Les méthodes et les techniques de dépistage connaissent un développement rapide dans le contexte de la pandémie Covid-19 provoquée par un nouveau virus. Le dépistage connait des expressions différentes dans les pays. Elles sont en relation avec les conditions de préparation à la gestion du risque, les capacités techniques, logistiques et d'organisation du système de santé ainsi que les moyens financiers respectifs des pays. La médiatisation et l'implication forte des réseaux sociaux dans l'accompagnement de la lutte contre le Covid-19 a généré des perceptions et des attentes du dépistage conduisant à des demandes pouvant ne pas tenir compte du contexte, du niveau de progression de l'épidémie et du bon usage et pertinence des différentes techniques et tests de dépistage. Cette contribution aborde le potentiel et les limites du dépistage dans le cadre d'une stratégie de lutte contre la pandémie du Covid-19. Il ne s'agit pas d'une évaluation coût efficacité ou coût avantage des tests de dépistage mais aborde ces derniers sous l'angle de leur PERTINENCE et APPORT dans une stratégie de santé publique pour le contrôle d'une épidémie.
Pourquoi le dépistage?
Le dépistage précoce est un moyen majeur dans la stratégie de contrôle de la pandémie du Covid-19. Il identifie directement la SOURCE de contamination par la confirmation de la présence du virus chez les patients suspects de Covid-19. Il permet par conséquent l'isolement des cas, l'identification des contacts ainsi que leur confinement. Ces mesures sont indispensables pour arrêter, quand cela est encore possible, ou pour freiner la transmission du virus. Le dépistage précoce et les mesures qui lui sont liées, constituent le complément indispensable et inter-lié aux autres mesures de la stratégie de freinage et de contrôle de la pandémie, en particulier: - les mesures BARRIERES de protection individuelle et collective contre le virus (mesures basiques d'hygiène et distanciation sociale) - la réduction des MOUVEMENTS de la population afin d'endiguer ou ralentir, selon la situation, l'intensité de transmission et ou l'extension géographique de l'épidémie. La combinaison optimale de l'ensemble de ces mesures, compte tenu de la dynamique de l'épidémie, ouvre la porte de la maitrise du cours de la pandémie
Les limites du dépistage
L'efficacité du dépistage est affectée par certaines caractéristiques de l'infection Covid-19 : - le temps d'incubation varie généralement entre 2 à 12 jours durant lesquels il n'y a pas de symptômes pouvant attirer l'attention - de 30 à plus de 50% des personnes infectées ne présentent aucun symptôme. Ils peuvent donc échapper au dépistage alors qu'ils sont une source de transmission du virus - la grande majorité des cas avec expression clinique présente des symptômes banaux sans complications. Ils peuvent ne pas recourir au dépistage alors qu'ils sont contagieux pour autrui.
Que penser du dépistage massif
Avec ces limites structurelles importantes ci haut évoqués, croire que le dépistage MASSIF va nous sortir d'affaire serait une grave erreur! Une fois la transmission locale devenue active, nous sommes dans des situations à courir derrière un virus ayant toujours de grandes fenêtres ouvertes pour échapper et pour continuer à circuler au sein de la population. Notons que le fait d'être dépisté négatif signifiera que l'on est exposé à attraper le virus et pas le contraire ! Prenons acte avec humilité que nous ne savons pas exactement quand prendra fin la vague épidémique actuelle ni quand surviendrait une deuxième. Dans ces conditions le dépistage massif risque de faire perdre aux tests de dépistage leur efficacité et leur efficience et de mobiliser des ressources publiques considérables représentant un coût d'opportunité important au détriment d'autres activités et priorités dans la lutte contre Covid-19 et pour la santé sans garantir une solution durable.
La pertinence de l'approche des tests ciblés
En dépit des limites importantes évoquées, le dépistage reste toutefois un moyen important pour agir sur la SOURCE de transmission dans une logique assumée de FREINAGE de la progression du virus. Celle-ci est orientée par les cas suspects dès l'apparition de foyers de transmission locale. Il est possible d'être très efficace au début et même de réussir à casser la progression s'il y une bonne synergie avec les autres mesures de contrôle. Le dépistage doit rester toutefois CIBLE portant sur les personnes suspectées de Covid-19. Il doit s'élargir, au mieux du possible, à l'entourage et aux contacts proches. Les définitions nationales de cas doivent servir de référence pour guider le dépistage et assurer la cohérence de la stratégie. Combiné avec les autres groupes d'actions (mesures barrières et limitation des mouvements de la population) le dépistage ciblé élargi renforce l'efficacité et l'efficience de l'ensemble de la stratégie de lutte contre le Covid-19 et contribue effectivement à freiner la progression de l'épidémie. Dans le contexte d'une vague épidémique puissante et généralisée pouvant dépasser totalement les capacités en place et mobilisables, il faut adapter la stratégie de dépistage et considérer les personnes suspectes comme Covid+ sans recourir au test et réserver celui-ci aux patients à hospitaliser.
Importance de la décentralisation
Pour augmenter le potentiel de réalisation du dépistage, il faudrait renforcer les capacités décentralisées et surtout impliquer pleinement la première ligne du système de santé. La proximité de cette dernière avec la population est irremplaçable pour maîtriser une pandémie. On ne devrait pas considérer une épidémie exclusivement en relation avec le sommet de son ‘'Iceberg'' représenté par les cas graves nécessitant des soins intensifs de réanimation. Pour diminuer la taille de ce ‘'sommet'' et l'incidence des cas graves, il faut agir en amont, recourir au dépistage précoce, ciblé et élargi et procéder à l'isolement des cas et au confinement des contacts. Le recours au dépistage doit être encouragé, encadré et coordonné par une plateforme centrale dédiée. Mais c'est à la base qu'il faut agir et mettre en place les dispositions nécessaires, là où vivent les gens et là où ils seront mieux suivis et éventuellement isolés, s'ils sont infectés, ou confinés, s'ils sont au contact de personnes infectées. Faute de quoi, les blocages et débordements affecteront gravement la réalisation des résultats escomptés.
Quels sont les tests utiles dans une logique de santé publique?
Il y a deux catégories de test : ceux qui qui cherchent la présence directe du virus ou de ses fragments, et ceux qui cherchent les anticorps résultant de l'infection par le virus du Covid-19. Pour les deux catégories de test, des kits de tests rapides existent ou sont en développement. L'homologation de nombre d'entre eux n'est pas clairement solutionnée. La complexité des questions en relation avec la fiabilité des tests rapides ne fait pas l'objet de la présente contribution. Ce sont les principes de santé publique devant guider le bon usage de chaque catégorie de tests qui sont esquissés.
Les tests détectant le génome du virus
Pour les besoins du contrôle de l'épidémie et plus particulièrement pour en freiner la progression, c'est la détection de la présence du virus qui doit être la préoccupation centrale. A cette fin la référence est le test moléculaire permettant la détection du génome du virus RT-PCR ( Reverse Transcription-réaction en chaîne par polymérase). Il a une très bonne spécificité ( négatif chez les non malades) et une très bonne sensibilité avec très peu de faux négatifs sauf si le prélèvement est mal fait ou que le virus a émigré vers les bronches. La réalisation de ce test exige des laboratoires agréées et accrédités pour le faire et son coût est relativement élevé (au mois 100DT l'unité pour les seuls coûts du laboratoire). De plus la réponse nécessite 24h. Des expériences existent visant à minimiser les coûts dans le cadre de l'élargissement plus important des tests ciblés pouvant réduire les coûts unitaire par deux ou trois. Des tests rapides existent pour la détection de protéines du virus ou de l'ARN viral. Ils présentent une bonne spécificité mais ont une sensibilité de l'ordre de 70% ( risque important de faux négatifs). Quand ce test est positif, l'individu est déclaré Covid+. Alors que la négativité doit être confirmée par le test RT-PCR. Ces tests rapides, en cas de réponse positive, permettent de gagner un temps précieux dans la prise en charge thérapeutique du malade et des mesures relatives à son environnement humain et matériel (Désinfection des locaux et autres). Le test est fait pour confirmer le diagnostic chez les cas suspects et pour recherche le virus chez les contacts de proximité. Il est refait selon le référentiel officiel pour le suivi des malades et les confinés.
Les tests qui détectent les anticorps suite à une infection Covid-19
Les tests sérologiques explorent la présence des anticorps IgM et IgG résultant de l'infection Covid-19. Si l'IgM apparaît rapidement après l'infection (5 à 7 jours) et disparait au bout de 2 à 3 semaines, l'IgG commence à apparaitre à partir de la 2ème semaine de l'infection et reste présent assez longtemps (plusieurs semaines et durée totale non définie). l'IgG constitue l'anticorps neutralisant contre le virus du Covid-19. Il devrait rester présent dans le sang durant un à trois ans selon le modèle constaté pour les autres coronavirus. Pour être sensibles et lisibles ces tests se font au plus tôt à partir du 10 ème jour et au mieux à la fin de la deuxième semaine. Ces tests ne permettent pas de statuer sur la contagiosité de la personne. Ils sont par conséquent non recommandables dans le cadre d'une stratégie nationale de freinage et de contrôle de la progression du virus. Ces tests sont d'une utilité clinique indiscutable pour les patients hospitalisés, pour procéder à des diagnostics différentiels. En santé publique les tests sérologiques sont utiles pour connaitre le niveau d'immunisation de la population d'une zone, d'une région voire le pays mais généralement sur la base d'échantillon. Cela permet de connaitre le niveau de vulnérabilité dans la perspective de l'extension ou d'une deuxième vague. Ces tests pourraient aussi permettre d'adapter la protection contre le virus au statut immunitaire des professionnels les plus exposés et pour les personnes vulnérables mais en tenant compte des discussions en cours sur la protection immunitaire post infection Covid-19.
Tableau résumant les conclusions des tests
Test Antigènes Test Anticorps Conclusions Positif Négatif La personne est récemment contaminée et est contaminante Positif Positif La personne est contaminée depuis une semaine au moins. Elle est contaminante
Négatif
Positif
La personne a été contaminée ( On ne connait pas l'intensité ni la durée de l'immunisation) Elle n'est pas contaminante
Monter en puissance la stratégie nationale de dépistage précoce
Dans notre pays nous devons poursuivre et renforcer la stratégie du dépistage précoce utilisant les tests de recherche de la présence du virus ( RT-PCR classique et modèles rapides pour faire plus de tests au moindre coûts). Avec la décentralisation indispensable, les appuis qui doivent l'accompagner ainsi que l'implication de la première ligne de santé dans l'ensemble de la stratégie, nous aurons les moyens du dépistage ciblé et élargi. Ce dernier respecte à la fois les conditions de l'efficacité et de la prise en considération de nos moyens. Le dépistage renforce sa légitimité et son importance seulement quand il fait partie intégrante d'une stratégie nationale de contrôle de la pandémie mettant en œuvre l'ensemble de ses mesures de prévention individuelle et collective. Le dépistage massif et non ciblé dans le contexte du Covid-19 ne répond pas aux exigences de rationalité. Il a un coût d'opportunité préjudiciable pour d'autres priorités indispensables pour le contrôle de l'épidémie tel que l'isolement et la prise en charges des personnes malades et le confinement des contacts dans des conditions respectueuses de la dignité des personnes. Dans une approche de santé publique les tests sérologiques peuvent constituer un complément utile pour connaitre le niveau d'immunisation d'une communauté ville, régions ou le statut immunitaire des personnes très exposées ou vulnérables mais ils ne représentent pas un outil recommandé de dépistage du Covid-19.
Remerciements : l'auteur remercie vivement le Pr Amor Toumi et le Dr Hédi Achouri pour la lecture attentive, les commentaires et suggestions
Dr Abdelwahed EL ABASSI Médecin retraité, pionnier des soins de santé de base, ancien haut fonctionnaire international de l'UNICEF et de l'OMS