Il est difficile dans notre pays en plein mois de ramadan de faire l'impasse sur les programmes télé et sur la guerre que se livrent les différents diffuseurs pour quelques points d'audimat. Tout le monde, ou presque, regarde la télévision tunisienne pendant le mois saint et chacun y va de son avis et de son analyse, puisque nous sommes un peuple composé d'experts, en tout. La palme du feuilleton qui suscite le plus de polémique et de commentaires revient sans conteste au fameux « Ouled Moufida » qui retrace les péripéties de trois garçons empêtrés dans toutes sortes de problèmes. La polémique trouve son origine dans le fait que le feuilleton montre des phénomènes tels que d'avoir un enfant hors mariage, la consommation de drogues et d'alcool, le traitement réservé aux filles et autres. Il n'en fallait pas plus pour déclencher des vagues successives d'indignation et de critiques allant même jusqu'à demander l'interruption du feuilleton et la condamnation de son créateur, Sami El Fehri. Les critiques se focalisent sur le fait que la société tunisienne, la vraie selon les détracteurs, ne ressemble pas à ce que montre le feuilleton. En plus, tous les jeunes qui le regardent risquent d'être influencés par ces images et vont donc reproduire les mêmes comportements et sombrer dans la drogue et l'alcool. Certains vont même jusqu'à supposer que Sami El Fehri fait partie d'un vaste projet de « désislamisation » de la Tunisie. Il fallait bien qu'on en arrive à la religion évidemment.
Des quantités incommensurables d'hypocrisie et de mensonges se déversent ainsi quotidiennement sur les réseaux sociaux concernant ces feuilletons. Remarquons au passage que les critiques les plus virulents de ces feuilletons sont ceux-là mêmes qui n'en ratent pas un seconde. Il ne leur viendrait pas à l'idée de simplement zapper pour se soustraire à l'influence destructrice d'un feuilleton. D'autre part, ni Sami El Fehri ni les autres réalisateurs ne prétendent faire des documentaires sur une supposée réalité de la société tunisienne. Il s'agit d'art, de fiction et de romance qu'on est libre d'apprécier ou pas. Mais aucun d'eux n'est obligé de se soumettre à une image, le plus souvent fantasmée en plus, de la société tunisienne. Car cette dernière est loin d'être ce que les donneurs de leçons voudraient qu'elle soit. Se draper en plus dans le rôle de celui qui ne veut que le bien des plus jeunes est d'une infinie hypocrisie.
Ce n'est pas de la faute de Ouled Moufida si l'accès aux drogues n'a jamais été aussi facile en Tunisie. Les statistiques concernant la consommation de drogues par des collégiens et des lycéens sont tout simplement effrayantes. Les feuilletons de ramadan n'y sont absolument pour rien. Même chose pour la consommation d'alcool. Il suffit de faire un tour dans les endroits branchés de Tunis ou de Sousse pour se rendre compte qu'il s'agit d'une pratique démocratisée chez les plus jeunes et pour les deux sexes. Une actrice qui boit une canette de bière à une heure de grande écoute n'en est pas la cause. Les collégiens que les pompiers ramassent pratiquement tous les jours en coma éthylique n'ont pas été influencés par ce qu'ils ont vu en mangeant à la rupture du jeûne. La consommation de substances illicites, la prostitution, la pression sociale, le paternalisme et autres sont des phénomènes qu'il est facile d'observer en Tunisie. Ouled Moufida sont parmi nous, dans chaque quartier, dans chaque ville de Tunisie. Il se peut même qu'ils soient les enfants des plus virulents donneurs de leçons. Mais malheureusement, il s'agit là d'une hypocrisie bien de chez nous que celle de refuser de regarder les problèmes en face et d'en rejeter la responsabilité, sur un feuilleton, sur un étranger ou sur le voisin. Ce n'est jamais de notre faute et on refuse de voir les choses comme elles sont. Quand notre reflet dans le miroir ne nous plait pas, on blâme le miroir et on refuse de se remettre en cause. Pourtant, si l'on parle d'accès aux drogues ou de surconsommation d'alcool, nous nous trouvons devant des sujets graves. Ce n'est pas en insultant Ouled Moufida qu'on les réglera.