Que dire de cette affaire qui a ébranlé la Tunisie et dont l'impact se ressent jusqu'à aujourd'hui. Nous commémorons les 6 ans de l'assassinat du leader de gauche, Chokri Belaïd. La blessure reste ouverte, béante plus que jamais et n'est pas prête à se refermer. Les commanditaires du meurtre, les assassins courent toujours les rues et la quête de la vérité se perd. Six ans déjà depuis le terrible assassinat de Belaïd. Six ans déjà que des coups de feu ont retenti dans le paisible quartier d'El Menzah 6, que des balles terroristes ont criblé le corps d'une des voix les plus virulentes à l'encontre des islamistes alors au pouvoir. Un événement à marquer d'une pierre noire dans l'Histoire de la Tunisie. Un lâche assassinat qui a provoqué un séisme et constitué un véritable tournant sur la scène politique. C'était au matin du 6 février 2013. Les Tunisiens étaient en état de choc. Une chape de plomb s'était abattue sur le pays. La peur, la colère, la rage, une indicible tristesse. Autant d'émotions s'étaient emparées des Tunisiens. Dans toutes les villes, les rues s'étaient remplies spontanément, les gens s'étaient attroupés. A Tunis, le point d'orgue s'était l'avenue Habib Bourguiba. Des milliers de manifestants et un premier slogan qui fuse « Qui a tué Chokri ? », et puis un deuxième « Ghannouchi assassin ! ». Ces deux slogans font désormais partie de l'Histoire politique de la Tunisie.
C'est dans un contexte politique extrêmement tendu que la figure de gauche a été lâchement tuée. Depuis que la Troïka, menée par le parti islamiste Ennahdha, a accédé au pouvoir, presqu'aucun jour ne passait sans que des prétendus imams, que des figures islamistes issues notamment du parti au pouvoir, ne proféraient des accusations d'apostasie à l'encontre des personnalités laïques. Chokri Belaïd, avec sa verve et son opposition farouche aux islamistes, était la cible d'incitations au meurtre. Ne seraient-ce que les déclarations de Ali Laârayedh (alors ministre de l'Intérieur) après les événements dits de la chevrotine ou les menaces à peine voilées des Chourou et Ellouze. On apprendra par la suite que le gouvernement de Hamadi Jebali n'a pas daigné assurer la protection de Belaïd en dépit des multiples rapports évoquant un plan d'assassinat le visant. La veille de son meurtre, le martyr de la nation avait accusé Ennahdha de laxisme face aux appels incessants à assassiner les opposants politiques qualifiés d'ennemis de l'islam. Il faudra se rappeler que les autoproclamées ligues de protection de la révolution faisaient la loi et semaient la terreur. Belaïd assurait au soir du 5 février 2013, que ces ligues ne sont rien d'autre que le bras armé d'Ennahdha. Au matin du 6 février, il tombe sous les balles des terroristes en sortant de chez lui.
Cet assassinat marque un point de rupture et a annoncé le début de la fin pour la Troïka. Le meurtre de Mohamed Brahmi, quelques mois après, prononcera sa chute. Une journée mémorable, historique qu'était celle des funérailles de celui qui deviendra un symbole de résistance face à la menace islamiste. Cette journée et la mobilisation des Tunisiens ébranleront Ennahdha et ses alliés. N'étaient-ce par la suite les intérêts et les calculs politiques, l'antenne des Frères musulmans en Tunisie, serait passée à la trappe. Six années se sont écoulées depuis, sans que la vérité n'éclate au grand jour ! Sans que les meurtriers et les commanditaires ne soient clairement identifiés ou jugés ; sans que les individus ou les entités ayant financé, planifié ou couvert les terroristes ne soient inquiétés. Les zones d'ombre persistent et une conviction s'est ancrée chez les Tunisiens, l'existence d'une volonté de taire la vérité, de l'étouffer pour qu'elle ne soit jamais révélée. Ennahdha et ses figures qui ont, au minimum, la responsabilité politique de ces assassinats et de la situation explosive par laquelle est passée la Tunisie, ont aujourd'hui un pied au pouvoir et ne sont pas inquiétés outre mesure. Trahisons et alliances ont en voulu ainsi.
Alors, oui, l'affaire de l'organisation secrète d'Ennahdha a fait grand bruit et a démontré l'implication du mouvement dans de graves combines. Le comité de défense de Belaïd et Brahmi a lâché une bombe à retardement qui explosera bien tôt ou tard. Ce qui est établi, c'est les liens étroits qu'entretenaient de hauts responsables d'Ennahdha avec Mustapha Khedher. Ce dernier avait avoué, entre autres, ses liens avec Ameur Belazi, celui-là même qui est accusé d'avoir dissimulé le 9mm utilisé dans les meurtres de Belaïd et Brahmi. Mustapha Khedher, suspecté d'être le chef de l'appareil secret d'Ennahdha, a également avoué qu'il avait engagé des individus pour agresser les personnes qui ont participé le 8 février 2013 aux funérailles de Chokri Belaïd. Tous ceux qui y étaient peuvent se rappeler des scènes d'agression, des voitures brûlées aux alentours du cimetière et des groupes de délinquants qui terrorisaient les gens. Tant et tant d'éléments qui pointent vers une implication, a minima, indirecte de nos islamistes.
Depuis 6 ans l'aspiration des Tunisiens à connaitre toute la vérité ne s'est pas tarie. L'onde de choc de l'assassinat de Chokri Belaïd n'a pas disparu. Non, le choc n'a toujours pas été absorbé comme l'affirmait l'ancien président de la République, Moncef Marzouki (alors en exercice) au lendemain de l'assassinat. C'était le 14 février 2013, sur les colonnes du Figaro. Tant que le souvenir restera vivace ; tant que le verbe de Belaïd, sa moustache et son grain de beauté, devenus iconiques, demeurent un symbole pour les Tunisiens, la question « Qui a tué Chokri ? », reviendra comme un leitmotiv.