La faim, un effet méconnu de la pandémie Covid-19. Plus de 800 millions de personnes dans le monde, dont des Tunisiens, sont concernés par cette menace. Analyse. En avril, alors que le monde se débattait contre la pandémie du nouveau coronavirus, Covid-19, le Programme alimentaire mondial (PAM) a averti contre une pandémie de la faim. « Les conséquences économiques et sanitaires de Covid-19 sont particulièrement inquiétantes pour les communautés des pays d'Afrique et du Moyen-Orient, car le virus menace de détériorer encore davantage la vie et les moyens de subsistance des personnes déjà victimes des conflits », a indiqué le directeur exécutif du Programme alimentaire mondial, David Muldrow Beasley, le 21 avril dans une déclaration au Conseil de sécurité des Nations Unies. « Il n'y a pas encore de famine. Mais je dois vous avertir que si nous ne nous préparons pas et n'agissons pas maintenant - pour garantir l'accès, éviter les déficits de financement et les perturbations du commerce - nous pourrions être confrontés à de multiples famines aux proportions bibliques dans les prochains mois », a-t-il noté. Plus tard en mai, le PAM a publié des chiffres estimatifs soulignant que le nombre de personnes exposées au risque de l'insécurité alimentaire pourrait atteindre les 47 millions dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (Mena). Ce nombre pourrait croître du fait de la pandémie, selon l'agence onusienne. L'insécurité alimentaire pourrait ainsi toucher 6,7 millions de personnes supplémentaires dans la région Mena.
La sous-nutrition s'aggrave en Tunisie
Au 7 juin, en Tunisie, 1,6 million de personnes souffrent de sous-alimentation, selon les données communiquées en temps réel sur la Hunger Map Live du Programme alimentaire mondial. Ce qui revient à environ 7% de la population tunisienne. Le pays compte, rappelons-le, 11,6 millions d'habitants.
En 2018, la Tunisie affichait un taux moins élevé : 5% de la population tunisienne étaient en sous nutrition, selon un rapport de l'ONU. Le pays était alors en tête sur les cinq pays de l'Afrique du Nord concernés par ce phénomène. Les Nations-Unies avaient, à l'époque, imputé les résultats à une flambée mondiale des prix des aliments pour les populations nord-africaines relativement dépendantes des importations alimentaires. La malnutrition aigüe touche, elle, 3,3% des enfants de moins de cinq ans. Le taux de malnutrition chronique est encore pire : 10,1% des enfants tunisiens de moins de cinq ans souffrent de sous nutrition chronique, selon la Hunger Map Live du PAM. La moyenne de la population ayant une consommation alimentaire insuffisante est de 14% par gouvernorat. Ces chiffres ont, notons-le été calculés sur la base du score de consommation alimentaire établi par le PAM. L'agence calcule cet indicateur sur la base du taux de diversité des régimes alimentaires des ménages et la fréquence de consommation des aliments. En d'autres termes, selon cet indicateur, sont considérés en sous-alimentation les ménages qui ne consomment pas des produits de base et des légumes de façon quotidienne et rarement des aliments riches en protéines (viande et produits laitiers, ndlr). La vulnérabilité du pays en termes de sécurité alimentaire est due, en particulier, à sa grande dépendance aux importations de céréales. Au 7 juin, la Tunisie affichait un taux de dépendance à l'import de 68%, selon la Hunger Map. Ces besoins d'importations céréalières devraient, d'ailleurs croître, en 2020, alors que le pays, tout comme le reste du monde, lutte contre la propagation du nouveau coronavirus. Il a été soumis fin mars à un confinement sanitaire général et a fermé ses frontières aériennes, terrestres et maritimes. L'activité économique est entrée en veille et ne risque pas de retrouver son cours normal de sitôt, le monde étant encore sous embargo. Cette conjoncture conjuguée à une production céréalière en baisse ne peut nous laisser optimistes quant à la sécurité alimentaire en Tunisie.
La moisson n'est pas au beau fixe
Selon les chiffres communiqués par l'Observatoire nationale de l'agriculture (ONA), dans son rapport du premier trimestre 2020, les surfaces cultivées en blé ont, nettement, régressé (-21%). De même pour celles dédiées au blé dur (-3,6%) et à l'orge (-4,6). En effet, 46%, seulement, des superficies initialement programmées pour la culture de ces denrées ont été traitées contre les mauvaises herbes et 67%, seulement, contre les maladies fongiques, selon l'ONA. En d'autres termes, la moisson 2019/2020 ne sera pas au beau fixe. L'ONA le confirme, d'ailleurs : « Le rendement des céréales au niveau national pour la saison 2019/2020 va diminuer à 16 quintaux par hectare, contre 24 qx/ha enregistrés lors de la dernière campagne ». Cette baisse de rendement s'explique, selon l'ONA, par une faible pluviosité en particulier durant le mois de février. Entre septembre 2019 et mars 2020, la Tunisie a enregistré une pluviométrie de 169,8 mm soit -7% par rapport à la moyenne de la période, selon l'ONA. Les stocks des barrages ont, de ce fait, diminué de 18,2% par rapport à 2019. Les réserves en eaux disponibles dans les barrages n'étaient que de 1 448 millions de mètres cubes au terme du mois de mars 2020. « Au 31 mars 2020, les apports cumulés aux barrages ont atteint 577,6 M m3. Ils ont été nettement inférieurs à la moyenne de la période (1467,3 M m3) », lit-on dans le rapport de l'ONA. L'Observatoire national de l'agriculture estime donc la production nationale de céréales à 15,7 millions de quintaux (1,5 million de tonnes) pour la saison 2019/2020. « La répartition entre les différentes céréales sera : 9,7 millions de quintaux de blé dur, 885 mille quintaux de blé tendre, 4,9 millions de quintaux d'orge et 253 mille quintaux de triticale. La superficie cultivée est estimée à 967 mille ha, sur un total de 1160 mille ha », a précisé l'ONA. En 2019, la Tunisie a enregistré une production record de 24 millions de quintaux soit 2,4 millions de tonnes de céréales. L'ONA note également, que les importations céréalières représenteraient 57,4% des importations alimentaires du pays en 2020, contre 51,4% l'année écoulée. Le blé dur représenterait à lui seul 39,8% du total des importations de céréales prévues en 2020. Il convient de rappeler que la Tunisie a enregistré plusieurs incendies dans des exploitations agricoles, notamment des champs de blé, dans les gouvernorats du nord-ouest et centre du pays.