliards de dollars pour la Turquie que les 71 nécessaires à payer la dette de la Tunisie.
Une campagne destinée à promouvoir les marchandises turques s'observe également sur les réseaux sociaux tunisiens, surtout parmi les pages islamistes. La page « l'économie vulgarisée » a rebondi sur ce phénomène et s'interroge pourquoi il n'y a jamais eu autant de mobilisation quand on a fait des appels pour encourager la consommation des produits tunisiens. Et d'ironiser : « consommez les marchandises turques portant le code-barres commençant par le 619 (qui est en fait le code tunisien) ! ».
Le profil de ces philanthropes tunisiens est étrangement le même et leur courant de pensée en dit long sur leurs motivations. Cela dit même Mohsen Hassen, ancien ministre du commerce et actuel cadre chez Nidaa Tounes s'y est mis faisant part de son empathie pour l'économie turque en souffrance. Nostalgiques de l'occupation ottomane peut-être, des Tunisiens ne lésinent pas sur les moyens et s'activent pour venir au secours de la Turquie. Si la charité est une noble qualité, elle serait mieux ordonnée si elle commençait par soi-même a-t-on l'habitude de dire, entre temps le dinar boit la tasse et des « illuminés » accourent à la rescousse de la livre…