Pour la première fois depuis le déclenchement de l'affaire, le président du parti Ennahdha, Rached Ghannouchi , s'est expliqué à la fin de cette semaine pour finalement, confirmer le désarroi du parti islamiste et de ses dirigeants, face à un dossier qui met tout l'édifice qu'ils ont mis en place depuis huit ans en danger. Mais le plus grave pour le chef du parti islamiste, c'est que cette affaire pourrait le mettre directement en cause, fragiliser sa position à l'intérieur de son propre parti et anéantir tous ses efforts consentis, à l'échelle nationale comme sur le plan international, depuis des années. L'affaire de l'organisation sécuritaire secrète d'Ennahdha dans laquelle apparait Mustapha Khedher comme un maillon central a été révélée presque par hasard. Le dossier avait été minutieusement dissocié du dossier des assassinats politiques des deux martyrs Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi. C'était une stratégie élaborée pour « noyer le poisson ». Mais c'était sans compter sur une part de hasard et une grande part de ténacité de la part du collectif de défense des deux martyrs. C'était aussi sans compter sur les maladresses commises dans la gestion de ce dossier dés son déclenchement et qui ont fini par accumuler les indices qui ont conduit à l'éclatement de cette affaire dans sa nouvelle dimension. La première maladresse était de banaliser l'affaire au départ au point de juger Mustapha Khedher pour possession de documents sécuritaires sans plus. Son emprisonnement pour huit ans devait l'éloigner des regards indiscrets et étouffer l'affaire. Cela n'a pas été le cas. La seconde maladresse était de penser qu'on pouvait agir librement au sein du ministère de l'Intérieur au point de séquestrer des documents, ne pas les remettre aux mains de la justice et les garder en « lieu sûr ». Il s'est avéré que malgré les infiltrations, le ministère de l'Intérieur continue à se cramponner à des valeurs républicaines et comme l'a si bien dit Rached Ghannouchi lui-même, la police n'est pas garantie. C'est grâce au courage des cadres de la police et à l'attachement aux valeurs républicaines que l'existence de la chambre noire, niée pendant des mois, a fini par être dévoilée. La troisième maladresse, assumée directement par Rached Ghannouchi, était de résilier unilatéralement l'alliance qui liait le parti islamiste avec le président de la République, un vieux routard de la politique, qui se devait de faire payer au prix fort à ses anciens alliés, le prix de leurs « trahison ». Le mérite du collectif de défense des deux martyrs est d'instruire minutieusement son dossier. Ce mérite a été relayé par le courage du magistrat saisi du dossier, ce qui a conduit dans un premier temps à confirmer l'existence de la chambre noire et à saisir son contenu, puis dans un deuxième temps d'impliquer directement Mustapha Khedher dans l'assassinat de feu Mohamed Brahmi. Le désarroi des islamistes s'explique par ces développements auxquels ils ne s'attendaient pas. Leur première réaction était d'ailleurs d'affirmer que c'était une manœuvre de plus de la part du front populaire qui n'a aucune chance d'aboutir. Meherzia Laâbidi est même allée à affirmer que l'affaire Mustapha Khedher a permis à son parti d'élargir sa base par dix huit mille nouveaux adhérents. Comme si l'implication dans des affaires de meurtres était un argument attractif pour les islamistes. En deuxième phase, les déclarations des dirigeants islamistes se sont concentrées sur la non appartenance de Mustapha Khedher au parti Ennahdha. Seulement, beaucoup d'indices prouvent le contraire, notamment les photos le montrant en compagnie des dirigeants d'Ennahdha ou faisant sa prière derrière un ministre nahdhaoui, au sein même du cabinet de son ministère. Face au peu de crédibilité accordée aux déclarations de ses lieutenants, Rached Ghannouchi a été contraint de monter lui-même au créneau. Usant de son « autorité morale », il reprend les arguments des lieutenants ajoutant que les documents sécuritaires saisis chez Mustapha Khedher étaient faciles à se procurer au début de la révolution. Seulement, il ne s'agit pas seulement de documents sécuritaires mais surtout de notes, de rapports d'un groupe exerçant sous ses ordres et de matériel d'espionnage qui ne sont pas à la portée de tout le monde. En réalité, la décision de Ghannouchi de réagir est dictée par des raisons autrement plus personnelles. En premier lieu, l'apparition du nom d'un certain Daghsni dans le dossier. Il semble que c'est ce dernier qui a fourni à Khedher l'appareil de destruction des documents, qui s'est miraculeusement volatilisé dans les locaux de la police. Or, il parait que ce Daghsni est lié à Ghannouchi par des liens familiaux proches ce qui met ce dernier dans un embarras certain. Mais il ne s'agit pas que d'embarras. La confirmation de l'implication de Daghsni dans l'affaire Khedher et l'implication de ce dernier dans les assassinats politiques met Ghannouchi directement en cause. Etant le président d'Ennahdha, il devait être l'un des rares parmi la direction de son parti, sinon le seul, au courant de l'existence de l'organisation sécuritaire secrète et de ses agissements. Les liens de parenté avec Daghsni le mettent parmi les fidèles les plus sûrs sur qui il peut compter.