Les moments de crise renferment deux caractéristiques particulières. D'abord, ils font oublier le passé et douter de l'avenir. Le dégout, les injustices et le sentiment que rien ne changera pour le meilleur règnent sans partage sur les âmes. Dans ce clair-obscur de dépit et d'indécision, notre identité s'égare. Nous ne savons plus qui nous sommes et donc, nous perdons nos repères. C'est un peu cela notre pays aujourd'hui.
Une crise politique, sociale et économique forte qui semble durer indéfiniment. Le peuple est pris de lassitude devant la médiocrité des institutions et des hommes qui prétendent à les gouverner. Et pourtant, nous sommes la Tunisie. Sous nos pieds, au bord de nos routes, dans nos montagnes et nos vallées, sous les dômes de nos zaouias, des civilisations respirent encore. Il ne faut pas l'oublier.
Carthage, brûlée jusque dans ses racines, a fait repousser la vie. Les Berbères, victimes des guerres et des décimations, ont su insuffler leur caractère aux populations qui leur ont succédé. Sidi Mahrez et Sidi Belhassen veillent encore sur les Tunisiens et sont chantés dans leurs coutumes. Les luttes du destour et du néo-destour perdurent.
La Tunisie est une civilisation, un temps long traversé par les secousses de l'Histoire universelle. La révolution de 2011 n'est pas un début ou une fin. C'est la continuité de ce que nous sommes. Belaid et Brahmi sont les successeurs d'Hannibal et de la Kahina.
La grande majorité des candidats et des partis s'attachent au court terme, cherchant à juste titre à redorer notre économie. Ils réagissent à une urgence réelle. Pour eux, « la prochaine période est économique, par excellence ».
Mais la prochaine période sera plutôt civilisationnelle. Car rien ne sert de créer de la richesse là où il n'y a plus de nation, d'institutions fortes unissant un peuple sous un drapeau. L'économie reviendra à ses justes mesures lorsqu'une stratégie nationale claire servira les intérêts de l'Etat et de la population dans tous les domaines.
Alors, l'éducation, la santé, la diplomatie, l'économie, la religion et la culture seront refondées. Une véritable souveraineté des institutions permettra à la Tunisie de se relever d'une crise qui, une fois dépassée, semblera passagère.
La deuxième caractéristique des instants d'instabilité est le repli sur soi. La Tunisie est certes ouverte. Parfois elle l'est excessivement, soumise aux vents que soufflent les puissances sur son territoire. Mais il reste qu'elle se sent seule dans son malaise. Pourtant, autour de nous, des pays proches comme lointains ont connu des crises. Ils ont su s'en dégager.
L'Ethiopie, le Rwanda ou le Ghana en Afrique. La Corée, la Chine ou le Japon en Asie. Cuba, le Brésil ou le Chili en Amérique Latine. Ces pays ont connu les guerres civiles, les embargos, les famines et les bombes. Aucun ne nous ressemble, mais tous ont subi des crises immenses qu'ils ont su atténuer, renverser. Comment ont-ils fait ? Ils ont refusé que les appâts du gain immédiat, de la corruption et des intérêts particuliers les divertissent de l'Histoire à construire. Concrètement, ils se sont recentré sur leur identité propre, ont endurci leurs institutions et suivi un cap souverain, à contrecourant des empires.
Souvent, les solutions techniques existent et les compétences pour les réaliser aussi. Mais encore faut-il que naisse une volonté nationale, de celles qui puisent dans l'héritage pour préparer l'avenir. La Tunisie sortira de sa crise si elle assume de nouveau son exception civilisationnelle et son indépendance dans le traitement de ses affaires. Ce petit pays pourra alors prétendre à un grand destin. Il le faut.
*Saoud Maherzi : Jeune diplômé tunisien de HEC Montréal, Premier prix du concours d'éloquence