La dynamique déclenchée à la suite de la désignation de Habib Jamli pour la formation du gouvernement commence à ralentir. Une impression de blocage général est perceptible sur l'ensemble de la scène nationale, non seulement en ce qui concerne les perspectives à venir mais aussi au niveau du pouvoir en place actuellement. La première période d'un mois accordée à Habib Jamli pour former son gouvernement s'est écoulée et s'est soldée par un échec. A la fin de cette période, le candidat à la primature chargé par Rached Ghannouchi a informé le président de la République Kaïs Saïed qu'il aura besoin d'un mois supplémentaire, comme le lui autorisent les dispositions de la Constitution. Il faut dire que la démarche initiale adoptée par le candidat de Rached Ghannouchi avait suscité beaucoup de critiques. Sa volonté de satisfaire tous les partis politiques en vue d'obtenir un large consensus était trop ambitieuse. En effet, les divergences entre les différents partis sont bien trop profondes pour qu'ils puissent se réunir et s'accorder autour d'un même gouvernement. Toutefois, le plus gros reproche ne peut être fait qu'au mouvement Ennahdha, puisqu'il était de son devoir de procéder à la formation du gouvernement, à travers la mise en place d'un programme et la désignation d'une équipe capable d'obtenir la confiance du Parlement, tout en conduisant le pays durant la période à venir. Or, le mouvement islamiste, ne jouissant pas d'une majorité parlementaire confortable, a préféré, comme à l'accoutumée, se dérober de ses responsabilités et laisser Habib Jamli dans une position gênante face aux différents partis politiques. Le candidat ayant reçu tout le monde se retrouve devant deux alternatives aussi amères l'une que l'autre. Ainsi, il aura le choix entre céder aux diktats et conditions rudes imposés par le bloc démocrate, à savoir Attayar et Echaâb; ou se jeter dans les bras de Qalb Tounes au risque de mécontenter les bases d'Ennahdha. Dans les deux cas de figures, le gouvernement peut passer mais sans majorité confortable, lui permettant d'exercer aisément. Et comme nous ne sommes pas à l'abri d'un surprise, le poulain d'Ennahdha peut échouer dans sa mission, ce qui donnera naissance au gouvernement du président. Une configuration pas moins compliquée, si on se tient au mystère bien entretenu jusqu'à aujourd'hui par le président de la République Kaïs Saïed.
C'est dire que jusqu'à présent, le chef de l'Etat élu au suffrage universel n'a rien fait de concret, en dehors des multiples rencontres organisées au palais de Carthage. Depuis son investiture, le nouveau locataire de Carthage n'a pris aucune une mesure, encore moins d'initiative. Lui qui a construit toute sa campagne sur la rupture avec le système de gouvernance classique et plaidé pour un modèle nouveau, est resté dans le schéma le plus classique. Pourtant, les dernières nouvelles à l'échelle régionale nécessitaient qu'il se manifeste un tant soit peu. Les développements en Libye, notamment, la décision du maréchal Haftar de conquérir Tripoli fait que la situation soit assez critique et requiert des mesures diplomatiques et sécuritaires de la part de notre présidence. Cela s'inscrit parfaitement au cœur de ses prérogatives. La situation en Algérie n'en est pas moins préoccupante. Même si on peut comprendre qu'il n'avait pu s'y rendre tenant compte des tensions qui y régnaient, le président de la République aurait pu afficher un peu plus intérêt à la question.
Alors qu'on constate un blocage au niveau de la formation du gouvernement et un certain immobilisme au niveau de la présidence de la République, le monde observe de loin la situation en Tunisie. Les partenaires stratégiques de la Tunisie restent en standby, aucune initiative, ni projets d'investissement ne peuvent être envisagés tant que la situation n'est pas encore claire. En effet, les partenaires de la Tunisie ont besoin de voir une stratégie concrète et des orientations bien définies pour pouvoir agir en conséquence. Or, il n'en est rien actuellement.
De l'autre côté, la gestion des affaires courantes est confiée au gouvernement Chahed, qui est sur le départ. Plusieurs départements, pourtant stratégiques, sont gérés par des ministres intérimaires. D'autres ministres ne peuvent avoir la main libre ne sachant à quel moment ils procéderaient à une inéluctable passation. En attendant, plusieurs nominations arbitraires ou de copinage sont en train d'être effectuées au niveau de plusieurs administrations, et l'intérêt en ce timing précis n'est pas très innocent.
La situation actuelle en Tunisie est, de l'avis des analystes, des plus inquiétante à tous les niveaux, politique, économique, social et sécuritaire. Sur le dernier point précisément, les choses se corsent du côté des frontières, avec les derniers développements chez les deux principaux voisins immédiats de la Tunisie, à savoir la Libye et l'Algérie. Une prise de conscience est aussi urgente et nécessaire chez toutes les parties prenantes au pouvoir, afin de concentrer les efforts sur l'impulsion des moteurs de croissance.