Un attentat-suicide a été commis, ce matin, devant l'ambassade américaine, visant une patrouille sécuritaire. C'est l'information qui a secoué toute la scène nationale aujourd'hui. Une opération terroriste qui coïncide avec l'installation du nouveau gouvernement et qui intervient au moment où l'ambiance régnant sur la scène nationale est devenue malsaine. Vendredi 6 mars 2020, vers les coups de 11h du matin, une forte explosion retentit dans le quartier des affaires aux Berges du Lac 2, faisant trembler les vitres des immeubles. Il s'agit d'un attentat terroriste. Deux individus à bord d'une moto se font exploser dans la rue en face de l'ambassade américaine, tout près d'une patrouille sécuritaire. Les deux terroristes sont morts sur le coup. Leurs membres déchiquetés ont été pris en photos par les citoyens, qui se sont dépêchés sur les lieux, et partagés massivement sur la toile. Cinq sécuritaires ont été blessés, dont un qui a fini par succomber à ses blessures. Il s'agit du lieutenant Toufik Missaoui. Une citoyenne qui se trouvait sur les lieux de l'attentat a été, également, légèrement blessée au visage.
Cela dit, le porte-parole du ministère de l'Intérieur a estimé dans une déclaration médiatique que cet attentat était raté et constitue une tentative désespérée de prouver l'existence des groupes terroristes sur le territoire tunisien. Cependant, il est clair que cette opération n'est pas fortuite et ne manque pas de symbolique. Perpétrée un vendredi, la veille de la commémoration du 4ème anniversaire de l'attaque de Ben Guedène, le timing a été bien choisi, tout comme le lieu. Face à l'ambassade des USA, et dans un quartier d'affaires très fréquenté, la cible était une patrouille sécuritaire. D'autre part, cet attentat intervient au moment où se tient le premier conseil des ministres présidé par le chef de l'Etat Kaïs Saïed au palais de Carthage. Alors que la situation économique et sociale était au centre du débat, ainsi que les préparatifs pour faire face à la propagation du Coronavirus, voilà que tout l'ordre du jour est chamboulé. La priorité serait l'examen de cette attaque au lieu de se pencher sur les urgences économiques du pays. Et dire que la Tunisie pensait avoir gagné cette guerre contre le terrorisme depuis le tournant pris en 2016 avec l'attaque de Ben Guerdène.
L'attentat perpétré, aujourd'hui, vient rappeler que la menace terroriste persiste. Le bilan n'est certes pas très lourd, comme le fût celui du Bardo, de Sousse, ou encore du bus de la Garde présidentielle, mais il intervient au moment où le débat identitaire et idéologique est relancé. Il intervient quelques jours après qu'un député ait justifié le takfirisme d'un angle charaïque sous l'hémicycle du Parlement. Il intervient au moment où le métier de sécuritaire devient une insulte. Finalement, il intervient au moment où l'ambiance régnant sur la scène nationale est devenue malsaine. Une atmosphère rappelant les tiraillements vécus durant les années 2012 et 2013. Cela ne remet pas en cause les efforts sécuritaires et les avancements réalisés en matière de lutte contre le terrorisme, il ne faut omettre que le terrorisme puise ses sources dans les clivages politiques et idéologiques.
Sur un autre plan, il est nécessaire de pointer la déficience des institutions officielles en matière de communication de crise. Quatre heures après l'attentat, aucun point de presse n'a été tenu par le ministère de l'Intérieur. Un simple communiqué a été publié sur la page officielle du ministère relatant les faits observés par les témoins oculaires. Le porte-parole du ministère de l'Intérieur a accordé sa première déclaration médiatique, trois heures après l'attentat, ne donnant aucune information supplémentaire par rapport au dit communiqué. La présidence du gouvernement, tout comme la présidence de la République, n'ont accordé aucune déclaration, ni de position officielle, bien qu'il y avait la réunion du conseil du ministre au moment de l'attaque. Deux heures après la fin du conseil et aucune nouvelle enregistrée. Les ministres de l'Intérieur ainsi que celui de la Défense ont refusé de s'exprimer auprès des médias. L'évènement étant taille, et le besoin pressant de l'opinion publique pour avoir une information précise et fiable, font du travail des médias une sorte de mission impossible face à l'absence d'un système de communication et de gestion de crise efficace.
L'attaque-suicide perpétrée aujourd'hui, aura inévitablement des conséquences directes et indirectes sur la situation générale dans le pays. La situation politique, avec sa conjoncture actuelle, va en être affectée, et on assistera inévitablement à une récupération et une exploitation de cette attaque, ce qui ne fera qu'approfondir les confrontations déjà existantes. D'un point de vue économique, l'impact sera également perceptible, notamment en termes d'investissement étranger et de coopération internationale.
En tout état de cause, le nouveau gouvernement d'Elyes Fakhfakh aura du pain sur la planche. Sa mission s'annonce dure et difficile. Outre les grands chantiers socio-économiques qu'il aura à affronter, il démarre sur une attaque terroriste et une menace d'épidémie grimpante. Les choses se corsent davantage avec le manque d'appui parlementaire dont il bénéficie. Le rejet du projet de loi relatif à l'accord pour la création de la zone de libre-échange continentale africaine en témoigne. Le nouveau chef du gouvernement se doit de rectifier et de revoir sa stratégie s'il compte réellement faire de son mandat un succès.