Simone de Beauvoir appelait les femmes à toujours rester vigilantes parce que les droits des femmes ne sont jamais définitifs et qu'ils sont remis en question à la moindre crise politique, économique ou religieuse. Cette réflexion traduit malheureusement la situation de la femme tunisienne depuis la révolution. Ses droits n'ont pas cessé d'être la cible des islamistes bien entendu, mais aussi de tous les autres misogynes assumés ou pas. On a vu même des « libéraux » et des « démocrates » donner des excuses rocambolesques du genre « ce n'est pas le moment », tordre le cou au bon sens pour s'aligner, en définitive, sur les positions les plus rétrogrades. Cela a commencé avec la rédaction de la Constitution et la tentative de réduire la femme à être «le complément » de l'homme ; jusqu'aux positions des uns et des autres concernant le rapport final de la Commission des libertés individuelles et de l'égalité (Colibe), en passant par la question de l'égalité successorale.
Aujourd'hui, dimanche, un communiqué de la présidence du gouvernement admet qu'une erreur s'est glissée dans le décret fixant les modalités du confinement ciblé, publié hier, et que cette erreur sera rectifiée dans la prochaine édition du Jort. L'erreur en question est relative à l'article dix du décret qui soumet «les mères dont l'âge de leurs enfants ne dépasse pas 15 ans» aux prescriptions du confinement total. La présidence du gouvernement admet donc l'erreur, mais cette dernière est loin d'être anodine qui nécessite une simple rectification. Tout porte à croire, en effet, que la question est beaucoup plus grave qu'une simple « erreur ».
D'abord, la formulation du texte est très correcte, ce qui exclut la simple erreur de rédaction ou de saisie. Ensuite, les textes de loi sont soumis à des mesures très strictes et passent par différentes étapes et différents contrôles tous aussi rigoureux les uns que les autres pour être validés et envoyés à l'imprimerie officielle. Cette dernière dispose d'un protocole très strict de correction des textes, ce qui rend pratiquement impossible le glissement d'une quelconque coquille dans le texte publié. Ceci sans oublier qu'il existe deux versions pour un seul texte de loi, l'une en arabe et l'autre en français. Il est peu probable qu'une erreur, si erreur existe, se retrouve dans les deux versions à la même place.
Non. Assurément, l'erreur est plus grave et se situe ailleurs. Probablement au niveau du conseil des ministres et au sein du gouvernement lui-même. Dés le début, il était évident qu'il y avait un déséquilibre entre le poids réel sur le plan politique et au sein du Parlement des islamistes, et leur présence au sein du gouvernement. Le chef du gouvernement semble même s'accommoder de cette influence islamiste grandissante. Les dernières nominations annoncées au niveau de la présidence du gouvernement et à la tête de certaines entreprises publiques, si elles sont entérinées, ne feront que confirmer cette thèse. Le clan des démocrates au sein du gouvernement semble lui aussi, par vilenie ou calcul, pactiser avec les islamistes pour garantir sa part du gâteau et a déjà vendu son âme au diable. A lui de démontrer le contraire.
Cette « erreur », misogyne et inconstitutionnelle, n'est pas le seul travers de ce gouvernement. On pourrait citer les nombreuses décisions prises pour alléger les effets du confinement qui ont eu des effets contraires comme les aides sociales qui ont provoqué des attroupements monstres, ou qui ont été de simples effets d'annonce sans suite, comme plusieurs des mesures financières destinées à aider les artisans et les petites entreprises.
Le dernier travers en date est l'annonce faite, pas plus tard qu'hier, samedi, par le ministre de la Santé concernant l'ouverture des pharmacies, exceptionnellement ce dimanche, pour faciliter l'acquisition des masques par les citoyens en prévision de l'entrée en vigueur dès demain, lundi, de la première étape du confinement ciblé. En réalité le ministre cherchait simplement l'effet d'annonce puisque la décision annoncée n'a jamais été concertée avec les intéressés. Le conseil de l'ordre des pharmaciens affirme, en effet, qu'il n'a pas été informé de cette décision et demande aux pharmaciens de garder leurs officines fermées, d'autant plus que les bavettes ne sont toujours pas disponibles.
PS- En ce 3 mai, Journée mondiale de la liberté de la presse, l'occasion est saisie pour réaffirmer le soutien indéfectible à une presse libre, indépendante, plurielle, attachée aux valeurs de la démocratie et des droits humains. Ce n'est pas encore gagné, mais le combat est aussi gratifiant que l'issue de la bataille.