Après avoir remporté un référendum en avril pour renforcer considérablement son pouvoir, le président turc, Recip Tayyip Erdoğan, a passé l'année 2017 à poursuivre sa priorité ultime: consolider formellement et étendre sa domination pour emporter les futures élections de 2019. C'est ce qu'il a fait avec un mélange de manipulation politique, de populisme opportuniste et de double langage orwellien. Alors que le président turc est censé, officiellement être politiquement neutre, Erdogan, au cours de l'année 2017, a utilisé l'AKP et diverses institutions étatiques sous son influence comme des paratonnerres pour des critiques qui pourraient autrement être dirigées contre lui. Il a quelque chose à dire sur tout et n'importe quoi – de la politique fiscale à la teinture des vitres sur les voitures, au nombre de joueurs de football étrangers autorisés dans les équipes professionnelles, rien ne lui échappe. Le modèle est le suivant : un organisme d'Etat où le gouvernement est critiqué, puis Erdoğan, le patriarche, intervient pour dissiper le désordre et apaiser le peuple. L'exemple le plus frappant de cette année a été un argument d'autorité sur les hausses d'impôts. L'économie turque a récemment montré des signes de faiblesse. Alors que les chiffres de croissance semblent bons depuis 15 ans, les turbulences politiques, couplées à une économie improductive axée sur la consommation ont ramené la livre turque à un niveau bas face au dollar, à l'euro et à la livre sterling. Afin de résoudre ce problème, le gouvernement parlementaire a annoncé une loi visant à augmenter les impôts à compter de janvier 2018, dont la plus controversée était une taxe de 40% sur les véhicules à moteur. Après un tollé notoire, Erdoğan a affiché son influence en proposant publiquement que l'augmentation de la taxe soit limitée à 15-20%. Alors que le résultat final est une augmentation des impôts, les annonces publiques ont été présentées comme une réduction d'impôt provoquée par l'influence d'Erdoğan. Cela a ajouté à l'impression générale que la dérive autoritaire de la Turquie prend des caractéristiques typiquement orwelliennes. Le double jeu et double langage Le résultat du référendum d'avril était très étroit et fortement contesté. Donc, si Erdoğan veut assurer sa position à long terme, il doit gagner la partie laïque et républicaine de l'électorat polarisé qui a voté contre ses plans. Pendant des années, les personnalités les plus connues de l'AKP n'ont pas assisté aux manifestations publiques républicaines. Depuis que Abdullah Gül est devenu président en 2007, le gouvernement a même interdit les commémorations pour des motifs de sécurité – même s'il organise de grands rassemblements pour marquer l'ouverture de ponts et de routes, ou pour célébrer la défaite du pseudo-coup d'état de 2016. De même, Erdoğan a longtemps refusé de se référer au premier président de la Turquie par son nom de famille, Atatürk, préférant plutôt Gazi Mustafa Kemal. Plus récemment, Atatürk a été mentionné plus chaleureusement dans la presse pro-AKP et par Erdoğan lui-même. C'est une tentative de paraître conciliant face à l'électeur laïc sans perdre pied avec la base de l'AKP. Jusqu'à présent, blanchir le passé et déformer la vérité semblent avoir peu d'influence sur le comportement de la base de l'AKP. Ses membres se sont ralliés derrière le président, même après les accusations de corruption. Les années d'association et d'alliance avec les Gülenistes de l'AKP ont tout simplement été balayées et remplacées par des purges civiles, politiques et militaires; être étiqueté comme un Gülenist aujourd'hui, est synonyme de terroriste. Ce double langage et cet opportunisme électorale ne masquent pas la marche d'Erdoğan vers un autoritarisme plus poussé. Les manœuvres orwelliennes par diktats du palais forcent les puissantes personnalités à démissionner, parmi eux le leader de 23 ans d'Ankara, Melih Gokcek. Ou, par exemple, l'affaire de Reza Zarrab, citoyen turco-iranien jugé aux Etats-Unis pour avoir violé les sanctions contre l'Iran et figure centrale dans les allégations de corruption de 2013. L'affaire Zarrab est un exemple du double langage d'Erdoğan. Le 3 décembre, il a dénoncé des hommes d'affaires en train de transférer des biens hors de Turquie comme des traîtres. Le jour suivant Erdoğan a fait savoir qu'il s'opposait à une nouvelle réglementation sur les transferts de capitaux et que tout le monde pouvait transporter de l'argent comme il le souhaitait. Il est difficile de dire s'il s'agissait d'une tentative de rallier une large base de soutien, ou si le président réalisait simplement que de nouveaux contrôles des capitaux pourraient rendre plus difficile le nettoyage de la réputation de la kleptocratie et de la corruption profonde de la Turquie. De toute façon, la vérité est, comme toujours, opaque et sujette à manipulation. Avec l'aide de médias muselés et complaisants, des purges politiques, des élections tenues dans des états d'urgence et le népotisme, Erdoğan fait tout ce qui est en son pouvoir pour parvenir à l'ultime poussée vers l'autorité absolue. En apparence, il accepte soigneusement et sélectivement le blâme pour les échecs du parti et reste ouvert à la partie laïque de la société turque, néanmoins, la nation entière est de plus en plus représentée par un seul homme. Et ce n'est pas sans danger. Source : https://theconversation.com/how-erdogan-subjected-turkey-to-a-year-of-cynical-doublespeak-89112